Auteur/autrice : V.
2019
PRIX IMPRESSION PHOTOGRAPHIQUE IV
15 février — 19 mai 2019
PRIX IMPRESSION
PHOTOGRAPHIQUE IV
Exposition hors les murs
Musée Nicéphore Niépce, Chalon-sur-Saône
15 février 2019 — 19 mai 2019
> Coline Jourdan <
Vit et travaille à Rouen.
Dans la même logique que le dispositif de production de multiples d’artistes, Les Ateliers Vortex ont proposé pour la quatrième fois une bourse de production photographique destinée à soutenir la jeune création contemporaine.
Cette démarche, soutenue par la Région Bourgogne-Franche-Comté dans le cadre de sa politique de soutien aux arts plastiques, porte un regard particulièrement attentif sur la valorisation de jeunes artistes et plus particulièrement en matière de création photographique contemporaine.
Suite à un appel à projet, l’artiste lauréate Coline Jourdan a reçu une bourse de production dotée par le conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté lui permettant de réaliser une héliogravure.
Le prix a été remis lors de l’inauguration des expositions «Probabilité 0.33» et «D’un jour à l’autre» de Virginie Marnat au musée Nicéphore Niépce de Chalon-sur-Saône en février 2019.
« Soumise à la morsure » est un projet photographique ancré sur le territoire où vit Coline Jourdan. Il s’inspire du déversement d’eau de javel dans la rivière du Cailly, l’un des affluents de la Seine, en 2009. Cette pièce est une réflexion sur le paysage qui oscille entre vision romantique et une inquiétude face aux bouleversements environnementaux. Pour ce projet, la pellicule est révélée à l’eau de javel. Il résulte de cette interaction chimique des images noircies et tachetées dans lesquelles tente de persister des fragments de paysages.
Coline Jourdan, Soumise à la morsure, 2019.
Photographies :
© Les Ateliers Vortex & le musée Nicéphore Niépce, 2019
SUPERVUES
15 février — 19 mai 2019
SUPERVUES
Exposition hors-les-murs
Hôtel Burrhus, Vaison-la-Romaine
14-15-16 décembre 2018
> Marion Lemaître <
Vit et travaille en Côte d’Or
Chaque année, l’Hôtel Burrhus de Vaison-la-Romaine propose à une trentaine de structures du champs des arts visuels d’inviter un artiste dont les œuvres sont présentées dans l’une de ses chambres. En décembre 2018, Les Ateliers Vortex proposaient donc à Marion Lemaître d’y participer.
« Courant décembre, l’hôtel Burrhus affiche complet afin d’accueillir artistes, galeries, centres d’art, collectionneurs et associations en prenant les allures d’une mini-foire d’art contemporain, Supervues. Environ trente-cinq artistes sont sélectionnés afin de montrer ou de faire découvrir leur travail. Chacun dispose d’une chambre tirée au sort et numérotée, avec l’opportunité d’habiter le lieu comme il le souhaite. Seule contrainte : garder le lit afin qu’il puisse être logé dans l’hôtel. Une « carte blanche », une occasion de métamorphoser une partie de notre quotidien et de séjourner dans l’intimité d’une œuvre d’art. La complexité des rapports entre la création et l’espace domestique se dévoile.
Durant un week-end, le public est invité à rencontrer les artistes exposés, en découvrant un hôtel qui diffère des autres, un lieu proposant des échanges rares. Burrhus se transforme alors en plateforme culturelle, créant une mise en réseau entre artistes, galeries et collectionneurs où conversations et débats sur l’art contemporain se multiplient. »
« Intuitivement, par la dynamique créée entre expérimentations et réflexion, il me semble que le travail de Marion Lemaître rejoint un des principes formulés par Paul Klee : le travail artistique doit désormais trouver son origine, son « point de commencement » dans le contradictoire, l’ambivalent. Ce qui n’est ni bon ni mauvais, parce qu’à la fois bon et mauvais. C’est dans ces termes que Klee définissait ainsi, dans l’espace pictural, ce qu’il appelait « le point gris » : « Ce point est gris parce qu’il n’est ni blanc ni noir ou parce qu’il est blanc tout autant que noir. Il est gris parce qu’il n’est ni en haut ni en bas ou parce qu’il est en haut autant qu’en bas. Gris parce qu’il n’est ni chaud ni froid. Gris parce que point non-dimensionnel, point entre les dimensions et à leur intersection, au croisement des chemins.1 »
Pierre Guislain, extrait de Autour des pierres blanches, 2016.
2018
ЗАРЯ (Zarya)
12 octobre —
10 novembre 2018
ЗАРЯ (Zarya)
Exposition
12 octobre – 10 novembre 2018.
> Anne-Charlotte Finel <
Musique de Luc Kheradmand
Avec le soutien de l’Institut français de Saint-Pétersbourg
Zarya. Des syllabes douces comme des sucres plongés dans la chaleur bienvenue d’un thé. En alphabet cyrillique, elles s’écrivent заря et désignent l’aube ; ce point du jour qui, dans le cercle polaire, ne cesse d’advenir ou de se faire attendre. C’est aussi ce nom qui a été choisi pour nommer au moins deux bateaux qui ont connu les flots glacés et les eaux mortes des mers bordant la Sibérie.
Celui que l’histoire a retenu est un navire d’exploration polaire, préparé à l’orée du XXème siècle afin d’effectuer de longues missions de recherche pour le compte de l’Académie des sciences de Russie. Sur les photographies d’archives on lit l’aube sur la casquette des marins qui vont appareiller. Elle encercle le front de ceux qui se disposent courageusement à prendre le large et à embrasser ses dangers. On va dans les déserts comme on s’engage dans une guerre : en se rendant volontairement dans des zones où l’on peut mourir d’être simplement là. Dans ces contrées où l’immensité s’impose comme la seule échelle de préoccupation, où l’austérité est la condition même de l’épopée, où l’âpreté transforme toute vie en destin, le Zarya n ‘a connu que deux hivernages. La première année, l’équipage trouve l’archipel qu’il cherchait ; Nordenskiöld, une petite centaine d’îles froides, rêches, inhabitées car inhospitalières, ayant pour seule qualité le fait d’exister. L’année suivante, l’expédition fait cap vers la Terre de Sannikov, aperçue mais non cartographiée, entrevue sans être abordée. Bloqués par les glaces qui étreignent la coque et étouffent la progression, quatre hommes décident d’abandonner le navire. À la poursuite d’une île fantôme, ils s’éparpillent sur des icebergs à la dérive et disparaissent sans laisser d’autres traces que l’écho du mythe qui les a conduit à leur perte.
L’autre Zarya, celui que la littérature contemporaine nous apporte, et qui vient titrer l’exposition d’Anne-Charlotte Finel, est une embarcation modeste, presque anecdotique, empruntée par le journaliste et écrivain moscovite Vassili Golovanov lors de son périple vers l’île polaire de Kolgouev. Dans le livre L’éloge des voyages insensés, il raconte comment, après avoir perdu le sens, il s’est lancé dans sa propre conquête de l’inutile : la quête de l’île, son île, bien réelle, presque charnelle, d’avoir été si longtemps fantasmée. Golovanov traite de l’aventure en valorisant ses composantes intrinsèques, fondamentales, qui habituellement se dérobent sous les actions qu’elles portent et permettent : la nécessité de partager le lointain avec autrui, la difficulté d’être quelque part et la latence du départ.
Pour décrire l’ailleurs, il faudrait un autre langage ; un usage du monde qui ne craigne pas l’expectative mais, au contraire, l’estimerait. Composé de mots astucieux, pragmatiques et poétiques, il aiderait à énoncer les diverses formes que prend l’attente, ample et joyeuse, compacte et anxieuse, triste ou langoureuse ; toutes aussi délicates et différentes que les variations de la neige que savent aisément déceler ceux et celles qui ne connaissent qu’elles. Lors de son périple, Vassili Golovanov a rencontré et raconté les Nénètses, nomades qui arpentent le pergélisol, peuple en déréliction évoluant sur un territoire délité sous les directives infligées par les politiques et les menaces toujours planantes des industries. Aux abords de ceux qui vivent de campements ou d’escales, les sociétés sédentaires se révèlent entièrement dédiées aux mobilités ; organisations des flux, architectures de l’attente, hiérarchies des modalités de transports et inégalités des déplacements.
Sous ce prisme, la géographie se maille en un immense réseau d’interactions, avec pour noeuds l’homme qui tend une main pour que la montée sur le bateau autorisant la traversée soit aisée, le couple qui vend les billets dans une petite cahute, la femme qui conçoit les porte-conteneurs pour défier les mers, l‘homme qui manie la grue pour charger la cargaison, celui qui effarouche les oiseaux aux bords des pistes et celui, le saluant, qui s’apprête à soulever l’avion vers sa destination, le pilote encore au sol qui désire des horizons et celle qui écrit sur le départ, celui qui aimerait s’installer, celle qui aimerait partir, celle qui a tout contemplé, de loin, pour nous mouvoir intimement.
***
Anne-Charlotte Finel et Vassili Golovanov ont en commun d’avoir expérimenté les bords du monde et de savoir qu’ils sont régis par une physique singulière. Le Nord n’est plus à corriger puisqu’on le porte en soi telle une aspiration, la lueur se traduit en mouvement, l’espace devient le temps et se cristallise, dur comme ces deux morceaux de sucre réservés pour le thé. L’observation change celui qui observe.
Dans les oeuvres présentées dans cette exposition, Anne-Charlotte Finel reste à quai et c’est dans la distanciation que le déplacement semble envisagé comme un changement d’éclairage sur les choses. Le travail de l’artiste s’exprime dans cette exacte zone de transition où la lumière devient une texture ; la technologie y est poussée dans ses retranchements, l’oeil, en compensant, affûte l’imagination, les états liminaires se manifestent dans les flocons sombres de l’image. Lors de son voyage Anne-Charlotte Finel a vu de la neige véritablement noire en façade maritime. Etait-ce un moment charnière, un catalyseur, une coruscation ? La couleur a depuis surgi. Elle commençait d’ailleurs à poindre dans ses récentes vidéos ; les jardins souterrains, piégés de devoir agrémenter les couloirs du métro parisien, y libéraient l’écarlate des feuilles et se rêvaient en jungle.
Avec заря, c’est un monde technologique et industriel qui se trouve examiné, en retrait et avec pudeur, comme si c’était la première fois qu’il était appréhendé. À l’aube de ce regard, dans une temporalité chamboulée qui enchevêtre le jour polaire, la nuit des temps et l’ennui existentiel, les appareils qui façonnent le monde tel que nous l’éprouvons aujourd’hui se montrent : la longue vue, prémisse et complice de toutes expéditions, le bateau qui mouille, le train qui passe et l’avion dans lequel on n’est pas monté, la roue esseulée et la voiture nonchalamment garée ; les humains à côté, relégués aux marges.
Dans les confins, les situations les plus banales prennent une dimension tragique et, pour qui s’y confronte, le dépaysement s’apparente à un désoeuvrement. Dans la grande acuité qui réside dans l’éloignement, amplifiée par la brutalité des paysages, éclatent la solitude de l’humain, la précarité du sens et la fragilité de l’équilibre. Le monde se fait-il sans eux ? Le monde advient-il sans nous ? Il y a cette question, l’alcool et la nostalgie, l’ombre de l’atome et la peur de l’effondrement.
Une mythologie, récemment née sur une autre côte, souffle que l’humanité est uniquement nécessaire pour polliniser les machines. L’espèce serait apparue pour permettre aux outils de s’améliorer, du silex au satellite, et, dupe, elle se cantonnerait à n’être qu’un vecteur d’évolution pour les appareils qu’elle croit employer. Les espaces en mutation sont propices aux mythologies inédites ; les humains s’y déplacent, migrateurs aux ailes parfois cassées, comme des oiseaux des berges, les engins butinent le sol, les avions chrysalides se préparent à éclore à l’atterrissage.
Le voyage est à envisager comme un de ces espaces. Un endroit de la mutation de l’individu, un lieu où on devient un autre en se rapprochant de ce que l’on a toujours souhaité être, où l’on se découvre insulaire, plus vraiment domestiqué ni tout à fait sauvage, où la beauté de ce que l’on voit est une force qui nous emplit, une confiance recouvrée. Comme on nous l’avait dit, mais on ne pouvait tout à fait y croire, aux extrémités du monde, c’est terrible et merveilleux d’être ensemble, d’être seul ou d’être soi puisque au bout du voyage, il n’y a que le voyage et une insatiable envie de plus de terre et de plus de ciel.
Stéphanie Vidal
Stéphanie Vidal est une curatrice, critique d’art (AICA) et enseignante basée à Paris. Elle intervient à l’intersection entre l’art, la technologie et l’information. Elle est actuellement commissaire en résidence pour l’année 2018 à la Maison populaire de Montreuil, en périphérie de Paris.
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Photographies : © Cécilia Philippe, 2018
HORS PISTE
9 —
29 septembre 2018
HORS PISTE
Exposition
7 septembre — 29 septembre 2018
Né en 1988,
Vit et travaille à Caen, Paris et Marseille.
CHAOS VAINCU (K-O 20 Q)
Jean-Christophe Arcos
« Lorsqu’il s’agit d’intemporel, de légendaire (…), que l’on tende hardiment l’arc de l’imaginaire! L’opéra se donne pour ce qu’il est effectivement : une abstraction et une affaire d’abord formelle-esthétique.»1
Il y a des jeux d’enfants où une paire d’yeux, une touffe de poils, un sabot fendu, apparaissent au milieu d’une forêt de pointillés ; une fois reliés, l’image se dévoile dans un labyrinthe de courbes et de traits mal assurés. La ligne recouvre le point, chifoumi c’est elle qui gagne.
Romuald Dumas Jandolo prend le scénario à revers ; l’attente n’aboutit pas à un chemin de Damas linéaire au terme duquel surgirait une révélation. Si déroulé il y a, si composition il y a, le roulement et le composite en sont les brigadiers. Trois coups, au début, le rideau s’ouvre, et, dans le train fantôme, toute sinuation sera la bonne – de toute façon ça va dérailler.
Les mois qui ont précédé cette exposition, l’artiste en a brûlé les étapes : une station en céramique (il tombe pour la première fois), une station au théâtre (on l’abreuve de fiel), une station sur les gradins (on essuie son visage), une station dans la couleur (on le dépouille de ses vêtements), dans le cristal (les femmes pleurent), au cirque enfin (là il nous cloue – et c’est reparti pour un tour).
Loin de se perdre, l’omnibus chaparde à chaque fois un morceau de récit, d’étoffe, de lumière : diadèmes à trois sous, griffe translucide, rayonnage de museum, dentelles poinçonnées comme des photophores, masques de terre dont les oreilles dégoulinent d’arcs en ciel et les yeux se cernent de grenat.
Il les reprendra à la fin de la représentation, y ajoutera les éléphants barbotés ici, et roule carosse, jusqu’à l’escale suivante. De stop en stop, le butin s’augmente, complexifiant le circuit à tracer d’une chose à l’autre, complétant l’échevau de couleurs sur son canevas. Mille points s’assemblent sans épuiser le mouvement (au contraire, ils le nourrissent, en restituent la chair, comme l’a senti Seurat dans son Cirque à jamais inachevé, le vide même laissant place à l’amplitude à venir).
Holi every day : rose indien complémenté d’un vert dijonnais, petit jaune phocéen et bleu de Normandie, rouge velours et l’or, partout, comme un rappel de l’artificialité du théâtre du monde, du faux-semblant des feux de la rampe, de l’envie de croire, pour un moment, à l’échange possible des richesses et des misères.
Dumas-Jandolo se rit de tout sérieux.
A la fois Ursus, Homo et Gwynplaine2, il se fait monstrueux ou grotesque, animal ou seigneur, ordre et chaos. Le rire et le tragique aussi sont nomades, du rire aux larmes, de la pesanteur d’une polka pachydermique à la fragilité d’un gant de verre soufflé. Les murs s’ouvrent de gradins béants et les tuiles tombent des toits, les menuets spectraux répondent aux kaléidoscopes de mandalas, et, dans cet apparent opéra kitsch aux pistes aussi nombreuses que les bras de Durga, l’expérience seule de la traversée permet de vaincre le chaos et les motifs3. Ce n’est qu’hors piste, qu’abstraite du vortex des narrations, que se donne la forme, et elle n’est jamais la même.
1 Oskar Schlemmer, Ancien opéra, nouvel opéra, 1929, in Théâtre et abstraction, trad. Eric Michaud
2 Au début de L’Homme qui rit, roman que Victor Hugo écrivit en 1869, Gwynplaine, enfant noble volé dont la face mutilée s’ouvre d’un sourire tracé au couteau par ses kidnappeurs, trouve refuge auprès d’Ursus, bataleur vagabond vêtu de peaux de bêtes, et de son acolyte Homo, un loup domestiqué.
3 Chaos vaincu est le nom de la saynète que Gwynplaine et sa troupe interprètent à Londres. Sur la scène maintenue dans l’obscurité, l’homme, joué par Gwynplaine, se bat contre des forces obscures, interprétées par Ursus et Homo. Il est près de succomber lorsqu’apparaît la lumière, incarnée par Dea, jeune orpheline aveugle, qui l’aide à vaincre définitivement le chaos. Mais la lumière éclaire aussi le visage déformé de Gwynplaine. Le choc suscité par l’apparition de cet énorme sourire déclenche une explosion de rire dans la foule. Dans son essai paru en 1984 dans la Revue d’histoire litéraire, Anne Ubersfeld interprète le rire qui clôt la description de la pièce comme le fait que la vraie victoire sur les monstres et la mort serait le rire grotesque.
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Photographies : © Cécilia Philippe, 2018
Crédits de réalisation : Stef Bloch – Filmmaker
HORS PISTE
9 —
29 septembre 2018
HORS PISTE
Exposition
7 septembre — 29 septembre 2018
Né en 1988,
Vit et travaille à Caen, Paris et Marseille.
CHAOS VAINCU (K-O 20 Q)
Jean-Christophe Arcos
« Lorsqu’il s’agit d’intemporel, de légendaire (…), que l’on tende hardiment l’arc de l’imaginaire! L’opéra se donne pour ce qu’il est effectivement : une abstraction et une affaire d’abord formelle-esthétique.»1
Il y a des jeux d’enfants où une paire d’yeux, une touffe de poils, un sabot fendu, apparaissent au milieu d’une forêt de pointillés ; une fois reliés, l’image se dévoile dans un labyrinthe de courbes et de traits mal assurés. La ligne recouvre le point, chifoumi c’est elle qui gagne.
Romuald Dumas Jandolo prend le scénario à revers ; l’attente n’aboutit pas à un chemin de Damas linéaire au terme duquel surgirait une révélation. Si déroulé il y a, si composition il y a, le roulement et le composite en sont les brigadiers. Trois coups, au début, le rideau s’ouvre, et, dans le train fantôme, toute sinuation sera la bonne – de toute façon ça va dérailler.
Les mois qui ont précédé cette exposition, l’artiste en a brûlé les étapes : une station en céramique (il tombe pour la première fois), une station au théâtre (on l’abreuve de fiel), une station sur les gradins (on essuie son visage), une station dans la couleur (on le dépouille de ses vêtements), dans le cristal (les femmes pleurent), au cirque enfin (là il nous cloue – et c’est reparti pour un tour).
Loin de se perdre, l’omnibus chaparde à chaque fois un morceau de récit, d’étoffe, de lumière : diadèmes à trois sous, griffe translucide, rayonnage de museum, dentelles poinçonnées comme des photophores, masques de terre dont les oreilles dégoulinent d’arcs en ciel et les yeux se cernent de grenat.
Il les reprendra à la fin de la représentation, y ajoutera les éléphants barbotés ici, et roule carosse, jusqu’à l’escale suivante. De stop en stop, le butin s’augmente, complexifiant le circuit à tracer d’une chose à l’autre, complétant l’échevau de couleurs sur son canevas. Mille points s’assemblent sans épuiser le mouvement (au contraire, ils le nourrissent, en restituent la chair, comme l’a senti Seurat dans son Cirque à jamais inachevé, le vide même laissant place à l’amplitude à venir).
Holi every day : rose indien complémenté d’un vert dijonnais, petit jaune phocéen et bleu de Normandie, rouge velours et l’or, partout, comme un rappel de l’artificialité du théâtre du monde, du faux-semblant des feux de la rampe, de l’envie de croire, pour un moment, à l’échange possible des richesses et des misères.
Dumas-Jandolo se rit de tout sérieux.
A la fois Ursus, Homo et Gwynplaine2, il se fait monstrueux ou grotesque, animal ou seigneur, ordre et chaos. Le rire et le tragique aussi sont nomades, du rire aux larmes, de la pesanteur d’une polka pachydermique à la fragilité d’un gant de verre soufflé. Les murs s’ouvrent de gradins béants et les tuiles tombent des toits, les menuets spectraux répondent aux kaléidoscopes de mandalas, et, dans cet apparent opéra kitsch aux pistes aussi nombreuses que les bras de Durga, l’expérience seule de la traversée permet de vaincre le chaos et les motifs3. Ce n’est qu’hors piste, qu’abstraite du vortex des narrations, que se donne la forme, et elle n’est jamais la même.
1 Oskar Schlemmer, Ancien opéra, nouvel opéra, 1929, in Théâtre et abstraction, trad. Eric Michaud
2 Au début de L’Homme qui rit, roman que Victor Hugo écrivit en 1869, Gwynplaine, enfant noble volé dont la face mutilée s’ouvre d’un sourire tracé au couteau par ses kidnappeurs, trouve refuge auprès d’Ursus, bataleur vagabond vêtu de peaux de bêtes, et de son acolyte Homo, un loup domestiqué.
3 Chaos vaincu est le nom de la saynète que Gwynplaine et sa troupe interprètent à Londres. Sur la scène maintenue dans l’obscurité, l’homme, joué par Gwynplaine, se bat contre des forces obscures, interprétées par Ursus et Homo. Il est près de succomber lorsqu’apparaît la lumière, incarnée par Dea, jeune orpheline aveugle, qui l’aide à vaincre définitivement le chaos. Mais la lumière éclaire aussi le visage déformé de Gwynplaine. Le choc suscité par l’apparition de cet énorme sourire déclenche une explosion de rire dans la foule. Dans son essai paru en 1984 dans la Revue d’histoire litéraire, Anne Ubersfeld interprète le rire qui clôt la description de la pièce comme le fait que la vraie victoire sur les monstres et la mort serait le rire grotesque.
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Photographies : © Cécilia Philippe, 2018
Crédits de réalisation : Stef Bloch – Filmmaker
PHAINÓMENON
8 —
30 juin 2018
PHAINÓMENON
Exposition
8 – 30 juin 2018
> Aurélie Belair <
« Cette volonté moderne d’éclaircir et de tout expliquer me fatigue. Je ne dis pas qu’il faut maintenir un obscurantisme complet, mais l’ombre a des qualités d’éclairage tout aussi intéressantes que les grandes baies vitrées du modernisme. Nous avons besoin de zones d’ombre. »
Jean-Luc Moulène
Il n’y a ni eau ni électricité dans l’atelier qu’occupe Aurélie Belair, quai de Mantoue, à Nevers. Au-dessus d’un vestibule qui lui sert de stockage, on accède à son espace de travail par un escalier étroit. Les murs sont peints en blanc, le sol est recouvert d’un palimpseste grisâtre et depuis deux fenêtres, on voit la Loire, le béton de la maison de la culture, quelques arbres, le skatepark et le pont qui mène les voitures au sud de la ville. C’est aussi de ces fenêtres que pénètre cette lumière grise caractéristique du ciel neversois. Une lumière presque monochrome, dont la teinte pâle alourdit l’horizon des jours, parfois des semaines voire des mois, et qui avale tout dans son épaisseur humide comme surgie du fleuve. Il faut l’imaginer, cette lumière, s’infiltrer dans la matière même des murs et du sol de cet atelier, à la surface des étagères soigneusement organisées, nimber les images punaisées ça et là et mettre fébrilement au jour, dans leurs différents états d’achèvement, les productions qui en émergent.
Il me semble avoir toujours perçu, dans les pièces d’Aurélie Belair que j’ai pu découvrir entre ces murs, l’expression d’un questionnement du langage. Je me souviens de toiles recouvertes d’aplats doux, presque atmosphériques et parfois légèrement dégradés, où se répandait un dense réseau de lignes blanches. La forme dynamique des traits évoquait un engagement du corps dans ces trames enchevêtrées tandis que le titre de la série, Vocabulary (2014), laissait entendre que quelque chose pouvait être ici à démêler, à défaut d’être lu. Un autre ensemble d’œuvres intitulé Speech Less (2015), employant une gamme chromatique plus vive, et traduisant un geste agressif et tranché, affirmait de manière directe le caractère silencieux, pour ne pas dire mutique, de ces peintures. S’il était ainsi question de langage à travers ces deux exemples, ce n’était pas tant pour nous conduire dans la linéarité d’un propos signifiant que dans le chaos de signes orphelins de référents, rendus à une matérialité exacerbant l’expérimentation picturale. Vocabulary et Speech Less inauguraient alors une recherche paradoxale, associant à l’enténèbrement progressif du discours l’apparition de plus en plus claire d’une syntaxe propre à la peinture, devenue la seule structure cohérente à-même de véhiculer l’ensemble de ce que l’artiste accepterait désormais de nous dire.
Un des ressorts actuels de la pratique d’Aurélie Belair se situerait donc dans une attitude qui apparait alternativement opacifiante et éclairante : les œuvres se caractérisent par une certaine simplicité formelle – empruntant même les aspects rudimentaires d’objets rituels ou primitifs – qui dissimule en son sein les actes prévalant à leurs réalisations. La série des Amulet (2018) dressée dans l’espace des Ateliers Vortex convoque un imaginaire multiple : sorte de mâts autonomes ou de totems étroits, elle poursuit parallèlement une histoire de l’installation minimale « affectée », dont les racines la lie autant aux environnements feutrés de Joseph Beuys qu’aux sculptures quasi organiques de Lygia Clark ou d’Eva Hesse. En rythmant spatialement la déambulation du visiteur à travers elles, les Amulet entretiennent non seulement un dialogue essentiel avec le lieu de leur présentation mais figurent les conditions singulières de leur élévations – les nœuds successifs qui les composent traduisant le rôle de la main et l’implication du corps dans la torsion des matériaux. Ce « paysage » vertical, comme se plait à le qualifier l’artiste, incarne dès lors une somme de temps unifiée, où le geste plastique résonne avec la production de rites qui accueilleraient la répétition pour son potentiel obsédant, presque aliénant : l’alibi d’un dépassement de soi qui conduirait à une transe douce.
À l’entrée de l’exposition, Aurélie Belair a installé une vidéo dont le titre, M. qui défait des nœuds (2018), semblent directement faire écho à ces colonnes de tissu installées à l’étage. Les mains qui nouaient sont ici celles qui libèrent et s’accordent harmonieusement entre elles, dans une chorégraphie fluide, hypnotique. Balayant la blancheur immaculée de l’écran, vues légèrement de dessous – accentuant de fait leur emprise réelle et symbolique – ces mains sont celles de Muriel, magnétiseuse en exercice. On retrouve cette inclinaison thérapeutique et occulte dans la toile Sans titre – dialectique des hiérophanies (2018) : le châssis circulaire d’une toile de coton vierge est perforé de multiples clous et de vis, composant un anneau hérissé et métallique se détachant des cimaises. Installée in situ aux Ateliers Vortex, l’oeuvre référe aux statuettes guérisseuse Minkisi, que les sorciers au bord du fleuve Kongo transpercent d’objets tranchants au cours de cérémonies destinées à soulager leurs patients. L’œuvre réemploie les systèmes d’accrochages de la peinture afin d’agir à sa surface même, comme pour lui invoquer un pouvoir protecteur.
Une des ambitions de la modernité, comme le souligne Jean-Luc Moulène dans l’extrait que j’ai souhaité mettre en exergue de ce texte, fut sans doute de produire un discours rationnel sur l’ensemble des éléments édifiant le contexte de vie humain. Au sein même de ses activités et de ses croyances, l’entreprise moderne sera venue mener un projet de « dévoilement », dont les conséquences trouvent actuellement leur point paroxystique dans ce que le philosophe allemand Byung-Chul Han nomme « La société de transparence »1. Le besoin de visibilité est aussi à l’origine de la multiplication du rôle du « médiateur », qui dans l’art comme ailleurs vient résoudre les petits drames du manque de compréhension. Une tendance artistique contemporaine, à laquelle l’exposition « Phainómenon » contribue, continue de se rendre irréductible à toute littéralité et à s’engouffrer dans des territoires plus complexes et subjectifs, où l’œuvre n’est pas une simple traduction, mais un objet traversé par les spectres intimes de l’expérience et de la croyance.
À la clarté aveuglante des grands récits qui n’émancipent plus, l’éclairage trouble d’engagement refusant les discours mystificateurs nous rappelle, dans le sillage de Susan Sontag, que « nous n’avons pas, en art, besoin d’une herméneutique, mais d’un éveil des sens. »2
Franck Balland
1 Byung-Chul Han, La société de transparence, PUF, Paris, 2017. L’auteur défend dans cet ouvrage un point de vue critique sur l’insistance contemporaine à rendre toute information accessible et lisible, qui selon-lui conduit à une société du contrôle permanent.
2 Susan Sontag, Contre l’interprétation, 1964
Critique d’art et commissaire d’exposition indépendant, Franck Balland a successivement travaillé à l’institut d’art contemporain de Villeurbanne, au Parc Saint Léger à Pougues-les-Eaux et à la galerie Marcelle Alix, Paris. De 2014 à 2017, il a co-dirigé Tlön, à Nevers, avec Jennifer Fréville.
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Photographies: © Cécilia Philippe, 2018, © Aurélie Belair, 2018
TRANSPOÈME
4 mai — 2 juin 2018
TRANSPOÈME
Exposition
4 mai- 2 juin 2018
> Sergio Verastegui <
Cette exposition s’inscrit dans le cadre du programme Suite initié par le Centre national des arts plastiques (Cnap) en partenariat avec l’ADAGP.
Il retrace — les parcours périurbains de cet artiste qui découvrit, sur un chantier, une ruine où se lisaient les images assemblées du futur distant et du passé lointain.
Il raconte — l’histoire d’une pyramide construite, ensevelie, puis construite à nouveau dessus sa propre tombe.
Il cherche — ce poète, qui exista jusqu’à ce qu’un autre l’invente.
Il se remémore — celui-là, un peu poète aussi, pour qui l’écriture n’était pas la messagère d’un sens, mais la présence d’un corps.
Il décrit — les prêtres qui célébraient un dieu en revêtant la peau d’un homme écorché. Dans les orbites vides brillaient les yeux d’un autre, dans la
bouche vide souriaient d’autres dents.
Le nom de l’artiste, le nom de la pyramide, les noms des poètes et des prêtres, le nom du dieu célébré existèrent, mais ils n’importent pas.
Seules comptent les histoires, les images, les paroles qui traversèrent l’artiste, la pyramide, les poètes et les prêtres, puis ressurgirent en d’autres temps et d’autres lieux, sous d’autres espèces et d’autres mots et qui, de corps en corps, prolongèrent le voyage d’une même pensée.
Une pensée qui retrace — le renversement des temps et les passés cryptés dans l’alphabet du futur.
Qui raconte — les vies souterraines dissimulées sous les vies évidentes, les éclipses jamais totales, les amenuisements mués en survivances à l’instant de leur extinction.
Qui cherche — le lieu où les fictions vivent comme les réalités.
Qui se remémore — les fantômes matériels et les mots illisibles.
Qui décrit — des anatomies intempestives.
Il fabrique des objets capables de retenir cette pensée voyageuse en lui donnant matière. Sculpturomancie. Tissu, cordes, peaux : reliques assemblées comme des corps composites
Bois, miroirs, tissu : vestiges anodins et précaires
Plâtre, plastiline, lettres dispersées : fragments dont on ne sait s’ils disent une forme ruinée ou une forme à venir
Caoutchouc, cire, papier : empreintes à peine déposées.
Nina Leger
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Photographies: © Cécilia Philippe, 2018