OPÉRATION STASE

8 septembre – 4 novembre 2023

opération stase

Exposition
Du 8 septembre au 4 novembre 2023

> Anaïs Gauthier <

 

Avant même de pénétrer dans l’installation comme on pénétrerait à l’intérieur d’un ventre sacré et mécanique, il y a ce bruit. Le clapotis léger des fluides qui s’échappent de leur matrice, le ronronnement des treuils qui s’activent dans un mouvement de va-et-vient continu. En bas des escaliers, un lustre oscille dans le creux d’un puit de lumière. Il annonce la valse cinétique qui se joue plus haut. Et puis nous y sommes. Où  ? On ne saurait dire avec certitude. Parce que révélée, rejouée, prolongée, l’architecture du lieu s’efface presque pour laisser place à un environnement composé de strates qui font chorale. Un rhizome suspendu de tuyauterie transperce la pièce de part et d’autre, permettant une circulation des fluides et la mise en réseau complexe du système à l’oeuvre. Aux extrémités des canalisations, deux lustres constitués d’une superposition d’inox, de cire et de silicone s’abaissent lourdement de façon résolument dramatique. En s’abaissant, ils s’enlisent dans une eau laiteuse contenue dans de larges réservoirs recouverts de mosaïques bleu pâle et vertes. L’ensemble s’entremêle au sein de l’espace devenu le support d’un fantasme de chair et d’acier.

Le titre même de l’œuvre, Opération Stase, évoque une introspection tout autant qu’une volonté d’observer ce qui est latent, de scruter la mécanique profonde de l’univers qui échappe généralement à notre regard. Anaïs Gauthier nous plonge au cœur d’un environnement aseptisé, quelque part entre le monde médical et industriel. Finalement, il s’agit ici de prendre « soin des choses » pour reprendre les termes de Jérôme Denis et David Pontille qui explorent dans leur ouvrage éponyme1 le fragile qui nous entoure et la notion de maintenance en tant qu’ « art de faire durer ». Ce soin des choses est aussi celui de tous les corps, abîmés, morcelés, imparfaits qui trouvent refuge au sein de cette architecture où la mosaïque domine, non sans rappeler celle du hammam ou des thermes. Symboliquement, l’eau occupe une place centrale dans cette pièce, à la fois purificatrice et incontrôlable, telle une force insaisissable. Cependant, l’équilibre semble vaciller, car l’installation suggère un possible dysfonctionnement. Un paradoxe s’installe : cet espace, conçu pour prodiguer des soins, est empreint de souillure, marqué par la poussière noire issue de cette ancienne friche industrielle, comme mis à mal par le temps et les épreuves. Le réseau tentaculaire d’acier qui se déploie dans l’espace évoque de son côté un mécanisme défaillant  : les tuyaux qui le composent sont colmatés par endroit par du tissu, dans une tentative de maîtriser des fuites effrontées.

Fragile et irriguée par une source mystérieuse, l’installation se révèle vivante, vibrante de couleurs qui évoquent la vigueur d’un organisme en perpétuel mouvement. Ici, la défaillance est celle des machines et des corps, deux entités qui semblent fusionner au sein de l’oeuvre. Questionnant les dispositifs de pouvoir qui les aliènent toutes deux, l’artiste envisage leur émancipation par la métamorphose et leurs mutations possibles. On pense alors à Silvia Federici et son ouvrage Par-delà les frontières du corps2 qui pense celui-ci comme un objet historique, domestiqué, violenté à se réapproprier. Pour cela, Silvia Federici propose : écoutons attentivement le langage du corps, en saisissant sa fragilité et ses imperfections, afin de rétablir la connexion magique qui nous unit et dépasser ainsi les limites artificielles qui nous séparent. De même, Anaïs Gauthier transfigure le vocabulaire industriel pour questionner l’altération des corps et tenter de les réparer. Opération Stase se découvre telle une énigme visuelle, un territoire délicat, sensoriel, existentiel qui nous plonge dans une « affectologie » propre à la sphère du soin. Avec son installation l’artiste nous entraîne dans une traversée en quête de sens, où chacun·e est convié·e à observer l’inobservable et à méditer sur sa fragilité latente.

Lena Peyrard

 

1  Jérôme Denis, David Pontille « Le soin des choses : politique de la maintenance », 2022. Editions la Découverte

2 Silvia Federici « Par-delà les frontières du corps », 2020. Editions Divergences


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Photographies : © Pauline Rosen-Cros, 2023

HISTOIRES DE DIJON ET DE BOURGOGNE

9 septembre – 5 novembre 2022


HISTOIRES DE DIJON ET DE BOURGOGNE

Exposition
Du 9 septembre au 5 novembre 2022

Emma Riviera <

Emma Riviera est née en 1995 à Paris. Elle vit et travaille entre Marseille, Arles et Paris. Après une licence en cinéma, elle intègre l’École supérieure de photographie d’Arles en 2017. C’est grâce à cette double approche, entre cinéma et photographie, que son travail assume une force narrative particulière. L’image, bien que statique, ne l’est jamais vraiment, en donnant lieu à des séries qui se conçoivent toujours comme des explorations, des périples, des récits envoûtants aussi mouvementés et captivants que des documentaires.

Les histoires se construisent autour de la rencontre. Rencontre de l’autre, rencontre du spectateur, rencontre d’un territoire : l’altérité est au coeur de la démarche, dans une époque où la photographie est bien souvent tournée vers le “soi”.
Emma Riviera voyage dans les communes françaises que l’actualité néglige : de l’ambiance un peu surréelle de Fos-sur-Mer aux habitants de Niort avec leurs histoires fascinantes, en passant par les “sorcières”, les marginaux, les vagabonds, celles et ceux qui sont sortis d’un tissu social excluant.
Ce sont des modes de vie autres qu’urbains qui attirent l’objectif de la photographe. Éminemment sociale, tout en restant résolument poétique, la photographie d’Emma Riviera tisse un lien entre des vies éloignées.
Le processus de monstration est, lui aussi, voué au partage : lors de moments d’échange avec le public, la photographe raconte des souvenirs et des anecdotes.

Le style est spontané, au plus près de ses sujets et du réel. Sans fioritures, et pourtant rempli de délicatesse et d’attention envers celles et ceux qui acceptent de se dévoiler. Une photographie qui privilégie la simplicité, autant dans les moyens déployés que dans l’approche des sujets. Les clichés sont tendres, comme ces photos de famille où les grands-parents, avec leurs rides magnifiques, semblent surpris par le flash un peu trop fort. Ils affichent souvent des sourires timides et pourtant fiers, solennels et pourtant ironiques… ils ont tous la classe dans ces photographies intimistes aux couleurs saturées.
Dans son processus, Emma Riviera fait le choix du soin, de l’échange, et parfois même de la vulnérabilité et du grotesque. Ces récits sont ceux d’une exploration à la frontière entre la norme et la marge.

Résidente à la Villa Pérochon en septembre 2021, elle a entamé une pérégrination à travers des villes françaises en commençant par Niort. Elle transforme alors sa résidence dans le Marais Poitevin en virée touristique, en tirant le portrait des habitants et en les accompagnant de cartes postales qui retranscrivent leurs histoires. Un homme dangereux, un sex-shop poussiéreux, une légende locale.
Mais aussi de la station spatiale Mir, un gosse avec son chiot, une foire de tracteurs qui ressemble aux États-Unis. On plonge dans les chroniques de Niort comme dans un roman contemplatif, parsemé de mystère et enveloppé dans un silence surréel et parfois franchement drôle.

À l’été 2022, Emma Riviera poursuit sa résidence aux Ateliers Vortex à Dijon. C’est ici qu’elle continue son enquête photographique.
L’ambiance se fait plus sombre que lors du précédent voyage à Niort : nous sommes enveloppés dans une atmosphère qui côtoie l’étrange. Histoires de Dijon et de Bourgogne retranscrit l’ambiance envoûtante du Morvan. C’est dans cette région naturelle que s’est concentré le travail d’Emma Riviera, happée par les paysages vigoureux et enveloppants.
Pendant cette résidence, la photographe a arpenté les alentours de Dijon, à la rencontre de personnages et de lieux aux allures de Twin Peaks. Pascal, ancien cheminot et photographe, fasciné par la “poésie ferroviaire”, a parcouru la Bourgogne en long et en large. Il évoque la nuit où il a dû faire face au premier accident sur les rails, mais aussi la fois où il a rencontré un énigmatique chasseur de vipères… On croise ensuite René, l’aubergiste fan de Mitterrand (on découvrira que beaucoup de Morvandiaux sont fans de l’ancien Président, qui fut député non loin d’ici), qui a racheté l’intérieur d’un pub en style anglais pour décorer son auberge en hommage aux années qu’il a passées à Londres. Janine, qui connaît le Morvan comme ses poches, est gardienne de son histoire particulière… et de la recette d’un dessert rare, le crapiaux.
Entre maisons qui prennent feu, le retour du lynx, les champs de sapins de Noël et bien d’autres histoires, on pénètre dans un récit aux airs de réalisme magique sud américain. Le tout, au cœur d’une canicule omniprésente, étourdissante, irréelle.

Costanza Spina
Septembre 2022


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Photographies : © Siouzie Albiach, 2022

LOUCHE

4 septembre —
3 octobre 2020


LOUCHE

Exposition 4 septembre — 3 octobre 2020

> Ken Sortais <

Le plumage est sombre, l’œil fixe et menaçant laisse entrevoir le théâtre du drame à venir. Si Opera du cinéaste italien Dario Argento s’ouvre sur le regard prismatique de l’oiseau de mauvais augure, celui-ci vient clore l’exposition de Ken Sortais par une présence discrète. À la manière d’un scénario horrifique dans lequel l’étau se resserre sur la proie, Ken accule le visiteur dans un repère de volatiles. Seule présence humaine jusque-là tolérée, le Moïse pétrifié témoigne du désir de vengeance des créature à plumes.

Composant son exposition comme un tableau de chasse, Ken Sortais dévoile, pour partie, les rouages de ses obsessions. Promeneur solitaire, c’est d’abord par l’exploration urbaine et la recherche en ligne qu’il identifie l’objet de son récit. Il s’approprie ainsi des images qu’il détourne, des formes qu’il réplique par le moulage. De la rue il passe à l’atelier et emprunte au passage à la culture du graffiti, écho à sa vie antérieure. Abandonnant une pratique nocturne interlope, il recentre son champ d’intervention sur l’espace à investir.

C’est ici que la vision se trouble. Ken Sortais obscurcit et transforme la salle. De la chouette, emblème unique et chéri, il fait une nuée qu’il saccage dans un réflexe adolescent. Des têtes de pigeons difformes sont lacérées et frottées, dans une veine tentative d’effacement. Mais d’étranges formes rebondies et charnues semblent s’interposer, temporisant la violence de ses gestes. Icônes classiques et cartoonesques, sculptures à la sensualité picturale, et installations monumentales emplies d’air, parachèvent l’esprit duel du travail de Ken Sortais. Cette dualité semble louche à tous points de vue : résultant du regard divergent que l’artiste pose sur son environnement, elle sème le trouble, laissant derrière elle un sentiment vague de malaise, d’inquiétude.

Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal 1, les oiseaux prennent possession des Ateliers Vortex et Ken Sortais nous invite à pénétrer le nid.

1. Jose Maria de Heredia,  « Les conquérants », Les trophées, Paris, Gallimard, 1981 [1893].

Marion Payrard


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Photographies: © Les Ateliers Vortex, 2020

PROSPECTIVE PARESSEUSE

3 septembre —
2 octobre 2021


PROSPECTIVE PARESSEUSE

Exposition Du 3 septembre au 2 octobre 2021

> Cédric Esturillo <

Ambiance post-indus. Vous passez une grande porte grise et traversez un corridor grillagé. Au bout, un escalier de métal. Vous l’empruntez, et en gravissant les marches cernées de bâche, vous vous sentez l’âme d’Amanda Ripley, errant dans la station Sébastopol en quête d’une boîte noire. Un peu inquièt·e, vous guettez ce qui vous attend en haut de ces marches, et à mesure que vous montez, vous apercevez une forme massive, grise et rouge, qui vous surplombe. Vous entrez dans « Prospective Paresseuse », exposition de Cédric Esturillo aux Ateliers Vortex.

Vous regardez autour, en quête d’indices. L’époque des objets qui vous entourent est mystérieuse, l’atmosphère est lourde. Il fait rouge et gris, la lumière est bâchée. Des formes à la fois minérales et organiques sortent de terre. Vous faites toujours face à la sculpture qui vous a acceuilli·e, I.N.R.S.M. , sorte d’autel-comptoir-cheminée semblant fait de pierre, orné d’un bas-relief fait de mains coupées, fraîchement saignantes. Doigts et crêtes torturées émergent carrément du comptoir, poussant sous sa surface – serait-ce le malheureux destin de celleux qui ont érigé ce monument, ou bien une mise en garde ? Des pics vous surplombent, cerclant la cheminée de cet étrange monument. Vous vous approchez quand même, découvrez que la pierre n’est autre que du bois peint et une étrange céramique posée sur le comptoir…. preuves autant que troubles pour la quête temporelle que vous menez ici. Êtes-vous face à des restes d’une civilisation disparue ? Rien n’est moins sûr.

En parcourant l’exposition, vous vous rendez bien compte que I.N.R.S.M. a donné le ton. L’espace alentour semble s’organiser avec un motif commun. Formes et objets se répondent, leur provenance et leur datation sont ambiguës. Sorties de terre ou embarquées d’un ailleurs avec leur sol, les sculptures de Cédric Esturillo mélangent et citent des esthétiques distinctement reconnaissables – mobilier gallo-romain, architecture industrielle, medieval fantasy ou dark science-fiction – pour néanmoins semer la confusion dans nos esprits. De quoi, de quand, ces sculptures sont-elles témoins ?

Tout semble presque en ruine, figé dans la raideur du MDF et de la couche de peinture effet pierre. Sauf que cela semble bouger, que la chair rouge du bois teinté entame une sortie de sa pétrification, tel l’entrelacs de mains de Nostromo. Sous la pierre, un charnel à vif presque cronenbergien fait muter les décombres. Ceci dit, cette même main, à peine sortie, se trouve réceptacle de chaînes et d’agglomérats de coquillages. La transition semble alors permanente, pierre devenant chair devenant reliquaire. A force de trouble, on comprend bien que dans « Prospective paresseuse », le temps est donc bien une donnée centrale, autant que celle de la fiction.

La question du quand se double alors d’une quête des secrets que renferment les objets. Disséminées dans l’exposition, elles-mêmes posées sur d’autres œuvres, des céramiques aux allures de parasites aliens gothiques renferment des fioles de sérum physiologique, devenu un précieux liquide encapsulé dans son écrin. Un liquide aujourd’hui aisément acquérable devient alors une fiole magique. À quel moment est-il donc devenu une denrée si rare qu’on en fait une inestimable relique ? Se dessine alors le scénario d’un futur post-apocalyptique, où l’eau, même salée, ne se trouve plus qu’en fioles, où pollution, fumigènes et pourquoi pas tempêtes stellaires ne laissent à nos yeux aucun répit.

Quelque chose s’est passé, qui ressemble plus à une usure qu’à une déflagration. En témoignent les lambeaux de bâche pendant aux barreaux déformés de grilles qu’il nous semble avoir déjà vues à l’entrée du site. Dans ce futur, plus ou moins proche mais définitivement rétro, la joaillerie bon marché nineties se charge de spiritualité. On jette une pièce dans le réceptacle de Billie – bénitier de céramique aux allures de divinité aquatique – et on souhaite de tout cœur que l’avenir ne soit pas trop sombre, l’environnement trop hostile à la vie. Des traces en subsistent, l’habitation est possible. Il y a encore quelqu’un dans le vaisseau : une table nous attend.

La table appendice n’est néanmoins pas très rassurante, sous son allure de mobilier mutant. Sa base coralienne et son plateau-placenta donnent l’impression qu’elle est prête à engloutir ce qui s’y trouve. Dessus, un cendrier et des verres en métal nous laissent pourtant penser que l’on pourrait s’y installer, ou que quelqu’un·e vient tout juste de quitter les lieux. Au design rudimentaire, semblant avoir été fait dans des pièces automobiles, ces objets usuels laissent penser à un futur plus rafistolé qu’high-tech et clinquant. Se pourrait-il que les verres contiennent « L’Épice », substance aussi rare que précieuse en provenance d’Arrakis ? Le cendrier, quant à lui, fait aujourd’hui figure d’anachronisme dans un lieu public. Mais qu’importe, installons-nous confortablement dans un futur post-apocalyptique eighties. La boucle serait bouclée, on reviendrait sur nos pas dans la base Sébastopol, avec ses cartes à puces et téléphones filaires. La prospection aura été courte, puisqu’elle nous aura ramené·e·s dans le temps. Il semble cependant quelque peu risqué de se complaire dans la rétrospection – la créature rôde toujours dans les couloirs.

Au cœur de cette atmosphère rétrofuturiste sombre, Cédric Esturillo nous donne précisément à réfléchir sur l’idée que l’on se fait du futur et sur les représentations dont cette projection est pétrie. Ses ruines et reliques sont elles-mêmes des représentations, aussi dark que pop, et hybrident des codes visuels couvrant plusieurs siècles. Plus que le futur, nous nous trouvons dans le décor que la science-fiction et la fantasy lui ont imaginé il y a de cela plusieurs dizaines d’années. C’est dystopique mais rien ne s’effondre, à part peut-être notre prise sur le réel et sur le temps présent. Nous voilà donc coincé·e·s dans une reconstitution de futurs qui ne sont pas advenus, un cimetière pop. C’est alors là que la prospection relèverait d’une certaine paresse, que le titre élusif et oxymorique prend tout son sens. La proprension à imaginer le futur se retrouve, telle cette chair imbriquée dans la pierre, cantonnée à recycler le passé comme un style qui évoquerait, de fait, un rétrofuturisme. Serait-on en train de constater la « lente annulation du futur » formulée par le philosophe Mark Fisher ? Hanté par le passé, imbibé de « nostalgie formelle », le futur bouclerait, perdant de sa substance à chaque révolution. Indolemment, on accepterait alors de se laisser couler dans le reconnaissable, quitte à ce qu’il soit sombre et inhospitalier.

Entre de divers et lointains dark ages, et le pendentif dragon star des nineties, on pourrait presque y croire. Sauf que quelque chose coince, il y a un grain de sable dans ces rouages nostalgiques. On se pique à un chardon sec et l’on se réveille. Nous l’avons dit, nous sommes dans un décor, une fiction, qui assume pleinement sa facticité comme la peinture pierre affirme son trompe-l’oeil. Mais loin de nous offrir une fiction purement dystopique ou bien même un constat d’un monde en dérive, Cédric Esturillo nous ouvre une brèche, pour ne pas sombrer dans une torpeur certes rassurante, mais mortifère. Dans le futur de « Prospective Paresseuse », les choses bougent encore. Le corps n’est ni augmenté par la technologie, ni par une substance extraterrestre, mais il fait tenir les choses entre elles. Mieux, il en sort, à vif et grouillant de vie. On trouve là une forme de spiritualité, de lien entre matière vivante et inerte, que les céramiques reliquaires ne viendront pas contredire. Et si les sculptures peuvent sembler des tombeaux, elles sont pour autant déjà devenues le socle d’autres histoires, accueillant d’autres sculptures ou devenant mobilier.

Dans l’exposition, formes, objets et matières sont, plus qu’en mutation, en transition. Le serpent qui a abandonné sa mue dans Shai-Hulud peut alors se lire comme un signe, celui d’une perpétuelle transformation. La magie que l’on nous sommait de chercher en introduction ne réside peut-être pas dans un artefact, et sa quête est peut-être vaine. Néanmoins, les possibilités restent ouvertes pour sortir de notre torpeur, et c’est peut-être cette idée de mouvement, de retournement des choses qu’il nous faut continuer de chercher.

Carin Klonowski, septembre 2021


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> Conversation du 2 octobre 2021 <


Photographies : © Siouzie Albiach, 2021

SIGNAL MOUVEMENT

6 septembre —
4 octobre 2019

 
 
 
 
 
 
 
 
VIOLAINE LOCHU SIGNAL MOUVEMENT ATELIERS VORTEX
 
 

SIGNAL MOUVEMENT

Exposition
6 septembre – 4 octobre 2019

> Violaine Lochu <

En quelques années soudain Violaine Lochu a mis en place une formidable pratique artistique intense qui du micro au macrocosme redélimite à chacune de ses interventions un champ très spécifique qui partant des marges et schyze de l’art contemporain en interroge ses devenirs avec acuité.

Sa démarche, avec ambition, associe pièces sonores, performances, vidéos, installations, dessins, partitions et improvisations, perceptions et collections, effets de savoir comme de désynchronisation, autant d’éléments (au très pluriel) qui pourraient paraître chaotiques ensemble, tant leurs logiques visuelles, poétiques, sculpturales, heuristiques sont pour le moins antinomiques. Et pourtant que se passe-t-il ? Au centre de son travail, à chaque fois, comme un pari, elle lance et disperse le matériau de sa propre voix diffractée merveilleusement mobile labiale pharyngée et ultra-maîtrisée, dont l’expertise la plus classique lui fait effacer la trace. Il y a d’abord l’instant de l’enquête, de la collecte, car sa méthode a toujours aussi quelque chose en mouvement d’empirico/technico/anthropo/socio/musico/inventivo/analytique. Ce qui en résulte, ce qu’elle donne à entendre et qui fusionne est proprement explosif talentueux stupéfiant.

Ce que recommence Violaine Lochu a certainement à voir avec ce « sommet du babil » dont parle le linguiste Jacobsen, propre au« nourrisson capable de tout », lequel se voit contraint d’abandonner l’omnipotence vocale polymorphe sans pareil dont il est détenteur à la naissance pour acquérir une langue, entrer dans une communauté, incapable par la suite sera-t-il enfant adulte de réitérer ses prouesses initiales. Violaine Lochu en serait l’exemple revenu. Constatant la limite des langages comme des savoirs vernaculaires normés, elle laisse vacant dans un premier temps du moins le nominalisme. En échange, elle explore les liens intriqués du son des langues, des idiomes du corps, de l’agencement coïncidence des usages, des discours, de leur entrelacement et de leur inscription, du collectif comme du singulier. Et si la voix est sienne – quoi que le plus souvent ce que nous représentons sans parvenir à le connaître est que nous connaissons sans pouvoir le dire aussi –, les modulations, les phonèmes, les expériences, les temps et les chants sont ceux des autres. L’air qu’elle pulse, les items qu’elle sonorise, les lignes qu’elle poursuit, brise ou discontinue à leur tour composent, installent, enregistrent, imagent.

Proprement expérimental, se relie le vieux rêve des avant-gardes avec et inversement celui des sciences aussi. Elle en dégage progressivement comme une phénoménologie linguistique dans laquelle la/les langue.s parlée.s, inouïe.s, inédite.s, concaténée.s, qu’elle déchiquète autant qu’elle suture, émane tout autant d’une sphère musicale (son point de départ) que poétique concrète multiverse, dont elle déplie les prémisses. Les rationalités striées à l’ordre comme au désordre, la compréhension alors se vocalise. L’horizon performanciel devient une nature qui lui permet d’enclencher le langage quand il est finalisé par l’action et tend à l’action lui-même. Dégondée de ses illusions mimétiques et substitutives par la présence intrinsèque et l’usage-maître d’un corps vibrant, émissaire, elle parvient très finement à désystématiser sans la ruiner la signification explorée. Il faudrait précisément regarder ses sons et savoir/pouvoir analyser l’impact et leur réverbérations sur nos corps.

Par quels instruments physiques et mentaux le son se réinjecte-t-il à quel endroit de la sensation ? À quelle pulsion ? À quel moment recoïncide-t-il dans les ambiances, les circuits de cet humus audio scriptural et tracé, dessiné, filmé qui absorbé ou disparu impacte ou affleure ? Et d’où surgit un aleph vocal ? Où y perlaborent les langues les langages leurs troncations élongués leurs manquements aussi, comme on le prononce en psychanalyse qui fait défaillir le symptôme névrotique, promeut le possible processus de symbolisation. D’où la nécessité d’ailleurs de l’exposition et à quel point elle s’impose à Violaine Lochu, car il ne faudrait surtout pas cantonner cet art du côté de la scène, du spectacle vivant, de la captation de l’instant ou de son émotion, ni l’englober non plus dans un régime démonstratif d’effets de court-circuitage, de norme ou de codification à venir, ni vers le didactisme, de l’auto-éducation aux savoirs alternatifs aussi. Quoiqu’il y ait de tout cela ensemble. Car si l’enjeu de l’exposition est de centrer, non pour des raisons purement réductrices d’écologie de la monstration, comment axer alors ce centre intime et impersonnalisé, feuilleté et ramifié déjà, franchement irregardable ?

Plus encore qu’à son habitude, happée peut-être par l’injonction d’ailleurs, l’onomastique du lieu, Les Ateliers Vortex, l’exposition lui permet ce resserrement tourbillonnaire, son écoulement fluide qui éprouve et l’arrêt aussi de l’axe instantané qu’est sa voix, cette partie confiée qu’elle arme spécifiquement. Signal Mouvement, à partir, propose ouverte une forme de théorisation par la pratique circulatoire, une démonstration mélopée haptique entre la performance, le son, le dessein et  dessin, la thérapie aussi, le parcours et sa perception pour autrui vibrée. Par les unités de lieu, de temps, de contexte, entre la pièce sonore conduite/construite, la performance qui en émet, diffusée et continue, qu’autrui soi-même visiteuse/visiteur relaie, négocie en écho, ajoute, évalue, ainsi comme la reprise par Générale d’Expérimentation (Why Note) qui achèvera le temps d’exposition, ou l’échange pragmatique avec Marie Lisel, hypnothérapeute, s’articule et hésite son imprégnation, le souvenir, ou sa présence et laisse agir.

Autour, dessus, à côté, en dessous, cette interlocution est celle du corps en son intégralité précaire de représentation, au regard de ces mêmes médias visuels, cognitifs, sonores, ambiants qui la traversent, duquel il faut de leurs propres cavités cacher nos corps biologiques. Quelque chose d’aussi médusant Lochu qu’un cypher collectif, un commun singulier calapable scientifique écouté par la scorie, la parcelle omnivore qui traduirait, aussi peu scalable et pourtant oui Violaine, du parcours sensible au vibrato engagé maintenu vu de la tenure. Et ce qu’elle propose affolant – ars memoria généralisé et écriture sonore – n’est autre qu’un système démesuré tendu vers une traductibilité immersive, une synesthésie compréhensive à même, une interchangeabilité du dicible/indicible au visible. On disait Son et Lumière, depuis on catégorisera pour elle Sons et Langages.

Jérôme Mauche, septembre 2019


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> Conversation du 4 octobre 2019 <


Photographies: © Les Ateliers Vortex, 2019

HORS PISTE

9 —
29 septembre 2018

HORS PISTE

Exposition
7 septembre — 29 septembre 2018

> Romuald Dumas-Jandolo <

Né en 1988,
Vit et travaille à Caen, Paris et Marseille.

CHAOS VAINCU (K-O 20 Q)
Jean-Christophe Arcos

« Lorsqu’il s’agit d’intemporel, de légendaire (…), que l’on tende hardiment l’arc de l’imaginaire! L’opéra se donne pour ce qu’il est effectivement : une abstraction et une affaire d’abord formelle-esthétique.»1

Il y a des jeux d’enfants où une paire d’yeux, une touffe de poils, un sabot fendu, apparaissent au milieu d’une forêt de pointillés ; une fois reliés, l’image se dévoile dans un labyrinthe de courbes et de traits mal assurés. La ligne recouvre le point, chifoumi c’est elle qui gagne.
Romuald Dumas Jandolo prend le scénario à revers ; l’attente n’aboutit pas à un chemin de Damas linéaire au terme duquel surgirait une révélation. Si déroulé il y a, si composition il y a, le roulement et le composite en sont les brigadiers. Trois coups, au début, le rideau s’ouvre, et, dans le train fantôme, toute sinuation sera la bonne – de toute façon ça va dérailler.
Les mois qui ont précédé cette exposition, l’artiste en a brûlé les étapes : une station en céramique (il tombe pour la première fois), une station au théâtre (on l’abreuve de fiel), une station sur les gradins (on essuie son visage), une station dans la couleur (on le dépouille de ses vêtements), dans le cristal (les femmes pleurent), au cirque enfin (là il nous cloue – et c’est reparti pour un tour).

Loin de se perdre, l’omnibus chaparde à chaque fois un morceau de récit, d’étoffe, de lumière : diadèmes à trois sous, griffe translucide, rayonnage de museum, dentelles poinçonnées comme des photophores, masques de terre dont les oreilles dégoulinent d’arcs en ciel et les yeux se cernent de grenat.

Il les reprendra à la fin de la représentation, y ajoutera les éléphants barbotés ici, et roule carosse, jusqu’à l’escale suivante. De stop en stop, le butin s’augmente, complexifiant le circuit à tracer d’une chose à l’autre, complétant l’échevau de couleurs sur son canevas. Mille points s’assemblent sans épuiser le mouvement (au contraire, ils le nourrissent, en restituent la chair, comme l’a senti Seurat dans son Cirque à jamais inachevé, le vide même laissant place à l’amplitude à venir).
Holi every day : rose indien complémenté d’un vert dijonnais, petit jaune phocéen et bleu de Normandie, rouge velours et l’or, partout, comme un rappel de l’artificialité du théâtre du monde, du faux-semblant des feux de la rampe, de l’envie de croire, pour un moment, à l’échange possible des richesses et des misères.

Dumas-Jandolo se rit de tout sérieux.
A la fois Ursus, Homo et Gwynplaine2, il se fait monstrueux ou grotesque, animal ou seigneur, ordre et chaos. Le rire et le tragique aussi sont nomades, du rire aux larmes, de la pesanteur d’une polka pachydermique à la fragilité d’un gant de verre soufflé. Les murs s’ouvrent de gradins béants et les tuiles tombent des toits, les menuets spectraux répondent aux kaléidoscopes de mandalas, et, dans cet apparent opéra kitsch aux pistes aussi nombreuses que les bras de Durga, l’expérience seule de la traversée permet de vaincre le chaos et les motifs3. Ce n’est qu’hors piste, qu’abstraite du vortex des narrations, que se donne la forme, et elle n’est jamais la même.

1 Oskar Schlemmer, Ancien opéra, nouvel opéra, 1929, in Théâtre et abstraction, trad. Eric Michaud
2 Au début de L’Homme qui rit, roman que Victor Hugo écrivit en 1869, Gwynplaine, enfant noble volé dont la face mutilée s’ouvre d’un sourire tracé au couteau par ses kidnappeurs, trouve refuge auprès d’Ursus, bataleur vagabond vêtu de peaux de bêtes, et de son acolyte Homo, un loup domestiqué.
3 Chaos vaincu est le nom de la saynète que Gwynplaine et sa troupe interprètent à Londres. Sur la scène maintenue dans l’obscurité, l’homme, joué par Gwynplaine, se bat contre des forces obscures, interprétées par Ursus et Homo. Il est près de succomber lorsqu’apparaît la lumière, incarnée par Dea, jeune orpheline aveugle, qui l’aide à vaincre définitivement le chaos. Mais la lumière éclaire aussi le visage déformé de Gwynplaine. Le choc suscité par l’apparition de cet énorme sourire déclenche une explosion de rire dans la foule. Dans son essai paru en 1984 dans la Revue d’histoire litéraire, Anne Ubersfeld interprète le rire qui clôt la description de la pièce comme le fait que la vraie victoire sur les monstres et la mort serait le rire grotesque.

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Photographies : © Cécilia Philippe, 2018

Crédits de réalisation : Stef Bloch – Filmmaker

NEW WORLD

8 septembre —
30 septembre 2017

NEW WORLD

Exposition
8 septembre — 30 septembre 2017

> Romain Vicari <

Né en 1990,
Vit et travaille à Paris et au Brésil.

« L’esprit se refuse à concevoir l’esprit sans le corps. » 1

En 1928,Oswald de Andrade (1890-1954) signe le Manifeste anthropophage ; un poème hybride, à la frontière de l’essai, considéré aujourd’hui comme l’un des textes fondateur de la modernité au Brésil. Né à São Paulo, Andrade y défend l’idée que ce qui constitue « socialement », « économiquement » et « philosophiquement » 2 l’identité brésilienne est la pratique anthropophage. Hérité des Tupis – un groupe de tribus amérindiennes installées sur la côte Est du pays, à l’embouchure de l’Amazone –, ce rituel n’a chez eux rien d’un cannibalisme aveugle : c’est au contraire un acte sophistiqué, pour lequel la dévoration de l’ennemi ne représente pas tant une opportunité alimentaire qu’un moyen d’inscrire dans la mémoire de son propre corps, par absorption, les qualités d’un autre ayant été préalablement choisi par la tribu. Par extension, cette volonté d’assimilation est devenue le symbole d’une culture brésilienne hétérogène, qui s’est construite à partir d’influences diverses, greffées aux bifurcations de ses racines indigènes.

S’il est parfois risqué d’analyser une production en fonction des origines de son auteur, il s’avère éclairant de rapprocher cette vitalité métabolique identifiée par Oswald de Andrade au travail de Romain Vicari, artiste italo-brésilien chez qui les phénomènes de digestion sont manifestes. On le percevra tout d’abord dans l’histoire de l’art, et notamment celle des avant-gardes européennes, dont on sent palpiter l’influence dans une ligne, un aplat, un volume évoquant tour à tour René Magritte, Henri Matisse ou Jean Arp. On saura voir, également, derrière l’horizon bigarré de ses sculptures, dans l’effervescence même de leur soulèvement hirsute, la réminiscence d’une végétation tropicale, venant s’agréger aux barres d’acier structurant ses installations. On saisira, enfin, l’intime proximité qui lie cette œuvre au contexte urbain, à la dynamique de métamorphose des villes, ainsi qu’à l’appréhension empirique qu’en fait Romain Vicari, entre collecte d’informations visuelles et récupération de rebuts de toutes sortes. La liste pourrait évidemment s’étendre, elle nous conduirait sans doute à circuler parmi l’élégante légèreté des tissus colorés d’Hélio Oiticica et la brutalité pop d’Urs Fischer, entre les parti-pris iconoclastes de Michael Asher et les tracés énigmatiques des pixadores, ces tagueurs de São Paulo ayant extrait de l’alphabet runique le style crypté de leurs lettrages.

Cependant – et c’est là un point essentiel –, l’entreprise d’identification montrerait rapidement ses limites. Non pas que toutes ces références n’innervent pas, d’une manière ou d’une autre, l’œuvre de Romain Vicari ; mais parce qu’au contraire, prises dans un processus de transmutation perpétuel, elles se combinent et s’enchevêtrent jusqu’à générer une matière nouvelle et singulière qui rendrait toute ambition dissociative, sinon inopérante, pour le moins incomplète. Tout l’enjeu semble ici de dépasser un exercice citationnel qui confèrerait à l’artiste un rôle de « manipulateur de signes » – pour reprendre l’expression que Hal Foster avait employé, à la fin des années 80, à l’égard des appropriationnistes. L’artiste anthropophage bouscule l’assemblage conceptuel en lui préférant une relation empirique aux objets, à l’histoire ou à l’apprentissage. « Contre la Mémoire source de coutume/L’expérience personnelle renouvelée. » 4

Il n’est dès lors plus très étonnant de retrouver des matériaux comme le plâtre, la résine ou le sable entrer dans la composition des environnements érigés par Romain Vicari. Dans leur capacité à capturer les formes, les gestes et les couleurs, ils sont les agents d’un projet de rétention sélective, devenant à leur tour des conglomérats à réemployer, à rediriger, comme les termes d’une syntaxe en permanente reconstruction. Faite de l’alternance de lignes droites et courbes – allégoriques là aussi de cette modernité tropicale, où les cadres prédéterminés se laissent envahir par la dynamique entropique -, l’installation Abajà (dont le titre signifie « collier », en tupi-guarani) fonctionne d’ailleurs comme une phrase sens dessus-dessous, avec ses lettres renversées et sa ponctuation minérale. Conçue pour la galerie Escougnou-Cetraro, il faudrait questionner sa portée à l’orée de l’exposition « Au delà de l’image », qui lui fournit son écrin formel et théorique. Qu’y a-t-il, en effet, dans ce hors-champ matériel que nous dresse Romain Vicari ? On s’aventurera à dire qu’il y a là toute une poétique de soi dans le monde et du monde en soi, dépassant les rationalismes exacerbés, prônant la subjectivité animiste comme alternative aux désastres qu’on nous prédit.

Franck Balland

1 Oswald de Andrade, Manifeste anthropophage, Blackjack éditions, Paris/Bruxelles, 2011, p. 13.
2 Ibid. p. 9.
3 Hal Foster, Signes de subversion, dans « Recodings: Art, Spectacle, Cultural Politics », Bay Press, Seattle, 1985. Reproduit en français dans « Art en théorie 1900-1990, une anthologie » par Charles Harrison et Paul Wood, Hazan, Paris, 1997, p. 1155.
4 Oswald de Andrade, op. cit., p. 21.

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Photographies: © Cécilia Philippe, 2017

PILOTE 00

31 mai —
16 juin 2013

PILOTE 00

Exposition
31 mai — 16 juin 2013

> Thomas Courderc <

Né en 1981,
vit et travaille à Marseille.

Les œuvres de Thomas Couderc sont vitalistes, elles débordent d’énergie que le format qu’elles adoptent peinent à contenir. Flirtant avec le dérisoire, ses propositions se manifestent le plus souvent en croissance, en expansion, en mouvement, dans la forme ou dans le fond. L’inachevé, l’épuisement, ou l’échec virtuel ne sont jamais loin, par delà le rythme effréné, l’hubris, l’énergie symbolique et / ou effective qu’elles déploient ou convoquent. Mais le miracle et la poésie non plus, jaillies précisément de ce déséquilibre entre les moyens et les énergies engagées et la finalité ou le résultat escomptés. Pour autant d’ailleurs que ceux-ci apparaissent clairement, ce qui est loin d’aller de soi. […]

— Emmanuel Lambion

LE TIGNE EST EN TOI.
Tony le tigre

«Quelque chose suit son cours»
Samuel Beckett,
Fin de partie, 1957

Pilote 00 se révèle être une sculpture complexe, plutôt qu’une installation, qui délivre une forme particulière de travail sur scénario. Thomas Couderc en est l’artiste et le metteur en scène. Le titre de l’exposition nous propose une première lecture du synopsis. Un pilote désigne l’épisode zéro d’une série télévisée servant à introduire les personnages et l’univers mis en scène. Le spectateur doit prendre la mesure de l’hétéropie et de l’hétérochronie de l’œuvre qui se joue autant devant ses yeux ainsi qu’avec lui. On entre dans une pièce spatio-temporelle, qui est la production d’une résidence d’artiste où l’espace d’exposition est aussi son atelier, qui a lieu ici au moment de son exposition, et dont l’artiste se jouera ensuite pour réaliser un film vidéo. Mais cela, c’est une autre histoire.

LA MATRICE

Une structure blanchie comme des os prend en charge le lieu jusqu’à embrouiller sa charpente. Elle compose ce que j’appelle l’inscène, une «grille de lecture» organique, une matrice difforme et énigmatique autant que rayonnante et invasive. Elle détermine la composition plastique de l’espace, un socle conceptuel et un champ de résistance, architecture d’intérieur dans son sens biologique. Un étrange milieu prend forme d’un ordre à la fois géométrique et reptilien, calculé et inachevé, qui donne littéralement la vision d’un chaos hyperorganisé. Cette ossature stéréotomique oscille ainsi entre plusieurs topiques de la sculpture, l’assemblage, le modelage, la taille et la modélisation, afin de bâtir une sorte de topographie de décor façon casse-tête chinois.

Ce jeu de construction du plein par le vide signifie que l’œuvre est un conteneur physique et mental, qu’elle représente une expansion dans l’espace, le temps et l’imaginaire. Plus qu’un «work in progress», quelque chose en est train d’avoir lieu. On retrouve ici une dynamique de montage qui rejoint une logique de bricolage, un goût de l’expérimentation propre au travail artistique de Thomas Couderc. On retrouve également l’un des fondements de ses pièces dans le sens où l’œuvre n’a pas à être déchiffrée mais à être explorée. L’imagination doit rebondir, toujours être en mouvement, faire «action», mettre bout à bout des morceaux hétérogènes pour des enchaînements parfois inimaginables, toujours aller de l’avant, tailler la route.

Le blanc est ici l’uniforme du formalisme pour dévitaliser les matériaux et les mettre raccord, pour aller au-delà d’un plaisir d’enfant de créer un monde imaginaire sur le monde réel. Le blanchiment des divers objets fonctionne comme alchimie visuelle et transmutation à froid pour créer une sorte de remise à «00». Sauf qu’ici, son application un peu grossière laisse deviner la nature de nombre d’objets. Cela dessine un volume sculptural à la croisée d’un espace réel et d’un espace inventé, à la croisée de l’extérieur et de l’intérieur, qui se représente en confrontation d’une utopie échappée du quotidien avec une entropie de White Cube primitive «naturelle» dans une exposition.

Ce squelette spatial est le fruit d’une récolte entomologique de résidus oblongs, incertains et disparates, dans une logique actionnelle de Meccano «filaire» pour la conquête de l’espace d’exposition. Il s’agit de «jouer avec des choses mortes» (Mike Kelley) de la ville, des produits littéralement finis, avec cette idée de la civilisation consumériste où la cohérence côtoie l’absurde pour former un tout. Notre regard confronte une forme d’errance dans les objets récoltés comme certains oiseaux font leurs nids à base de brindilles de toutes natures. L’artiste travaille cette «grille» comme une partition de sculpteur classique, à la fois en développant la forme par assemblage d’ajouts et en la taillant direct comme un matériau brut. Pour récupérer ce que disait Samuel Beckett, la tâche de l’artiste est de trouver une forme qui accommode le gâchis et le désordre de la vie et du temps. Ce travail passe ici par une pratique sculpturale du cutting et de l’editing à la manière de Thomas Couderc.

À dévorer pour le petit-déjeuner, des Frosties et une orange mécanique pressée
L’ours Timothy (en référence à Timothy Treadwell, l’écologiste américain amoureux des ours au funeste destin sur lequel Werner Herzog a réalisé son film Grizzli Man) est la vedette de l’exposition, l’acteur principal de Pilote00. Timothy (tout comme ses «petits frères», «brouillons de maquette» et figurants) est une statue, une expérience totémique, une créature hybride spectaculaire et surnaturelle, qui devrait inspirer avec un certain décalage effroi et fascination. Son inachèvement ne le rend au fond que plus chimérique et monstrueux. Tim (appelons-le ainsi puisque son rôle est d’être inachevé) se dresse bravement devant nous dans toute la force brute de son ébauche acéphale, sur ses deux pieds comme un vrai bonhomme, dans une position de défi presque agressive, celle d’une liberté qui précède le combat ou celle d’intérieur, immortalisée en trophée taxidermiste. Il représente une figure prise dans une posture théâtrale qui oppose la violence sourde de la bête sauvage (Ursus arctos horribilis) qui défend son «espace personnel» et la métaphore héraldique domestique un peu enfantine ou déjantée («Papa Ours»), comme une sorte d’image nostalgique d’un pays perdu qu’il faut à chacun faire l’effort de se projeter pour le retrouver.

Thomas Couderc envisage la sculpture comme «machine à se faire des films». Les pièces sont performatives à un niveau physique, imaginaire, formel, narratif, humain. La sculpture est ici une histoire non écrite, en cours de réalisation. La matrice d’objets donne ici le rythme et la trame de l’installation et permet de sertir l’action. Le «plan» de l’ours en insert, sculpture figurative qui joue une «image de synthèse». Ses composants sont issus d’une mythologie propre à l’artiste. Le corps de l’ours suit une logique additionnelle et schizophrène. Il se compose par concrétion sur une ossature métallique de boites réelles de céréales pour petit-déjeuner-matière industrielle ready-made; de fac similés où les mêmes boites deviennent des citations visuelles; de coloriages de ces contrefaçons, comme les produits déviant d’un absurde artisanat do-it-yourself; avant de devenir des dérives d’atelier d’artistes produit lors d’un workshop avec Thomas Couderc où il invite ses assistants à remixer une imagerie industrielle en délire créatif. Cette appel au travail d’équipe d’imagination se retrouve dans l’exposition à travers les réserves de boites entassées au sol où le spectateur doit finir mentalement l’ours Tim. Au final, cet ours est donc un peu notre propre création, et de fait, Timothy est un peu de nous. Nous sommes alors devenus des acteurs de ce Pilote 00.

— Luc Jeand’Heur, 25 mai 2013


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Photographies: © Cécilia Philippe, 2013

TRANSITION DES POUVOIRS

15 — 23
juin 2012

TRANSITION
DES POUVOIRS

Exposition
15 — 23 juin 2012

> Marie Aerts <

Née en 1984,
vit et travaille à Paris.

Après ses études à l’École Supérieure d’arts et Médias de Caen / Cherbourg et lors d’un séjour à Londres en 2007, inspiré de l’atmosphère du quartier d’affaires de la City, est né le premier prototype de l’homme sans tête. L’homme sans tête devient ainsi l’objet central de divers projets développés à travers performances, vidéos et photographies par Marie Aerts.

«Le travail de Marie Aerts questionne les notions de pouvoirs et d’organisation sociale qui régissent les sociétés humaines. L’artiste interroge les méthodes de légitimisation d’un pouvoir ou d’une forme de domination et les rapports que celles-ci entretiennent avec la croyance. Elle explore les interstices d’un pouvoir, là où les symboles s’installent et déploient leur capacité de fascination. À travers diverses stratégies d’altération, Marie Aerts s’attaque à ces concentrés de représentations, à l’aide d’opérations de soustraction et de transformation qui lui sont chères.» (Inès Moreno)

Marie Aerts, jeune artiste au travail prometteur, s’attaque avec sa série des hommes sans têtes, en première instance, à la notion d’uniformité, à la notion de l’identité, de la reconnaissance, au statut iconique de la visagéité. L’art du portrait marque l’histoire de l’art. L’identité n’est-elle pas la part maudite de l’homme occidental? Mais en seconde instance, pose métaphoriquement la question du genre tissant avec cette série de dessins représentant les armes à feu que nous propose aussi Marie Aerts?

Curieux personnages que ceux présentés par Marie Aerts, tous uniformément habillés de costumes noirs. Ils semblent surgir d’un tableau de Magritte, à une différence près, au lieu de porter ce fameux couvre-chef, un chapeau melon, signature immédiatement reconnaissable du peintre belge, les personnages de Marie Aerts sont privés de têtes. Acéphales, ils nous plongent dans une inquiètante étrangeté pour reprendre les termes de Freud.

Nous sommes dans l’impossibilité de les identifier, privés qu’ils sont de signes de reconnaissance, de caractéristiques particulières… Une négation de la fiche anthropométrique de police, de la carte d’identité, du passeport, de tout ce qui réclame, peu ou prou, un signe de reconnaissance, une particularité, le fameux signe particulier. Prenons cette photographie réalisée par Marie Aerts aux fameux studios Harcourt. Ces studios sont célèbres par le nombre de portraits de stars réalisés, avec comme signature, toujours ce même décor, ce même traitement, qui transforment le portrait en icone. Ce régime de traitement iconique finit par dépersonnaliser le sujet, toujours la même pose, interchangeable. Deleuze et Guattari parlent de machine abstraite de visagéité qu’il décrivent comme un système trou noir-mur blanc.

«Le visage n’est pas une chose donnée, mais une réalité volatile et éphémère, une variation infinie, à partir des éléments de la tête et en fonction des situations (notamment de pouvoir) [1].»

[1]
André Rouillé,
La photographie, Entre document et art contemporain,
Gallimard, coll. Folio essais,
2005.


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Photographies: © Les Ateliers Vortex, 2012

LA LUNE DES LAPINS

9 septembre —
1er octobre 2016

LA LUNE DES LAPINS

Exposition
9 septembre— 1 octobre 2016

> Marie-Johanna Cornut <

Né en 1986,
vit et travaille à Nantes.

Marie-Johanna Cornut est diplômée de l’Ecole des Beaux-arts de Toulouse en 2010. Elle présente son travail en France et à l’étranger, lors d’expositions et de résidences notamment à Est Nord Est (Québec) en 2012 et dans la huesca en Espagne en 2011 par les pépinières européenes. En 2014, elle est en résidence à la Cité internationale des Arts de Paris. Elle participe à la 66 ème edition de Jeune Création à la galerie Thaddeus Ropac à Pantin. En 2016, elle présente une exposition personnelle, La Lune des Lapins aux ateliers Vortex ainsi que La mécanique céleste 3.0 dans la rotonde du consortium à Dijon.

La pratique de Marie-Johanna Cornut se développe en sculpture et en installation. Tout en puisant dans un vocabulaire formel minimal, sa pratique s’inscrit dans un réseau plus large de références qui mêle tout aussi bien l’architecture, l’artisanat, le design ou encore la culture populaire. Il questionne le champ de la sculpture dans sa relation à l’objet, au savoir-faire et à la production ainsi que dans sa capacité à faire image. Il joue sur l’ambigüité entre l’abstraction et la figuration, entre l’objet purement esthétique et l’objet fonctionnel. L’artiste s’aventure dans une mise en scène où les sculptures pourraient jouer le rôle de planètes dans un univers aux orbites fluctuantes. Outils d’alchimistes ou de géomètres hallucinés, l’ensemble est posé comme un décor qui engage un point de vue frontal mais invite aussi à être parcouru comme un paysage. Son langage est surtout composé de déséquilibres, d’obstacles, de changements d’échelle, de jeux entre objet et image.
Un des enjeux du langage formel développé, est l’élaboration d’un vocabulaire de signes tenant a priori d’une figuration minimum et parfois vernaculaire. L’immobilité supposée de ces objets est déjouée par la mise en route d’une mobilité fictionnelle.

>www.marie-johannacornut <

Pierrot est amoureux d’un lapin albinos caché à la surface de la lune. Où que Pierrot aille pour se détourner de sa passion, la lune est là. Le fantoche saute, tombe, s’épuise à vouloir décrocher ce que nul n’a jamais pu atteindre. Un ange lui apporte un miroir, l’invitant à se considérer dans cette affliction absurde. Plus tard, Pierrot franchit un rideau et les rôles s’inversent : Pierrot tombe de la lune et meurt, tandis que le mystérieux lapin est désormais sur terre. Nul ne saura jamais ce que signifie vraiment un symbole, de quoi il serait, selon son étymologie, véritablement la moitié. Satisfaction impossible, vérité mortifère, illusion éternelle, la puissance du mythe, mis en scène dans Rabbit’s moon de Kenneth Anger, est aussi son énigme, son ouverture aux possibles interprétations. Le mythe et les symboles qui le composent, voilà la matière première avec laquelle joue Marie-Johanna Cornut. Comment les formes, les couleurs et les sons entrent-ils en résonance avec notre existence ? Du courtmétrage de Kenneth Anger, Rabbit’s moon, Marie-Johanna Cornut a d’abord emprunté le titre énigmatique, comme initiation possible à son propre récit.

Ici tout est double. Chaque élément visuel venant composer La Lune des lapins renvoie à un ailleurs, qu’il s’agisse du film originaire de Kenneth Anger ou bien d’un autre élément qui participe de l’oeuvre de Marie-Johanna Cornut. Tout fait récit, tout est dans tout. Le miroir circulaire, collé à la paroi en aggloméré qui traverse l’espace sinueux de Panoramic, rappelle celui du film. Nul corps humain figuré au sein de l’oeuvre. L’arlequin de Rabbit’s moon n’est plus que réminiscences colorées venant ponctuer la scène. Installation immersive ou théâtre d’objets La Lune des lapins est une saynète en quête de visiteurs. L’exposition devient une composition, dont toutes les sculptures : Panoramic, Mola, Transmission, Hue, interagissent pour former un récit. Ces pièces ont été conçues et réalisées ensemble. Le processus créatif de Marie-Johanna Cornut s’initie dans le lieu, c’est-à-dire dans l’espace d’exposition, comme dans l’environnement dans lequel l’artiste a vécu le temps de la résidence. Les relations se sont alors tissés, selon le jeu incertain des affinités électives, venant enrichir encore les procédés de la création. Marie-Johanna Cornut convertit la vie en matière sonore modulable, habillant La Lune des lapins d’une bande son réalisée avec Gabriel Afathi à partir d’enregistrements collectés le long de la résidence. Cette pièce sonore, intitulée Référentiels, associe mélodies et bruits hétéroclites. Ironie du titre, Référentiels, ne situe pas La Lune des lapins dans l’espace et le temps. Au contraire la perception du visiteur est rendue chaotique, la frontière entre la bande-son et ce qui lui est extérieur devient difficilement saisissable.

De prime abord, Mola, Hue et Panoramic apparaissent comme des oeuvres abstraites. Les matériaux bruts : l’aggloméré, le dibond, les chaînes, le tissu polaire rappellent l’univers du bricolage et de la construction. Le jeu des formes géométriques, tel une conversation secrète, ne renie pas l’héritage des sculpteurs des Avant-gardes, (Joan Miró en tête). Pourtant, dans La Lune des lapins, la forme fait sens en ce qu’elle ouvre à la fiction. L’histoire n’est littéralement plus celle du film d’Anger, pourtant, le lapin, symbole possible d’au-delà n’a pas disparu. Constellation fictive sur tissu matelassé, Mola, s’inspire de techniques de coutures sud-américaines. Le ciel, les astres, comme leur connotation métaphysique perdurent.
Transmission invite à un autre basculement. Celui qui portera un coquillage à son oreille n’entendra pas le bruit de la mer, comme le raconte la légende, mais bien le son des pas, des frottements alentours, comme de sa respiration.

Nulle tristesse dans les lambeaux de cette fête juvénile, dans cet élan métaphysique devenu incertain. La duplicité permanente de l’oeuvre, entre intérieur et extérieur, forme et récit est parachevée par l’humour facétieux qui anime l’exposition. Tout est trop factice pour que le piège ne se referme sur le spectateur. Mola est une tenture sur tasseaux où les tasseaux dépassent la tenture. La magie n’opère plus. Marie-Johanna Cornut montre toujours l’envers du décor, ne cache pas ses coups de pinceaux, instille toujours ironie et absurdité contre l’esprit de sérieux. Hue est un agencement de fers à cheval porte bonheur, un chandelier dont les branches ont perdu la direction du ciel, un capharnaüm rappelant le logo de la maison Chanel.

Comme un point d’orgue à La Lune des lapins, Marie-Johanna Cornut présente au Consortium, une oeuvre réalisée en collaboration avec Cécilia Philippe La Mécanique Céleste 3.0. Des ateliers Vortex au Consortium, l’énergie troublante de Référentiels crée une continuité sonore entre les deux lieux, et souligne comme la cohérence de la double proposition de Marie-Johanna Cornut. En outre, l’installation, La Mécanique céleste 3.0, se compose également de deux autres pièces : un vaste rideau constellé de larmes blanches, violettes et dorées, intitulé Neige marine, ainsi qu’Anthrène et Attagène, deux poufs qui font face à l’étoffe suspendue.
Le spectateur est ainsi invité à s’asseoir devant un rideau, sur deux sièges aux sobriquets teintés d’hellénisme leur conférant une théâtralité dissimulant à peine leur réalité parasitaire. Les anthrènes et les attagènes, comme les puces de matelas sont des animaux attaquant les textiles, les voici devenus deux assises à la toile ornée d’un motif de pixellisé. Le séant dévoré par le numérique, c’est la voie lactée qui s’offre à notre regard. Si pour Pierrot, la traversée du rideau dans Rabbit’s moon signe la mort, l’échec de la satisfaction du désir, la vie impossible après la connaissance, dans La Mécanique céleste 3.0, au-delà du rideau c’est le mur, sans mystère ni ambiguïté.
Florence Andoka


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Photographies: © Cécilia Philippe, 2016