SUBLIMATION

Exposition
Du 17 juin au 2 juillet 2022


Coline Jourdan <

En alchimie, la sublimation concerne la première préparation nécessaire qui consiste à purifier la matière par le biais de la dissolution et la réduction des principes de cette dernière afin de lui permettre, en libérant ses liens, d’agir. En psychanalyse, il sera plutôt question d’un mécanisme de défense, permettant la transformation même de nos pulsions; Freud voit en celle-ci la possibilité même d’acquisitions sensibles, morales et scientifiques de la pensée.
Plus encore, la chimie nous rappelle que ce procédé est avant tout une question de poussière.

Si Man Ray nous donnait des élevages de poussière, Coline Jourdan, elle, la soulève. Par l’exploration de territoires mutés, transformés par l’industrie humaine, où la présence du minéral égale celle du métal ; elle prélève autant qu’elle interroge les transformations de la matière, de la photographie aux paysages qu’elle traverse. Car si la photographie existe, elle est dépendante de ces éléments. De la main à la machine, les interactions sont multiples. Tel un laboratoire des métaux dans l’image et dans ses supports même, l’image n’est jamais fixe : elle tente de trouver son seuil. Elle est rendue possible, par le biais de la multiplication de gestes, de transformations de matières, de déplacements. Constellation sublime, ces prélèvements de territoires miniers dans l’image et dans les matières expérimentées, nous rappelle les conditions même d’apparition de l’image autant que de sa disparition. Sensible aux premiers procédés de fabrique de l’image, l’artiste interroge également la dépendance de son médium aux métaux présents dans les territoires qu’elle explore.

En fixant l’image, elle ne fait que jouer avec son mouvement, la photographie prend forme ; pluie d’étoiles et sédiments de paysages autant miniers que photographique. L’usage d’alliage nous rappelle ainsi la complexité des modes de productions à la fois photographique et industriel mais aussi des rapports humains qui se veulent d’abord sensible, d’une réaction en chaîne, d’une relation entre ses composants. De la noirceur résiste l’infime lumière, les nuances d’un monde qui puise dans sa propre bile.

Sublimation comme mouvement de matière, les éléments de ces territoires nous sont donnés à voir selon différents modes et typologies d’images. Objets-images, images-objets s’installent comme les observatoires autant que les supports de la toxicité du monde. Poète de poussière, entre métaux et minéraux s’invitent dans des expérimentations. De l’enquêtrice à la chimiste, se tracent des cartographies ponctuelles, d’objets vers lesquels s’approcher autant que de constellations d’imageries stellaires telle une roche qui éclate vers le ciel. Une énergie permanente, un tremblement de sol s’opère, un bruissement de l’image où l’oeil doit s’aiguiser, se laisser tenter autant qu’interroger; jouant sans cesse avec nos désirs et certitudes sensibles.

De terres remuées à l’extraction de matière, ces récoltes visuelles s’instituent même dans nos rapports de fascination, à celui des trésors. Ces derniers, par delà les époques, portent autant qu’ils opèrent à un mystère tangible comme la photographie peut le faire. De la même manière, le trésor entretient ainsi un rapport particulier à la question de l’invisibilité. Absent jusqu’à sa découverte, dérobé au regard voire enfoui ou dissimulé, le trésor se veut également omniprésent dans ce qu’il hante les esprits. Trésors ou débris du monde, la photographie comme l’extraction des matériaux métalliques induisent cette attraction particulière, agissant comme un révélateur de la puissance des désirs humains ; souffle qui se situe à la fois dans son pouvoir créateur autant que dans sa propre destruction.

« Rien ne peut être vu qui ne transmette son image à travers l’air » 1

« Il faut voir la terre avec la poitrine » 2

Que ce soit Du Bouchet ou De Vinci, ils font échos à ce qui se trouve au seuil de l’invisible. Soucieuse de la présence souvent invisible de substances toxiques dans l’air que nous respirons, la plasticienne questionne par ce biais la disparition de son propre dispositif.
Des particules toxiques autant que des liens de résistances, l’image entretient ce rapport ambigu. Cette partition visuelle où chaque élément nous renvoie autant à l’univers scientifique, industriel qu’à la plasticité poétique nous invite à voir autrement le paysage, les matières qui le constituent.
En déplaçant les gestes industriels tout en valorisant l’expertise du travail de la matière, l’ambiguïté du geste trouve son lieu dans cette rencontre privilégiée. Plus encore, la proposition en éclats dérive le regard, se joue de nos rapports de fascination et d’activation de la pensée. Voir autrement donc. S’interroger surtout. Le corps engagé à s’approcher, à observer, être happé au sol, à aller en toucher d’abord sa surface pour mieux révéler ses failles. De ferrotypes à la gravure, du papier peint à la présence minérale, poudre de cuivre à fragments de laiton, ces poussières sous différents états matérialisent nos modes d’être et d’agir. Des liens se tissent autant qu’ils se déchirent comme dans le bain d’arrêt de nos propres vulnérabilités. Dans les noirceurs du monde, les poussières se soulèvent ; où la lumière peut encore s’extraire ?

Jade Maily
Juin 2022


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Photographies : © Siouzie Albiach, 2022