MEUNIER, TU DORS

17 mars – 29 avril 2023


MEUNIER, TU DORS

Exposition
Du 17 mars au 29 avril 2023

Nathan Carême <

« Régulièrement, des habitants de Marsannay-le-Bois, Épagny et Savigny-le-Sec ressentent des vibrations dans leurs maisons. Certains constatent des fissures. Les regards se tournent vers la carrière Socalcor, située dans les communes d’Épagny et Savigny-le-Sec. »

Le Bien Public, 09/10/2018

Ça commence comme ça, on parle avec Nathan de quelque chose qui vient du sol, qui perturbe. Il me raconte que les gens qui habitent à côté de la carrière dans laquelle il a filmé Le Marchand de Sable se plaignent de vibrations venues du sol. Je lui parle de Signes de Vie de Herzog, il me semble que les vibrations du sol provoquées par les canons font croire au personnage principal que le diable lui parle. Je ne m’en souviens pas vraiment alors je ne m’étends pas. On parle d’une vidéo virale, en Chine des centaines de moutons se sont mis à tourner en rond sans interruption pendant 12 jours consécutifs. Une théorie émerge, les moutons auraient la listériose, une maladie qui cause des troubles de l’orientation. Mais le propriétaire dit que ses moutons sont en bonne santé. C’est écrit en gras dans l’article que je lis, je trouve ça bien, c’est une sorte de clef de voûte d’une interprétation mystique de l’événement. On parle au téléphone de ça, du côté mystique et du côté viral de certaines infos. On parle de fourmis qui, lorsqu’elles perdent le chemin de leur essaim se mettent ensemble à tourner en rond jusqu’à mourir d’épuisement. Le parallèle avec l’expo est bien, elle s’appelle Meunier Tu Dors comme la chanson pour enfants. Les paroles d’origines sont celles-ci :

« Meunier tu dors, ton moulin, ton moulin va trop vite
Meunier, tu dors, ton moulin, ton moulin va trop fort
Ton moulin, ton moulin va trop vite
Ton moulin, ton moulin va trop fort »

Un moulin tournant trop vite peut exploser à cause de la poussière de farine qu’une étincelle issue des meules embrase. Wikipédia dit que d’autres paroles ont été ajoutées par la suite. Ça dit :

« Meunier tu dors, et le vent souffle souffle
Meunier tu dors, et le vent souffle fort
Les nuages, les nuages viennent vite,
Et l’orage et l’orage gronde fort !
Les nuages, les nuages viennent vite,
Et l’orage et l’orage gronde fort !
Le vent du Nord a déchiré la toile
Meunier, tu dors, ton moulin est bien mort »

La citation est pratique, elle me permet de mettre le mot mort que je ne voulais pas employer moi-même, mais plutôt convoqué, comme là avec la chanson, donc c’est fait. Je ne voulais pas parce que l’expo de Nathan ne parle pas de la mort, mais pourtant l’évoque. Elle rôde. Je pense à L’Intruse de Maurice Maeterlinck, une pièce de théâtre dans laquelle un vieil aveugle sent la mort arriver dans la maison pendant un repas de famille.

Non, la mort, il faudrait arriver à ne pas en parler dans le texte, juste la rendre présente. En fait, ce que je voudrais dire au sujet de l’expo de Nathan serait plutôt une histoire de poussière. On reparle de la vidéo, tournée dans la carrière évoquée dans l’article plus haut. La vidéo s’appelle Marchand de Sable, je lui dis que c’est marrant, à cause de Le Marchand de Sable, les gens des villages n’arrivent pas à dormir. On commence à parler de contradiction. Je lui rappelle que lorsqu’il m’a demandé d’écrire le texte, il m’avait dit « Je ne sais pas encore, mais l’expo sera sûrement un genre de grenier ». Alors qu’au téléphone, on ne parle que du fait d’être sous terre. Il me dit à ce sujet qu’une des photos de l’expo s’appellera Ci-dessus, ci-bas.

Je repense à mon histoire de poussière. Il veut remplir l’espace de ouate de cellulose et appeler ça Congère, comme les amas de neige entassés par le vent. Je lui parle de vrombissement, je lui dis que j’aimerais bien écrire le texte à ce sujet. Je lui dis que j’ai l’impression que son expo serait comme la poussière qui vrombit de manière infime, mais effective lorsqu’un train passe proche d’un grenier. Qu’il s’opérerait à ce moment-là une sorte d’ébranlement total d’une surface, de manière invisible. Il me dit qu’il n’aime pas trop les trains et qu’il préférerait que le texte n’en parle pas. Je pense quand même que l’image à une justesse, que je pourrais l’utiliser. Je crois qu’il faudrait que je précise. On parle un peu de nuées ardentes qui pétrifient tout, d’un coup net. On parle du fait que nous avons mis le même jour une photo d’un radiateur soufflant de la marque Pompéi en story sur Instagram, que nous avions tous les deux vu à Vortex, mais à des moments différents. Je repense aux nuées ardentes. C’est une nouvelle contradiction, après le fait que l’expo soit proche du ciel et sous terre à la fois, pour reprendre une expression utilisée pendant notre conversation. Elle évoque quelque chose qui se fige de manière instantanée et très lente en même temps. Je pense au paradoxe qui apparaît lorsque l’on pense à Pompéi, un évènement très soudain, qui a figé les choses en quelques secondes à peine, mais sur lequel deux mille ans sont passés ensuite. Il y a ce dialogue entre un instant précis, disruptif et un lent déclin. On parle de Robert Smithson et de sa métaphore de l’entropie :

« Imaginez un bac à sable divisé en deux, avec du sable noir d’un côté et du sable blanc de l’autre. Nous prenons un enfant et le faisons courir des centaines de fois dans le sens des aiguilles d’une montre dans le bac jusqu’à ce que le sable se mélange et commence à devenir gris ; ensuite, nous le faisons courir dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, mais le résultat ne sera pas une restauration de la division originale, mais un plus grand degré de grisaille et une augmentation de l’entropie. »

Nathan m’écrit plusieurs jours après pour savoir si le texte avance, je lui dis que je voudrais faire un texte qui ne parle pas de l’expo, mais qui évoque des choses, comme le fait son expo, elle ne parle pas d’une histoire, mais elle en évoque plein. Il est d’accord.

Andréa Spartà, 2023


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Photographies : © Siouzie Albiach, 2023

IN TWO V

19 janvier —
10 février 2024

 

TENTATIVES DE SAUVETAGE

« On ne peut naturellement déplorer que ce qui manque, ce qui a disparu – et dont nous est parvenu un quelconque vestige, un signe, parfois à peine plus qu’une rumeur, une trace à moitié effacée, les répercussions d’un écho ».

Judith Schalansky, Inventaire de choses perdues,
Ypsilon Éditeur, Paris, 2023, p. 17.

 

Emilie Soumba et Louis Simonnet sont tous·tes deux diplômé.es de l’Isba de Besançon, la première en juin 2022, le second l’année d’après. Leur travail ne s’était pas rencontré dans les espaces de l’école. Pourtant, il y a un effet d’évidence dans le dialogue proposé par les deux artistes aux Ateliers Vortex, affirmant par là, le propre même de l’évidence, à savoir qu’elle est le fruit d’un travail, d’une recherche, d’une construction.

L’exposition devient ainsi le lieu où se révèlent les lignes partagées du travail de chacun.e , autour

du geste de glaner dans le réel, ce qui n’a pas, peu ou plus de valeur, aux yeux des individus, des entreprises, de la société ;

du souci de la valorisation de ces choses (par la peinture, par la couleur, par l’ornementation, par le soin et l’attention qui leur sont accordés,…) ;

de la fabrique de paysages.

Comme un préambule, la juxtaposition d’une peinture de Louis Simonnet et d’une sculpture d’Emilie Soumba, en bas des escaliers qui conduisent à l’espace d’exposition, énonce ce qui les rassemble et ce qui les distingue. Elle pose également la proposition, joueuse, des deux artistes qui ont choisi, le temps de l’exposition, de créer des complémentarités entre leurs oeuvres : la sculpture de la série En passant d’Emilie Soumba pouvant presque s’insérer ou être issue des espaces de la toile présents en réserve dans le feuillage de l’arbre peint par Louis Simonnet, Sureau. Les médiums de prédilection de chaque artiste y sont également annoncés.

Mais si ce premier point de vue nous confronte, de près, à un paysage arboré et à un corps organico-artificiel, l’exposition ouvre des horizons plus vastes, entre ciel et mer, où les corps se sont, pour l’essentiel, éloignés ou absentés.

Entre ciel et mer

Une toile de parapente tombée du ciel prend des allures de canoé dégonflé.

Posée au sol, cette toile fuchsia teinte l’espace de l’exposition, réfléchit ses lumières, organise sa circulation, ménage des points de vue, pose le décor.

L’exposition en effet semble composer un paysage où s’affirment, distinctement, dans les toiles de Louis Simonnet, des représentations d’étendues lointaines, de mers, de cieux, que les sculptures d’Emilie Soumba réfléchissent et prolongent, parce qu’elles s’y trouvent associées.

Ainsi, face à la peinture Horizon représentant la lune sur toile bleue, les reliefs de la sculpture ronde en polypropylène de la série des Extractions liquides se transforment en cratères, et les couleurs noire, argentée et bleue nuit se révèlent cosmiques. De même, devant la bâche bleue du Rêve d’été, Instinct grégaire prend les allures d’un banc de poissons en mouvement. Il s’agit pourtant de purges de machines industrielles de production de contenants en plastique, aux formes aléatoires, que l’artiste a récupérées puis repeintes, choisissant des couleurs vives et contrastées, bleu, jaune, rose, non imitatives, qui maintiennent, jusque dans leurs titres, l’ambiguïté de leur provenance, de leur forme et de leur destination. Une des forces du travail d’Emilie Soumba réside d’ailleurs dans la dimension suggestive et métamorphique de ses oeuvres.

Il ne s’agit donc pas de déterminer ou d’imposer un sens de lecture à ses sculptures. Et pourtant, ici, les paysages maritimes et célestes, comme les images potentielles de lune et de poissons qui planent et flottent dans l’espace, renforcent l’intention qui préside au travail des deux artistes : présenter, en plein naufrage, leurs tentatives de sauvetage des choses perdues.

Choses perdues

Les deux artistes partagent en effet un souci profond pour les rebuts de la société : ces objets et matières perdu.es, oublié.es, souvent rejeté.es ou sur le point d’être jeté.es, déclassé.es, sur lesquelles on aurait même jamais porté un regard, parfois encore tombé.es du ciel.

Il en est ainsi de l’ensemble des toiles utilisées par Louis Simonnet comme supports à ses peintures : de la toile de parasol recouverte de lichens au fil des saisons passées en extérieur, qui donne lieu à Horizon ; de la toile de lin utilisée pour éteindre un départ de feu dans un champ (Feux) : de la toile de parapente, utilisée, comme un ready-made, pour refléter l’espace en fuchsia (Nova) ; des toiles achetées en seconde main, des bâches, utilisées pour peindre… Chaque fois, les formats, textures, couleurs et histoires de ces fonds engagent la teneur des gestes, plus ou moins discrets, que propose le peintre sur la toile. Parfois, ces gestes consistent simplement à enchâsser la toile, à la tendre, à la détendre. D’autres fois à y peindre une figure, une lune, un nageur,…. affirmant le potentiel pictural du support qui, par ce simple ajout, devient mer ou ciel nocturne. Parfois, c’est le titre seulement, qui nous rappelle l’origine du support. D’autres fois encore, l’artiste recouvre la toile, en prenant soin de laisser quelques réserves, quelques espaces vierges, devenant des lieux de projection pour l’imagination.

Souvent, ces ajouts et réserves perturbent les illusions de profondeurs avec laquelle jouent le peintre et la peinture.

Souvent, ces ajouts et réserves jouent sur le sens de lecture du travail, comme avec Feux, sur laquelle Louis Simonnet a superposé à la suie, des empreintes de confettis, collées puis décollées de la toile, pour évoquer la nature duale du feu, à la fois festive, chaleureuse, et dangereuse et dévastatrice.

Devant ce feu, de sécheresse et d’artifice, se trouve Macadam Tripode d’Emilie Soumba :  barrière de chantier éventrée, à la peau noire et à la chair rouge, agrémentée d’autres objets en plastiques et de bijoux, trouvés par l’artiste sur le chemin entre son atelier et son domicile. Cette pièce, comme l’ensemble des sculptures et reliefs de l’artiste, témoigne de l’attention qu’elle prête aux objets déchus et abandonnés dans l’espace urbain. Confrontant et assemblant les restes abimés aux souvenirs perdus, Emilie Soumba ornemente ses pièces et y apporte une certaine familiarité qui nous permet de nous en rapprocher, physiquement et émotionnellement.       

Tentatives de sauvetage

Derrière le parapente échoué, Cric, crac, bzz,… reste, comme une amphore, un vestige archéologique venu d’un temps et d’un espace lointains, d’une civilisation passée. Il s’agit pourtant de l’assemblage d’un ballon de basket, d’une cruche en faïence et de câbles d’écouteurs trouvés, eux aussi, sur le chemin quotidien de l’artiste. Archéologie de notre époque, il flotte dans l’espace, témoignant d’une présence humaine absentée.

En regard, le nageur, dans l’immensité bleue du Rêve d’été, lève le bras, nageant le crawl ou appelant à l’aide, rappelant que la mer, si elle est un lieu de plaisir pour les un.es, est celui de la fuite et de la tragédie pour d’autres.   

À l’heure où la loi immigration vient d’être votée, les tentatives de sauvetage métaphoriques et sensibles que mènent Emilie Soumba et Louis Simonnet m’apparaissent comme un écho à l’urgence à déployer, à l’échelle de la France, de l’Europe, dans les rues, en pleine mer, auprès de celles et de ceux que notre société rejette et abandonne.

Claire Kueny,  décembre 2023

 


EXPOSITION DE LOUIS SIMONNET & ÉMILIE SOUMBA

 » HORIZONS LIQUIDES « 

PERFORMANCE LIVE DE DEEAT PALACE

Exposition 19 janvier – 10 février 2024

> Émilie Soumba<

> Louis Simonnet <

La pièce sonore a fait l’objet d’une captation, diffusée ultérieurement sur Youtube et accessible sur les réseaux des Ateliers Vortex et d’Ici l’Onde.

 


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Crédits photographiques : © Pauline Rosen Cros, 2024

IN TWO IV

20 janvier —
18 février 2023


EXPOSITION D’ÉLODIE ARMATA & ALETHIA LECOQ DIAZ

CONCERT DE NINA GARCIA

Exposition 20 janvier – 18 février 2023

> Élodie Armata <

> Alethia Lecoq Diaz <

La pièce sonore a fait l’objet d’une captation, diffusée ultérieurement sur Youtube et accessible sur les réseaux des Ateliers Vortex et d’Ici l’Onde.

Une vision objective, c’est un regard qui se porte exclusivement sur les objets. Il n’en est pas question ici. C’est bien le vivant qui se présente à nous. Une structure de métal, évoquant une forme organique, repose sur un cercle jaune. Une pierre est couverte de perles de rocailles qui dégoulinent au sol, de ce socle pousse une enfilade de bouteilles en plastique, rappelant la forme d’une plante qui aurait trouvé les ressources dans la terre aride pour se hisser vers les hauteurs et grandir. Ces bouteilles sont généralement utilisées au Mexique pour protéger les extrémités des fers à béton, dans les maisons dont les étages supérieurs restent à construire. 

Une liane en mousse rose fluo, prenant la forme d’un tissage de fleurs, est suspendue devant un aplat bleu cobalt. On retrouvera cette forme rose dans certaines toiles d’Élodie Armata, comme si le volume de l’une allait cheminer dans les pièces de l’autre. Cette idée de balade, d’errance et de marche est un point de départ au travail des deux artistes. Un point de départ déjà en mouvement, visible dans les pièces, où les formes sont dynamiques. On s’étonnerait à peine de les voir bouger. 

La nature et l’artificiel ont une voix commune dans le travail d’Alethia Lecoq-Diaz. Les éléments créent de nouveaux paysages, avec des lignes de mire à suivre pour se perdre. Ces éléments sont récoltés dans les villes, en parcourant leurs marges et leurs failles, en y découvrant des possibles. « Façonnés d’un va-et-vient entre la France et le Mexique, ces nouveaux paysages mélangent leurs architectures, mais aussi leurs rouages, leurs fonctionnements explicites ou cachés, tant économiques qu’humains. » 

Quand Élodie Armata part en balade, de ces errances, elle collecte des éléments visuels dont elle s’empare pour les simplifier à l’extrême. Elle les traduit par un langage formel qui lui est propre, où les phénomènes apparaissent dans ce qu’ils ont d’essentiel. L’essentiel est-il la nature d’une chose dont on aurait enlevé le superflu et le contexte ? Ou au contraire, le contexte et le superflu sont-ils constitutifs de toute chose ? 

Au préalable conçues de manière numérique, Élodie Armata passe ensuite à la peinture acrylique, à la bombe et au bâton d’huile pour réaliser ses toiles. Plus qu’un brouillon préparatoire numérique, ce processus créatif nous parle du rapport que nous avons à l’image digitale et physique. Ses toiles forment ainsi une œuvre hybride, dont émanent avec la même intensité pixels et pigments. À mi-chemin entre l’abstraction et la figuration, l’important ici n’est pas de reconnaître et de nommer ce que nous voyons, mais de sentir la familiarité de ce qui se présente à nous, sans pour autant saisir tout ce qui est invoqué. 

Au-delà d’une vision polarisée de notre réalité, Élodie Armata et Alethia Lecoq-Diaz nous offrent une lecture sur les entre-deux du réel, où les détails comptent. Elles nous donnent à lire une vision particulière du monde, vivante et saturée. Un monde constitué d’infime et d’immense. C’est dans les interstices qu’elles y trouvent leur langage.

Marion Mucciante, 2023


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> Performance Vernissage IN TWO IV <


Crédits photographiques : © Siouzie Albiach, 2023

HISTOIRES DE DIJON ET DE BOURGOGNE

9 septembre – 5 novembre 2022


HISTOIRES DE DIJON ET DE BOURGOGNE

Exposition
Du 9 septembre au 5 novembre 2022

Emma Riviera <

Emma Riviera est née en 1995 à Paris. Elle vit et travaille entre Marseille, Arles et Paris. Après une licence en cinéma, elle intègre l’École supérieure de photographie d’Arles en 2017. C’est grâce à cette double approche, entre cinéma et photographie, que son travail assume une force narrative particulière. L’image, bien que statique, ne l’est jamais vraiment, en donnant lieu à des séries qui se conçoivent toujours comme des explorations, des périples, des récits envoûtants aussi mouvementés et captivants que des documentaires.

Les histoires se construisent autour de la rencontre. Rencontre de l’autre, rencontre du spectateur, rencontre d’un territoire : l’altérité est au coeur de la démarche, dans une époque où la photographie est bien souvent tournée vers le “soi”.
Emma Riviera voyage dans les communes françaises que l’actualité néglige : de l’ambiance un peu surréelle de Fos-sur-Mer aux habitants de Niort avec leurs histoires fascinantes, en passant par les “sorcières”, les marginaux, les vagabonds, celles et ceux qui sont sortis d’un tissu social excluant.
Ce sont des modes de vie autres qu’urbains qui attirent l’objectif de la photographe. Éminemment sociale, tout en restant résolument poétique, la photographie d’Emma Riviera tisse un lien entre des vies éloignées.
Le processus de monstration est, lui aussi, voué au partage : lors de moments d’échange avec le public, la photographe raconte des souvenirs et des anecdotes.

Le style est spontané, au plus près de ses sujets et du réel. Sans fioritures, et pourtant rempli de délicatesse et d’attention envers celles et ceux qui acceptent de se dévoiler. Une photographie qui privilégie la simplicité, autant dans les moyens déployés que dans l’approche des sujets. Les clichés sont tendres, comme ces photos de famille où les grands-parents, avec leurs rides magnifiques, semblent surpris par le flash un peu trop fort. Ils affichent souvent des sourires timides et pourtant fiers, solennels et pourtant ironiques… ils ont tous la classe dans ces photographies intimistes aux couleurs saturées.
Dans son processus, Emma Riviera fait le choix du soin, de l’échange, et parfois même de la vulnérabilité et du grotesque. Ces récits sont ceux d’une exploration à la frontière entre la norme et la marge.

Résidente à la Villa Pérochon en septembre 2021, elle a entamé une pérégrination à travers des villes françaises en commençant par Niort. Elle transforme alors sa résidence dans le Marais Poitevin en virée touristique, en tirant le portrait des habitants et en les accompagnant de cartes postales qui retranscrivent leurs histoires. Un homme dangereux, un sex-shop poussiéreux, une légende locale.
Mais aussi de la station spatiale Mir, un gosse avec son chiot, une foire de tracteurs qui ressemble aux États-Unis. On plonge dans les chroniques de Niort comme dans un roman contemplatif, parsemé de mystère et enveloppé dans un silence surréel et parfois franchement drôle.

À l’été 2022, Emma Riviera poursuit sa résidence aux Ateliers Vortex à Dijon. C’est ici qu’elle continue son enquête photographique.
L’ambiance se fait plus sombre que lors du précédent voyage à Niort : nous sommes enveloppés dans une atmosphère qui côtoie l’étrange. Histoires de Dijon et de Bourgogne retranscrit l’ambiance envoûtante du Morvan. C’est dans cette région naturelle que s’est concentré le travail d’Emma Riviera, happée par les paysages vigoureux et enveloppants.
Pendant cette résidence, la photographe a arpenté les alentours de Dijon, à la rencontre de personnages et de lieux aux allures de Twin Peaks. Pascal, ancien cheminot et photographe, fasciné par la “poésie ferroviaire”, a parcouru la Bourgogne en long et en large. Il évoque la nuit où il a dû faire face au premier accident sur les rails, mais aussi la fois où il a rencontré un énigmatique chasseur de vipères… On croise ensuite René, l’aubergiste fan de Mitterrand (on découvrira que beaucoup de Morvandiaux sont fans de l’ancien Président, qui fut député non loin d’ici), qui a racheté l’intérieur d’un pub en style anglais pour décorer son auberge en hommage aux années qu’il a passées à Londres. Janine, qui connaît le Morvan comme ses poches, est gardienne de son histoire particulière… et de la recette d’un dessert rare, le crapiaux.
Entre maisons qui prennent feu, le retour du lynx, les champs de sapins de Noël et bien d’autres histoires, on pénètre dans un récit aux airs de réalisme magique sud américain. Le tout, au cœur d’une canicule omniprésente, étourdissante, irréelle.

Costanza Spina
Septembre 2022


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> Conversation du 5 novembre 2022 <


Photographies : © Siouzie Albiach, 2022

SUBLIMATION

17 juin —
2 juillet 2022


SUBLIMATION

Exposition
Du 17 juin au 2 juillet 2022


Coline Jourdan <

En alchimie, la sublimation concerne la première préparation nécessaire qui consiste à purifier la matière par le biais de la dissolution et la réduction des principes de cette dernière afin de lui permettre, en libérant ses liens, d’agir. En psychanalyse, il sera plutôt question d’un mécanisme de défense, permettant la transformation même de nos pulsions; Freud voit en celle-ci la possibilité même d’acquisitions sensibles, morales et scientifiques de la pensée.
Plus encore, la chimie nous rappelle que ce procédé est avant tout une question de poussière.

Si Man Ray nous donnait des élevages de poussière, Coline Jourdan, elle, la soulève. Par l’exploration de territoires mutés, transformés par l’industrie humaine, où la présence du minéral égale celle du métal ; elle prélève autant qu’elle interroge les transformations de la matière, de la photographie aux paysages qu’elle traverse. Car si la photographie existe, elle est dépendante de ces éléments. De la main à la machine, les interactions sont multiples. Tel un laboratoire des métaux dans l’image et dans ses supports même, l’image n’est jamais fixe : elle tente de trouver son seuil. Elle est rendue possible, par le biais de la multiplication de gestes, de transformations de matières, de déplacements. Constellation sublime, ces prélèvements de territoires miniers dans l’image et dans les matières expérimentées, nous rappelle les conditions même d’apparition de l’image autant que de sa disparition. Sensible aux premiers procédés de fabrique de l’image, l’artiste interroge également la dépendance de son médium aux métaux présents dans les territoires qu’elle explore.

En fixant l’image, elle ne fait que jouer avec son mouvement, la photographie prend forme ; pluie d’étoiles et sédiments de paysages autant miniers que photographique. L’usage d’alliage nous rappelle ainsi la complexité des modes de productions à la fois photographique et industriel mais aussi des rapports humains qui se veulent d’abord sensible, d’une réaction en chaîne, d’une relation entre ses composants. De la noirceur résiste l’infime lumière, les nuances d’un monde qui puise dans sa propre bile.

Sublimation comme mouvement de matière, les éléments de ces territoires nous sont donnés à voir selon différents modes et typologies d’images. Objets-images, images-objets s’installent comme les observatoires autant que les supports de la toxicité du monde. Poète de poussière, entre métaux et minéraux s’invitent dans des expérimentations. De l’enquêtrice à la chimiste, se tracent des cartographies ponctuelles, d’objets vers lesquels s’approcher autant que de constellations d’imageries stellaires telle une roche qui éclate vers le ciel. Une énergie permanente, un tremblement de sol s’opère, un bruissement de l’image où l’oeil doit s’aiguiser, se laisser tenter autant qu’interroger; jouant sans cesse avec nos désirs et certitudes sensibles.

De terres remuées à l’extraction de matière, ces récoltes visuelles s’instituent même dans nos rapports de fascination, à celui des trésors. Ces derniers, par delà les époques, portent autant qu’ils opèrent à un mystère tangible comme la photographie peut le faire. De la même manière, le trésor entretient ainsi un rapport particulier à la question de l’invisibilité. Absent jusqu’à sa découverte, dérobé au regard voire enfoui ou dissimulé, le trésor se veut également omniprésent dans ce qu’il hante les esprits. Trésors ou débris du monde, la photographie comme l’extraction des matériaux métalliques induisent cette attraction particulière, agissant comme un révélateur de la puissance des désirs humains ; souffle qui se situe à la fois dans son pouvoir créateur autant que dans sa propre destruction.

« Rien ne peut être vu qui ne transmette son image à travers l’air » 1

« Il faut voir la terre avec la poitrine » 2

Que ce soit Du Bouchet ou De Vinci, ils font échos à ce qui se trouve au seuil de l’invisible. Soucieuse de la présence souvent invisible de substances toxiques dans l’air que nous respirons, la plasticienne questionne par ce biais la disparition de son propre dispositif.
Des particules toxiques autant que des liens de résistances, l’image entretient ce rapport ambigu. Cette partition visuelle où chaque élément nous renvoie autant à l’univers scientifique, industriel qu’à la plasticité poétique nous invite à voir autrement le paysage, les matières qui le constituent.
En déplaçant les gestes industriels tout en valorisant l’expertise du travail de la matière, l’ambiguïté du geste trouve son lieu dans cette rencontre privilégiée. Plus encore, la proposition en éclats dérive le regard, se joue de nos rapports de fascination et d’activation de la pensée. Voir autrement donc. S’interroger surtout. Le corps engagé à s’approcher, à observer, être happé au sol, à aller en toucher d’abord sa surface pour mieux révéler ses failles. De ferrotypes à la gravure, du papier peint à la présence minérale, poudre de cuivre à fragments de laiton, ces poussières sous différents états matérialisent nos modes d’être et d’agir. Des liens se tissent autant qu’ils se déchirent comme dans le bain d’arrêt de nos propres vulnérabilités. Dans les noirceurs du monde, les poussières se soulèvent ; où la lumière peut encore s’extraire ?

Jade Maily
Juin 2022


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> Extra résidence <


Photographies : © Siouzie Albiach, 2022

REVÊTEMENT, CICATRICES POLYCHROMES

11 mars —
16 avril 2022


REVÊTEMENT,
CICATRICES POLYCHROMES

Exposition
Du 11 mars au 16 avril 2022

> Flora Moscovici <

Flora Moscovici retouche. Par contact, dans un rapport physique avec les lieux qu’elle investit, elle applique de la couleur sur des surfaces existantes. Ainsi, elle enveloppe de peinture poudrée venant maquiller sans cacher. Ses plages atmosphériques sont des espaces qu’on foule, évoluant avec le monde qui les environne. En cela, l’artiste ne s’abstrait pas. Sans pour autant figurer. Son action cutanée pourrait relever d’une forme de restauration, qui nourrit et répare, rassasie et rafraîchit. Mais à l’inverse de la mission d’une conservatrice, elle transforme. Plutôt que de réfrigérer, elle impulse à l’œuvre une vie propre. C’est un organisme autonome, une créature, parfois balafrée. Et comme on ne part jamais de rien, Flora Moscovici s’aventure aujourd’hui à retravailler la mue d’une commande publique. Il y a quelques mois, sa peau s’affichait au soleil parisien, bien verticale, au cœur de la capitale. Arrachée à son emplacement royal, puis malmenée dans l’obscurité d’un parking souterrain, la voilà couchée dans une friche industrielle. Les plaies d’un tel traitement se révèlent au déploiement du grand épiderme, dont on ne camoufle pas les stigmates. Nimbes et hématomes en font la palette. Des pigments sont apposés en baume. Des soins plastiques sont prodigués en ce milieu synthétique d’acryliques polyuréthanes sur polychlorure de vinyle. La façade se ravale. À panser ces blessures, l’artiste tranche sans violence. Œuvrant à la coupe, elle opère en couture et sutures. Alors on change d’échelle, du plein air au huis clos, d’un abord monumental à la promiscuité, du hiératique au gisant. Ce transfert est à la fois un grand renversement et un retour aux origines, la bâche ayant initialement été peinte au sol. Photosensible à sa manière, elle rend au dedans, tout ce qu’elle a absorbé dans la rue, et continue de faire rayonner l’empreinte de son exposition.

Joël Riff
Moly-Sabata
février 2022


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> Conversation du 2 avril 2022 <


Photographies : © Siouzie Albiach et © Les Ateliers Vortex, 2021

ACIDE

15 octobre —
20 novembre 2021


ACIDE

Exposition
Du 15 octobre au 20 novembre 2021

> Sarah del Pino <

J’avais la veille fait tomber de l’échelle une vieille bouteille d’éther
explosa au sol nous électrisant tous
dans les épaules
dans les éthers, l’étiquette jaune, les pictogrammes défaits
une fumée vieille, très loin dans les ères
une fumée jaune partout au sol et sur la main, sur le chemin pour descendre, changeait de couleur
avec la chaleur
(l’effervescence) du béton     des fleurs gonflaient…
selon mon angle, le sien, je m’imaginais les couleurs
que je prenais dans ce nuage et
vu du bas…

…ses bulles sauvages et ses éthers, ses bouteilles d’éclairs… ses vieilles pierres
à muter     faire surface,
    des fontaines, des meurtrières,
à sourdre.     (des rondes noires au sol se levaient des masses sourdes)

quelle force les poussait ?
je cherchais… un mécanisme, une sorcellerie, la règle d’une
divination
la chimie de ces murs
où j’aurais pu entrer…
    coincé mon regard à la sortie d’un trou, comme à un serpent le terrier.
Là,     verticale et maudite,       une eau vieille et numérique
sorceleuse
    tournait,
(coagulait et semblait ralentir)
l’eau bleu d’un tournesol
tournait
en une eau rouge, protique, grumeleuse

des effluves entre nous, glacées, vernies, vitrées
s’échangeaient…
des branches d’hiver     de sureau, givrées
une nuée froide entre nos yeux
continuait de brûler les graisses de mon cerveau.

…m’est alors venu d’y jeter quelque chose (nous étions ensemble le mur et moi)
trouvant donc
au mur un puits

                   (ou cette fontaine acide d’où sortiraient les pierres)

Valentin Degueurce


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Photographies : © Siouzie Albiach, 2021