MEUNIER, TU DORS

Exposition
Du 17 mars au 29 avril 2023

Nathan Carême <

« Régulièrement, des habitants de Marsannay-le-Bois, Épagny et Savigny-le-Sec ressentent des vibrations dans leurs maisons. Certains constatent des fissures. Les regards se tournent vers la carrière Socalcor, située dans les communes d’Épagny et Savigny-le-Sec. »

Le Bien Public, 09/10/2018

Ça commence comme ça, on parle avec Nathan de quelque chose qui vient du sol, qui perturbe. Il me raconte que les gens qui habitent à côté de la carrière dans laquelle il a filmé Le Marchand de Sable se plaignent de vibrations venues du sol. Je lui parle de Signes de Vie de Herzog, il me semble que les vibrations du sol provoquées par les canons font croire au personnage principal que le diable lui parle. Je ne m’en souviens pas vraiment alors je ne m’étends pas. On parle d’une vidéo virale, en Chine des centaines de moutons se sont mis à tourner en rond sans interruption pendant 12 jours consécutifs. Une théorie émerge, les moutons auraient la listériose, une maladie qui cause des troubles de l’orientation. Mais le propriétaire dit que ses moutons sont en bonne santé. C’est écrit en gras dans l’article que je lis, je trouve ça bien, c’est une sorte de clef de voûte d’une interprétation mystique de l’événement. On parle au téléphone de ça, du côté mystique et du côté viral de certaines infos. On parle de fourmis qui, lorsqu’elles perdent le chemin de leur essaim se mettent ensemble à tourner en rond jusqu’à mourir d’épuisement. Le parallèle avec l’expo est bien, elle s’appelle Meunier Tu Dors comme la chanson pour enfants. Les paroles d’origines sont celles-ci :

« Meunier tu dors, ton moulin, ton moulin va trop vite
Meunier, tu dors, ton moulin, ton moulin va trop fort
Ton moulin, ton moulin va trop vite
Ton moulin, ton moulin va trop fort »

Un moulin tournant trop vite peut exploser à cause de la poussière de farine qu’une étincelle issue des meules embrase. Wikipédia dit que d’autres paroles ont été ajoutées par la suite. Ça dit :

« Meunier tu dors, et le vent souffle souffle
Meunier tu dors, et le vent souffle fort
Les nuages, les nuages viennent vite,
Et l’orage et l’orage gronde fort !
Les nuages, les nuages viennent vite,
Et l’orage et l’orage gronde fort !
Le vent du Nord a déchiré la toile
Meunier, tu dors, ton moulin est bien mort »

La citation est pratique, elle me permet de mettre le mot mort que je ne voulais pas employer moi-même, mais plutôt convoqué, comme là avec la chanson, donc c’est fait. Je ne voulais pas parce que l’expo de Nathan ne parle pas de la mort, mais pourtant l’évoque. Elle rôde. Je pense à L’Intruse de Maurice Maeterlinck, une pièce de théâtre dans laquelle un vieil aveugle sent la mort arriver dans la maison pendant un repas de famille.

Non, la mort, il faudrait arriver à ne pas en parler dans le texte, juste la rendre présente. En fait, ce que je voudrais dire au sujet de l’expo de Nathan serait plutôt une histoire de poussière. On reparle de la vidéo, tournée dans la carrière évoquée dans l’article plus haut. La vidéo s’appelle Marchand de Sable, je lui dis que c’est marrant, à cause de Le Marchand de Sable, les gens des villages n’arrivent pas à dormir. On commence à parler de contradiction. Je lui rappelle que lorsqu’il m’a demandé d’écrire le texte, il m’avait dit « Je ne sais pas encore, mais l’expo sera sûrement un genre de grenier ». Alors qu’au téléphone, on ne parle que du fait d’être sous terre. Il me dit à ce sujet qu’une des photos de l’expo s’appellera Ci-dessus, ci-bas.

Je repense à mon histoire de poussière. Il veut remplir l’espace de ouate de cellulose et appeler ça Congère, comme les amas de neige entassés par le vent. Je lui parle de vrombissement, je lui dis que j’aimerais bien écrire le texte à ce sujet. Je lui dis que j’ai l’impression que son expo serait comme la poussière qui vrombit de manière infime, mais effective lorsqu’un train passe proche d’un grenier. Qu’il s’opérerait à ce moment-là une sorte d’ébranlement total d’une surface, de manière invisible. Il me dit qu’il n’aime pas trop les trains et qu’il préférerait que le texte n’en parle pas. Je pense quand même que l’image à une justesse, que je pourrais l’utiliser. Je crois qu’il faudrait que je précise. On parle un peu de nuées ardentes qui pétrifient tout, d’un coup net. On parle du fait que nous avons mis le même jour une photo d’un radiateur soufflant de la marque Pompéi en story sur Instagram, que nous avions tous les deux vu à Vortex, mais à des moments différents. Je repense aux nuées ardentes. C’est une nouvelle contradiction, après le fait que l’expo soit proche du ciel et sous terre à la fois, pour reprendre une expression utilisée pendant notre conversation. Elle évoque quelque chose qui se fige de manière instantanée et très lente en même temps. Je pense au paradoxe qui apparaît lorsque l’on pense à Pompéi, un évènement très soudain, qui a figé les choses en quelques secondes à peine, mais sur lequel deux mille ans sont passés ensuite. Il y a ce dialogue entre un instant précis, disruptif et un lent déclin. On parle de Robert Smithson et de sa métaphore de l’entropie :

« Imaginez un bac à sable divisé en deux, avec du sable noir d’un côté et du sable blanc de l’autre. Nous prenons un enfant et le faisons courir des centaines de fois dans le sens des aiguilles d’une montre dans le bac jusqu’à ce que le sable se mélange et commence à devenir gris ; ensuite, nous le faisons courir dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, mais le résultat ne sera pas une restauration de la division originale, mais un plus grand degré de grisaille et une augmentation de l’entropie. »

Nathan m’écrit plusieurs jours après pour savoir si le texte avance, je lui dis que je voudrais faire un texte qui ne parle pas de l’expo, mais qui évoque des choses, comme le fait son expo, elle ne parle pas d’une histoire, mais elle en évoque plein. Il est d’accord.

Andréa Spartà, 2023


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Photographies : © Siouzie Albiach, 2023