SIGNAL MOUVEMENT

6 septembre —
4 octobre 2019

 
 
 
 
 
 
 
 
VIOLAINE LOCHU SIGNAL MOUVEMENT ATELIERS VORTEX
 
 

SIGNAL MOUVEMENT

Exposition
6 septembre – 4 octobre 2019

> Violaine Lochu <

En quelques années soudain Violaine Lochu a mis en place une formidable pratique artistique intense qui du micro au macrocosme redélimite à chacune de ses interventions un champ très spécifique qui partant des marges et schyze de l’art contemporain en interroge ses devenirs avec acuité.

Sa démarche, avec ambition, associe pièces sonores, performances, vidéos, installations, dessins, partitions et improvisations, perceptions et collections, effets de savoir comme de désynchronisation, autant d’éléments (au très pluriel) qui pourraient paraître chaotiques ensemble, tant leurs logiques visuelles, poétiques, sculpturales, heuristiques sont pour le moins antinomiques. Et pourtant que se passe-t-il ? Au centre de son travail, à chaque fois, comme un pari, elle lance et disperse le matériau de sa propre voix diffractée merveilleusement mobile labiale pharyngée et ultra-maîtrisée, dont l’expertise la plus classique lui fait effacer la trace. Il y a d’abord l’instant de l’enquête, de la collecte, car sa méthode a toujours aussi quelque chose en mouvement d’empirico/technico/anthropo/socio/musico/inventivo/analytique. Ce qui en résulte, ce qu’elle donne à entendre et qui fusionne est proprement explosif talentueux stupéfiant.

Ce que recommence Violaine Lochu a certainement à voir avec ce « sommet du babil » dont parle le linguiste Jacobsen, propre au« nourrisson capable de tout », lequel se voit contraint d’abandonner l’omnipotence vocale polymorphe sans pareil dont il est détenteur à la naissance pour acquérir une langue, entrer dans une communauté, incapable par la suite sera-t-il enfant adulte de réitérer ses prouesses initiales. Violaine Lochu en serait l’exemple revenu. Constatant la limite des langages comme des savoirs vernaculaires normés, elle laisse vacant dans un premier temps du moins le nominalisme. En échange, elle explore les liens intriqués du son des langues, des idiomes du corps, de l’agencement coïncidence des usages, des discours, de leur entrelacement et de leur inscription, du collectif comme du singulier. Et si la voix est sienne – quoi que le plus souvent ce que nous représentons sans parvenir à le connaître est que nous connaissons sans pouvoir le dire aussi –, les modulations, les phonèmes, les expériences, les temps et les chants sont ceux des autres. L’air qu’elle pulse, les items qu’elle sonorise, les lignes qu’elle poursuit, brise ou discontinue à leur tour composent, installent, enregistrent, imagent.

Proprement expérimental, se relie le vieux rêve des avant-gardes avec et inversement celui des sciences aussi. Elle en dégage progressivement comme une phénoménologie linguistique dans laquelle la/les langue.s parlée.s, inouïe.s, inédite.s, concaténée.s, qu’elle déchiquète autant qu’elle suture, émane tout autant d’une sphère musicale (son point de départ) que poétique concrète multiverse, dont elle déplie les prémisses. Les rationalités striées à l’ordre comme au désordre, la compréhension alors se vocalise. L’horizon performanciel devient une nature qui lui permet d’enclencher le langage quand il est finalisé par l’action et tend à l’action lui-même. Dégondée de ses illusions mimétiques et substitutives par la présence intrinsèque et l’usage-maître d’un corps vibrant, émissaire, elle parvient très finement à désystématiser sans la ruiner la signification explorée. Il faudrait précisément regarder ses sons et savoir/pouvoir analyser l’impact et leur réverbérations sur nos corps.

Par quels instruments physiques et mentaux le son se réinjecte-t-il à quel endroit de la sensation ? À quelle pulsion ? À quel moment recoïncide-t-il dans les ambiances, les circuits de cet humus audio scriptural et tracé, dessiné, filmé qui absorbé ou disparu impacte ou affleure ? Et d’où surgit un aleph vocal ? Où y perlaborent les langues les langages leurs troncations élongués leurs manquements aussi, comme on le prononce en psychanalyse qui fait défaillir le symptôme névrotique, promeut le possible processus de symbolisation. D’où la nécessité d’ailleurs de l’exposition et à quel point elle s’impose à Violaine Lochu, car il ne faudrait surtout pas cantonner cet art du côté de la scène, du spectacle vivant, de la captation de l’instant ou de son émotion, ni l’englober non plus dans un régime démonstratif d’effets de court-circuitage, de norme ou de codification à venir, ni vers le didactisme, de l’auto-éducation aux savoirs alternatifs aussi. Quoiqu’il y ait de tout cela ensemble. Car si l’enjeu de l’exposition est de centrer, non pour des raisons purement réductrices d’écologie de la monstration, comment axer alors ce centre intime et impersonnalisé, feuilleté et ramifié déjà, franchement irregardable ?

Plus encore qu’à son habitude, happée peut-être par l’injonction d’ailleurs, l’onomastique du lieu, Les Ateliers Vortex, l’exposition lui permet ce resserrement tourbillonnaire, son écoulement fluide qui éprouve et l’arrêt aussi de l’axe instantané qu’est sa voix, cette partie confiée qu’elle arme spécifiquement. Signal Mouvement, à partir, propose ouverte une forme de théorisation par la pratique circulatoire, une démonstration mélopée haptique entre la performance, le son, le dessein et  dessin, la thérapie aussi, le parcours et sa perception pour autrui vibrée. Par les unités de lieu, de temps, de contexte, entre la pièce sonore conduite/construite, la performance qui en émet, diffusée et continue, qu’autrui soi-même visiteuse/visiteur relaie, négocie en écho, ajoute, évalue, ainsi comme la reprise par Générale d’Expérimentation (Why Note) qui achèvera le temps d’exposition, ou l’échange pragmatique avec Marie Lisel, hypnothérapeute, s’articule et hésite son imprégnation, le souvenir, ou sa présence et laisse agir.

Autour, dessus, à côté, en dessous, cette interlocution est celle du corps en son intégralité précaire de représentation, au regard de ces mêmes médias visuels, cognitifs, sonores, ambiants qui la traversent, duquel il faut de leurs propres cavités cacher nos corps biologiques. Quelque chose d’aussi médusant Lochu qu’un cypher collectif, un commun singulier calapable scientifique écouté par la scorie, la parcelle omnivore qui traduirait, aussi peu scalable et pourtant oui Violaine, du parcours sensible au vibrato engagé maintenu vu de la tenure. Et ce qu’elle propose affolant – ars memoria généralisé et écriture sonore – n’est autre qu’un système démesuré tendu vers une traductibilité immersive, une synesthésie compréhensive à même, une interchangeabilité du dicible/indicible au visible. On disait Son et Lumière, depuis on catégorisera pour elle Sons et Langages.

Jérôme Mauche, septembre 2019


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> Conversation du 4 octobre 2019 <

 


Photographies: © Les Ateliers Vortex, 2019

LA QUINZAINE DE L’ART CONTEMPORAIN

15 – 30 mai 2021

 

La Quinzaine de l’Art contemporain

Événement
15 – 30 mai 2021

> Réseau Seize Mille <

Les Ateliers Vortex présentent l’exposition « Hypercontrôle » d’ANTOINE NESSI à l’occasion de la Quinzaine de l’Art Contemporain 2021.

«Dans mon travail de sculpteur je m’intéresse aux formes productives, c’est à dire les outils et les machines qui produisent ce qui nous nourrit, nous équipent… (…) En partant du postulat que ce que nous fabriquons nous fabrique en retour, j’imagine des usines et des lieux de production dont le produit final est l’être humain. »

À découvrir en ligne pendant l’exposition, 7 mai au 19 juin 2021.


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> Atelier en ligne <


Conception graphique: © Atelier Tout va bien, 2021

LA PASSANTE

samedi 26 septembre 2020

 
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LA PASSANTE

Performance
samedi 26 septembre 2020

> Sanja Todorovic <

Les Ateliers Vortex ont convié l’artiste Sanja Todorovic à réaliser une performance inédite, intitulée La Passante. Cet événement fait suite à une invitation de Why Note, sur une thématique arts visuels et créations sonores, avec le soutien du Consortium Museum.

« Une barre centrée sur un podium circulaire est cernée par quatre ou cinq enceintes et autant de thérémines reliés entre eux. Cette connexion produit des sons continus actionnés et modulés par le corps qui évolue sur la barre centrale.
Assignées à fabriquer des sons hybrides, les machines font écho au corps en mouvement.
Dans un paysage industriel, l’inévitable manque de certitude résonne dans un crescendo sonore étiré, à la conquête d’un espace poétique. »

Sanja Todorovic


NIETZSCHE (AB DEEP CHOPPED & SCREWED VOCAL REMIX)

samedi 14 novembre 2020

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NIETZSCHE (AB DEEP CHOPPED & SCREWED VOCAL REMIX)

Performance
samedi 14 novembre 2020

> Antoine Bozzoli <

Sur une invitation des Ateliers Vortex, en partenariat avec Why Note, Antoine Bozzoli, diplômé de l’Institut Supérieur des Beaux-Arts de Besançon, a proposé une création sonore inédite, diffusée au sein de l’exposition de Maude Maris.

Jeune artiste et musicien électronique, Antoine Bozzoli développe un travail de peinture lié au monochrome. Ainsi, il met en perspective différents points de vue d’une même peinture, à la manière des différents mixs d’un même morceau. D’autre part, il produit des pièces sonores, basées sur des ambiances musicales auxquelles il ajoute des éléments vocaux issus de la littérature, de la philosophie, de l’histoire de l’art. La pièce réalisée aux Ateliers Vortex s’inscrit dans cette modalité de production. Elle est composée en live, à partir de différents arrangements – atmosphères sonores conçues par l’artiste et lecture de Ainsi parlait Zarathoustra en version livre audio.


> Lien vers l’exposition <


APÉRO MULTIPLE V

vendredi 5 juillet 2019

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APÉRO MULTIPLE V

Événement
vendredi 5 juillet 2019

Multiples
> Guillaume Dorvillé <
> Frédéric Houvert <
> Violaine Lochu <
> Cécilia Philippe <

Lancement du catalogue 2012 – 2018
des Ateliers Vortex

> Conception graphique : Atelier Tout va bien <

Programmation vidéo
> Driss Aroussi <
> Julie Chaffort <
> Elodie Collin <
> Laura Henno <
> Ana Maria Gomes <
> Lola Gonzàlez <
> Jade Jouvin <
> Camille Llobet <
> Randa Maroufi <

Musique
> Set de Nicolas Thirion & Baptiste Chatel (Why Note) <
> DJ set d’Alcor <
> Table de ping-pong sonore (Why Note) <


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Photographies : © Cécilia Philippe, 2019

VEOACRF / TERETXIN

16 mai —
29 juin 2019

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

VEOACRF / TERETXIN

Exposition
16 mai – 29 juin 2019

En partenariat avec Interface

> Laurent Tixador <

La galerie Interface et les Ateliers Vortex se réunissent pour proposer une double exposition de l’artiste Laurent Tixador. Comment réunir deux lieux aussi éloignés l’un de l’autre ? Le premier est un petit appartement bourgeois du centre-ville, avec ses moulures, son plafond peint et sa cave troublante. Le second est une ancienne friche industrielle transformée en white cube spacieux, au bout de l’interminable rue de la Stearinerie.

Double défi pour un artiste voyageur, qui n’aime rien tant que travailler en extérieur, constituant ces pièces au hasard des objets trouvés mais jetés par d’autres, puis les laissant dehors, là où elles naissent et meurent. « L’exposition n’est pas mon domaine de prédilection. Investir deux espaces est donc doublement handicapant pour moi » nous confie cet artiste qui fuit les plans trop précis et les conclusions un peu trop anticipées. Comment alors habiter deux lieux si éloignés et si différents ?

Par le train. Ou plutôt, un modèle réduit, qui va sillonner les deux espaces en créant sa propre musique, en actionnant des capteurs sonores situés sur des objets collectés par Laurent Tixador au gré de ses pérégrinations. Celles-ci agissent autant comme des traces archéologiques de nos modes de vie que comme la prise de pouls de l’actualité. Peu avant cette exposition, l’artiste proposait le même dispositif à la galerie In Situ- Fabienne Leclerc à Paris. Les « instruments » trouvés alors reflétaient autant la précarité alimentaire que les troubles sociaux des derniers mois : boîtes de sardines et douilles de grenades lacrymogènes. Associées au petit train qui les amorce, voilà un curieux mélange des obsessions contemporaines, de la « France périphérique » à la contestation et sa répression. Les instruments de Laurent Tixador sont moins choisis que trouvés : il se les laisse imposer à lui le moment venu, mais ils composeront, à chaque fois, une troublante musique du quotidien.

Ici se situe la grande générosité de la proposition de l’artiste, qui refuse d’envisager l’exposition, ni même le geste artistique, comme une appropriation d’espace et d’objet, mais bien davantage comme un échange entre l’environnement et lui. Laurent Tixador ne fait qu’arpenter le territoire, et prend ce qu’on y a abandonné : bois tombés, plastiques perdus, morceaux de métal, etc. Sa récolte prend alors un tour politique : on nettoie nos paysages et nos plages pour faire des sculptures et des éléments d’une installation ; on collecte le carbone suie des glaciers pour le transformer en pigment. Les matériaux de Laurent Tixador ne deviennent pas seulement des artefacts, mais souvent, des éléments d’un mécanisme : ici, des instruments de musique. L’objet ne reste plus figé dans son état de rebut, il se voit réinséré dans le courant de la vie. 

Cette volonté de flux est aussi évidente dans la façon de procéder de l’artiste, qui récuse toute anticipation dans son travail, pour mieux laisser parler les matériaux et les forces invoquées. Pas d’hylémorphisme ici, l’artiste n’impose pas sa volonté conceptuelle à la matière, il l’écoute attentivement, et, en somme, partage une part de l’auctorialité avec les objets, le hasard, la société.

Le geste artistique retrouve alors l’humilité qui fit sa force en d’autres temps et d’autres lieux, humilité que l’on ressent dans cette façon si particulière d’habiter l’espace : au sol, et dans l’éther, par cette musique multispatialisée, invitant le spectateur à habiter tout le lieu. Façon de concilier la contrainte d’un espace clos et le bonheur de l’errance.

Nicolas-Xavier Ferran


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> Conversation du 15 juin 2019 <


Crédits : © Cécilia Philippe, 2019

CARNAIRE

16 octobre —
21 novembre 2020


CARNAIRE

Exposition 16 octobre – 21 novembre 2020

> Maude Maris <

« Le vendredi 13 mars, j’avais rendez-vous avec Maude pour voir ses dernières peintures ; j’arrivai à Malakoff en début d’après-midi. J’étais déjà venue et je me souvenais bien de l’immeuble comme de son étrange façade aveugle. Je sonnai à Maris avant de monter dans l’ascenseur, les mains derrière le dos jusqu’au seuil de sa porte.

En entrant, je ne portais pas de masque ; nous ne nous sommes pas non plus embrassées. Je me suis lavé les mains dans la cuisine, pendant que Maude préparait un café. Son atelier n’avait pas changé depuis ma dernière visite, trois ans plus tôt ; il était sobre, assez austère je dirais, et le volume immense de la salle de peinture m’avait encore surprise après un si étroit couloir : les plafonds étaient hauts, toujours, et la baie vitrée ouvrait sur la terrasse déserte, son ciel. Dans les étagères, s’alignaient de minuscules figurines colorées tandis qu’aux murs, rayonnaient ce jour-là, les grandes toiles carnaires.

D’abord, on a bu un café en parlant du virus, du cours des choses dans le monde et de nos projets bientôt suspendus : Maude se demandait si elle pourrait partir le lendemain, à Istanbul, où sa résidence allait débuter dans un lycée ; quant à moi, j’essayais d’évaluer tout ce que pourraient changer à ma vie bancale une fermeture des frontières, un couvre-feu, un confinement, ou des morts – j’étais alors en vadrouille entre les appartements des plus gentils de mes amis.

Assise sur un tabouret, au centre de la pièce, si vide, je ne savais pas bien où regarder, mais on parlait d’archéologie et de Çatal Höyük, un site Anatolien mis au jour en 1951. Maude m’expliquait que dans ce vaste village néolithique, sans rues, on accédait aux maisons par les toits ; que les morts étaient inhumés sous les planchers, dans les fours, les banquettes, les corps des nouveau-nés ensevelis sous les seuils. Elle me racontait aussi que tous les quatre-vingt ans environ, les maisons étaient détruites et rebâties à l’identique, sur les fondations des précédentes.

On parlait de ça, et d’Alice. Maude m’indiquait le titre provisoire de l’exposition à venir, Flamingo Croquet, qui ranima instantanément en moi les images affolantes du film de Walt Disney : la reine et les têtes coupées, le rouge dégoulinant des pinceaux sur les cartes à jouer. On regardait ses peintures. Si j’avais pu, j’aurais tourné autour. Si j’avais pu les tenir dans la main, je les aurais retournées. Je ne sais pas si Maude les regardait ainsi mais j’avais le sentiment inexplicable qu’elle ne me disait pas tout.

On parlait des motifs, des couleurs et de la technique, et puis de ce qu’elle veut dans la peinture, qui me touche. Maude aspire à peindre ce qu’on ne pourrait pas voir dans la réalité : le détail et l’ensemble. Je me demandais en l’écoutant si donc ses peintures ne relevaient pas de la réalité. Elle m’avait écrit dans son mail : « J’y vois aussi une manière d’être au monde, d’être à la fois en son coeur et de prendre du recul. De vivre un événement émotionnellement et avec distance, d’être dans le corps et hors du corps, une impression constante d’être à l’intérieur des choses tout en y étant extérieure ».

Je ne savais pas si ces phrases énonçaient des considérations théoriques, ou si Maude parlait de son propre sentiment d’exister, et ce flou me plaisait. On parlait de cette vision qu’elle invente ; on en parlait quand son téléphone a sonné. Elle a d’abord regardé de qui il s’agissait ; avant même de décrocher, elle eut l’air inquiet. J’entendais ensuite ce qui se disait à l’autre bout du fil : c’était sa galeriste, je supposais, qui parlait très fort et trop vite, avec un léger accent. Je comprenais que Maude devait prendre un avion en début de soirée, car le lendemain, tous les vols internationaux seraient suspendus. Elle a raccroché, enfin, un peu bouleversée, hésitante. Moi je pensais encore à son mail : « C’est la peinture elle-même qui me permet de figurer le fragment et le tout, de saisir la matière et l’immatériel ensemble ».

Je ne sais plus comment les choses se sont dites, mais tout s’est fait très naturellement il me semble : on a décidé que je resterais chez elle jusqu’à son retour. Maude a préparé ses bagages, jetant quelques vêtements dans une valise, emballant soigneusement son matériel et quelques livres. Elle était anxieuse ; je voyais ses mains trembler en fermant ses sacs. On a convenu que je m’occuperais du chat qu’elle n’avait plus le temps d’emmener chez son ami comme prévu. J’avais quelques affaires dans ma voiture, et je me disais que, pour écrire ce texte, ce serait parfait de vivre avec les oeuvres.

À 18h, Maude quittait précipitamment l’atelier pour l’aéroport ; il faisait encore jour. Le ciel était d’un rose éclatant à travers la baie vitrée. Nous ne le savions pas mais les choses et les gens resteraient là où ils étaient pendant presque deux mois. J’ai commencé par faire des courses, démesurées pour une personne seule, puis j’ai changé les draps et fait le ménage. Mon asthme chronique m’avait rendue absolument paranoïaque vis à vis du virus, mais aussi de la poussière et des pollens, et je ne sortirai pas durant les deux semaines suivantes.

Je décidai de vivre et dormir dans la grande salle de peinture où je trainai le matelas de Maude. Les changements de pièce m’inquiétaient : j’avais le sentiment que quelque chose arrivait dans mon dos. Rester au même endroit atténuait cette impression, désagréable – ma paranoïa. N’étant jamais parvenue à baisser le volet roulant, je me levais avec le jour tous les matins. Je suivais les nouvelles du monde. Je lisais les livres de Maude, en particulier des essais philosophiques compliqués que je n’ouvre pas d’habitude. Je ne voyais pas encore vraiment son travail sur les murs, mais j’avais le sentiment net que ça me regardait.

C’est avec le jour, le cinquième, que tout commença à vaguer visiblement. Je commençais à voir le monde comme les peintures invitaient à le faire, cela allait peut-être même un peu au-delà de ce que Maude pensait avoir accompli. Les objets des tableaux, mes affaires, le mobilier et le matériel se dilataient dans la pièce : leurs contours s’effaçaient sans qu’ils disparaissent – mes regards fuyants les y avaient autorisés. C’était un peu comme si l’extérieur et l’intérieur des choses et des êtres – moi, le chat – se dissociaient et devenaient préhensibles ensemble et distinctement pourtant. Il n’y avait plus de miroir : il avait fondu, disparu, aucun éclat non plus ne jonchait le sol à mes pieds. La chose était son image, son image son égal.

Au fil des jours confinés, sous les formes osseuses, enduites, peintes et magnifiées, je voyais l’intérieur : c’est à dire le temps des morts, les jarres, des jarrets, les pieds veineux des ancêtres, les chiens savants, les chouettes, les enfants, leurs armes et des godes. Je voyais s’envoler un hibou, danser des os, s’animer les bustes mutiques et flotter les draps du lit des fantômes. Je voyais grandir le monde, sans la nécessité d’une mise au point entre ce qui m’était étranger ou propre. Je vivais désormais dans cet espace vaste, clair, autrefois tranché par une grande glace sans tain.

Après la deuxième semaine, mes provisions étaient épuisées et je ne pensais plus à manger, toute à ma nouvelle existence, libérée des factions et des distances. C’est le chat qui me tira enfin de cette extase dangereuse : je le voyais amaigri, faible et c’est pour le nourrir que je décidai de sortir. Mais, à peine arrivée dehors, au pied de l’immeuble, sur le trottoir, je m’effondrai. D’abord, je crois que personne n’osa approcher tant mon corps défait était inquiétant. Quelqu’un cependant appela les pompiers qui me conduisirent à l’hôpital où je passai quelques jours. Une amie s’occupa du chat par la suite. Bien que j’ignore ce qui a pu se produire, je conserve une vision très claire, précise, de ces jours auxquels je repense aujourd’hui avec nostalgie. Je n’avais pas raconté à Maude cette histoire avant d’écrire ce texte, pour son exposition. »

Amélie Lucas-Gary, 2020


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> Conversation du 21 novembre 2020 <


Photographies : © Cécilia Philippe, 2020

LE HASARD VAINCU

22 mars —
27 avril 2019

 
NICOLAS DAUBANES

LE HASARD VAINCU

Exposition
22 mars – 27 avril 2019

> Nicolas Daubanes <

Pour sa première collaboration avec les Ateliers Vortex, Nicolas Daubanes produit une installation qui prolonge ses dernières expérimentations, mais la décline sous une forme inédite. Intégrée à sa série «  La vie quotidienne  », elle reprend le principe du dessin au scotch sur verre brisé en l’appliquant pour la première fois à l’échelle d’un bâtiment en bois. Son geste réitère celui des commerçants qui, durant la seconde guerre mondiale, protégeait ainsi leurs vitrines du souffle de potentielles explosions. Pour le plasticien, le soin cosmétique tout particulier qu’ils apportaient à ces dispositifs de protection, dessinant avec la bande adhésive des figures (fleurs, ciseaux…) ou des trames géométriques (rosaces, grilles ou frises), trahit la persistance d’un désir esthétique survivant, d’autant plus impérieux qu’il s’exprime dans un contexte de grande adversité. Fasciné par l’énergie de la révolte qui peut se déployer dans des situations de contrainte ou des lieux d’enfermement (prison, hôpital), Nicolas Daubanes la réinvestit ici lorsqu’il détruit au marteau la plaque de verre sur laquelle il vient de tracer le motif. La dimension ornementale du dessin tranche alors avec la modestie de cette architecture en sursis, au même titre que l’élégance des commerçants contrastait avec l’urgence de leur situation.

Du nom d’un recueil de notes du tueur en série Marcel Petiot rédigé en prison, l’exposition renvoie à sa manie de calculer toutes les combinaisons possibles de divers jeux de hasard pour en contredire la logique destinale. Condamné à perpétuité, celui qu’on surnomme «  le docteur Satan  » sublime ce qui n’est finalement qu’une façon de tuer le temps en un moyen d’opérer une inversion quasi métaphysique, de prendre le dessus sur la fatalité. Nicolas Daubanes, qui a travaillé à de nombreuses reprises en milieu pénitentiaire en collaboration avec des prisonniers, voit dans cette activité un authentique acte de résistance, un moyen pour l’élan vital de persévérer dans l’être. «  En pleine santé  » comme il le signe ironiquement en fin d’une lettre, aussi malade que prisonnier, Petiot organise son existence improductive et limitée autour de cette tentative obsessionnelle de lui donner une utilité. A son image, cette construction précaire tient à la seule force de son dessin, formant l’allégorie d’un art médecin ou résistant, d’un art qui permet de se tenir debout quand on n’a plus de raison de se lever.

Le motif de la structure, un treillis en croisillon, est directement inspiré d’une photographie d’une chambre funéraire construite dans le cimetière d’Isle of the Dead, en Tasmanie, où Nicolas Daubanes est allé récemment en résidence. Ayant ramassé sur cette île macabre des graines d’eucalyptus, il présente, en contrepoint de l’installation, une pousse en pleine germination, une manière de compenser son geste vandale par l’image d’une régénération naturelle, et d’opposer à l’effondrement de l’édifice le mouvement d’une élévation par le bas.

Florian Gaité, mars 2019


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> Conversation du 27 avril 2019 <


Photographies: © Les Ateliers Vortex, 2019