HERBE AUX PERRUCHES (ASCLEPIAS SYRIACA)

9 mars —
31 mars 2018

HERBE AUX PERRUCHES (ASCLEPIAS SYRIACA)

Exposition
9 – 31 mars 2018

> Frédéric Houvert <

“Contre la lassitude

Frédéric Houvert est un poète. Ça pourrait être une espèce de vanne, mais c’est un peu l’image que je me fais de son travail. Pourtant, je déteste absolument qu’on emploie le mot “poète” – et l’adjectif “poétique” – à propos d’autre chose que de poésie à proprement parler. C’est une de mes obsessions, et je mépriserais aussitôt quiconque ferait cette erreur à ma place. Mais je comprends maintenant qu’il n’y a pas d’autres mots pour désigner sa nature d’artiste : les peintures, sculptures et photographies qu’il produit ont une qualité “poétique” indéniable (je vais crever si j’emploie encore ce mot).

Depuis des années, il se sert des mêmes pochoirs en carton de formes végétales épurées – un peu comme s’il les avait découpé directement dans les dessins de plantes d’Ellsworth Kelly. Au départ, le résultat était assez décoratif, à la frontière de l’univers du papier peint ou de l’ornement, mais avec déjà une qualité picturale qui le faisait clairement basculer du coté de la peinture : couleurs imprégnées dans la toile non apprêtée, coulures, reliefs, recouvrements… Ces effets de style Painterly venaient redoubler l’aspect séduisant de ces motifs. Et c’était peut-être le seul défaut de ce travail : celui de faire du tableau une forme de sur-décoration (étant entendu que l’expressionnisme abstrait et ses signes extérieurs d’authenticité font depuis longtemps déjà partie du décors).
Un défaut peut devenir une qualité, tous les sites de rencontres le disent. En répétant les mêmes gestes, avec les mêmes outils, en déclinant les mêmes gammes chromatiques, Frédéric Houvert a fini par mener ses tableaux vers un équilibre subtil. Les éléments végétaux se sont dissous dans des variations de gris et de noir, dans la lumière de teintes colorées presque blanches (parfois rehaussées de peinture argentée ou cuivrée), ou se sont à l’inverse détachés plus nettement du fond par contraste. Ce que nous voyons nous apparaît désormais instable et changeant, éblouissant ou imperceptible, comme des formes qu’on devinerait à travers un rideau ou des ombres portées à la surface de la toile. Ce travail contemplatif – associé à une espèce de narcissisme pictural très maitrisé – procure un vrai bonheur à son spectateur : celui de revivre par le regard le plaisir de l’artiste à laisser la peinture se faire, lentement, jusqu’au point où elle semble s’arrêter dans une forme – qui n’est qu’une pose choisie dans un nombre infini d’apparences possibles.

A ce moment de sa carrière, la préciosité froide des tableaux de Frédéric Houvert me paraît retarder la réception de son travail. Certes, cette qualité le tient à l’abri du cynisme et de l’opportunisme qui ont accompagné le revival de la peinture sur le marché de l’art, mais je crois qu’elle conduit aussi un bon nombre de ses spectateurs à le sous-évaluer (au nom – comme toujours depuis le procès de Whistler en 1878 – du formalisme invoqué pour discréditer toute œuvre ne semblant pas traiter de “véritable” sujet). Dans un sens, on pourrait reprendre la formule de Ruskin à l’encontre de Whistler pour décrire littéralement la facture de certains tableaux de Frédéric Houvert, pas gêné de nous jeter “un pot de peinture à la figure”. Car Frédéric Houvert  utilise réellement de la peinture en pot, de celle qu’on achète pour la décoration d’intérieur et dont les teintes s’accordent aux plantes vertes, aux meubles design et aux œuvres d’art contemporain. Les couleurs en question sont délicates mais pas des plus plaisantes. Elles sont souvent appliquées ton sur ton, à la limite de la monochromie, ou au contraire dans un jeu de clair-obscur, le plus souvent sur des formats verticaux (grands ou petits, quelquefois carrés, et plus rarement de grands formats horizontaux). Elles portent des noms qui font voyager (Kerguelen, Istanbul, Morzine, Crimée) et qu’on retrouvera dans les titres des œuvres, parfois associés à celui de la plante figurée au pochoir (du genre : Lolium Morzine, ou Laurus IstanbulG). Ailleurs, de la peinture appliquée à la bombe viendra projeter l’image floue de feuilles de palmier, à moins qu’il s’agisse d’une fougère ou d’une Monstera quelconque (je n’y connais rien et je n’ai pas la main verte, contrairement à Frédéric, qui lit aussi des magazines sur les aquariums – ça vaut le coup de le préciser). Il est difficile de distinguer les tableaux les uns des autres. De ce que je sais, beaucoup ont disparus, ont été dégrafés et roulés ou simplement détruits.

Cette nature éphémère, on la trouve également dans les sculptures, photographies et dessins qu’il réalise. En réalité, bien qu’il semble soucieux des catégories traditionnelles de l’art à travers ces dénominations, chacune de ces pratiques renvoie directement à l’autre : les sculptures sont presque toutes des objets abstraits à demi peints (Jupiter ou Platane), les photographies sont des sculptures “trouvées” ou des mises en scène de sculptures dans un milieu naturel (Au commencement), et les “dessins” sont plus clairement des peintures sur papier. Dans Féroé, il photographie sur une plage une structure de pilotis en bois blanc évoquant un squelette post-apocalyptique de la Villa Savoye, un peu à la manière dont le buste de la Statue de la Liberté surgit du sable à la fin de La planète des singes (celui de 1968). Une apparition fantomatique qui rejoint l’esthétique de ses peintures de plantes, adoptant une forme de passivité qui tranche avec le dogme de l’efficacité en peinture, comme le temps végétal se distingue du temps animal (c’est justement dans ses œuvres sur papier, plus vite réalisées, qu’on trouve quelques animaux : serpents, oiseaux ou poissons). Et c’est peut-être cette temporalité mouvante qui fait toute la poésie* de l’œuvre de Frédéric Houvert, ce flou artistique qui entoure sa pratique et dont lui même s’amuse, en prenant soin de dissiper la ligne qui sépare la naïveté du romantisme, la décoration de la beauté.

Les œuvres d’art ne poussent pas dans les salles d’exposition, mais elles devraient en donner l’illusion. A plusieurs reprises, Frédéric Houvert a tenté cette métaphore horticole ; dans l’élaboration d’un dispositif d’exposition à base de tasseaux de bois et de bâche plastique transparente (Serres), ou dans les sculptures Greffe et Herbier (un “tuteur” peint greffé à une souche d’arbre et des répliques en porcelaine de ses pochoirs végétaux présentés sur un socle vitré). Pour son intervention à Vortex, il voulait au départ réaliser une sorte de volière. Il a abandonné l’idée, mais sa manière d’envisager l’exposition comme un environnement reste présente dans le titre : Herbe aux perruches (Asclepias syriaca). Cette mauvaise herbe tient son nom de la forme de ses fruits, qui font penser – de manière assez saisissante – à des perruches. On les place à proximité des fontaines ou sur les bords d’un verre, car ils donnent l’impression d’oiseaux se désaltérant. Les œuvres de Frédéric Houvert sont un peu les « perruches » de ces jardins : les caisses de transport ou les pochoirs deviennent des sculptures, les tableaux sont comme des miroirs reflétant une végétation absente. Le spectateur se laisse prendre dans ce filet d’analogies végétales et animales.

En tant qu’artiste, je me suis toujours demandé comment Frédéric faisait pour ne pas se lasser de ces thématiques. Je n’ai pas de réponse à cette question, mais je comprends en regardant sa peinture et ses autres réalisations que leur temporalité est différente de celles qu’on a l’habitude de voir, que son œuvre croît lentement en elle-même, que des causes identiques produisent un nombre infini de conséquences. Que l’art, dans sa plénitude, rejoint la beauté de ces choses dont on ne se lassera jamais : les miroitements du soleil sur la mer, la course des nuages dans le ciel, la surprise de la première neige tombée sur la ville…

* (Je suis mort)”

Hugo Pernet


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Photographies: © Cécilia Philippe, 2018

ORBIS

7 octobre —
29 octobre 2016

ORBIS

Exposition
7 octobre — 27 octobre 2016

> Cécile Beau <
> Nicolas Montgermont <

Cécile Beau s’intéresse aux phénomènes trop lents ou trop discrets pour l’échelle de temps humaine. Composée d’installations où le son, l’image et l’objet entretiennent des rapports étroits et multiples, elle arpente le réel pour s’approvisionner en fragments de nature qu’elle fusionne de sorte que naissent d’étranges hybrides. Ses dispositifs révèlent souvent dans leur apparente banalité des anomalies, des absences, des espaces suspendus ou des environnements fictionnels.
Cécile Beau est née en 1978 et vit à Paris. Elle est diplômée des Beaux-Arts de Tarbes en 2001, de Marseille en 2003 puis du Fresnoy en 2008. Lauréate 2011 du Prix Découverte des Amis du Palais de Tokyo, Cécile Beau a réalisé de nombreuses résidences, expositions personnelles et collectives en France et à l’étranger. Une de ses pièces a été acquise par le Frac Centre ainsi que Bordeaux Métropole pour une commande publique avec Nicolas Montgermont sur la station de tramway de Blanquefort.

Nicolas Montgermont explore la physicalité des ondes sous ses différentes formes. Il s’intéresse à la réalité des ondes dans l’espace, à la manière dont elles se déplacent et se transforment, aux liens entre une source et notre perception en concevant des dispositifs qui créent une exploration sensible de leur essence poétique. Il travaille les ondes sonores principalement à travers les vibrations des matériaux et leurs propagations, les ondes électromagnétiques naturelles et artificielles sous la forme de paysages radios, les énergies gravitationnelles et sidérales à travers le double prisme astronomie / astrologie. Il réalise des installations, souvent en collaboration avec Cécile Beau et anciennement dans le collectif Art of Failure, dans lesquelles le temps a une importance particulière qui permet de s’approprier de manière intime ces matières et énergies, il est également actif dans le domaine de la performance audiovisuelle avec chdh et dans la musique improvisée dans BCK et Yi King Operators. Il a publié plusieurs éditions chez Art Kill Art. Ses projets sont montrés dans de nombreux centres d’art en Europe et ailleurs (Club Transmediale, Elektra, MusikProtokoll, Fondation Vasarely, Palais de Tokyo, WRO, iMAL, PixelACHE, Le Magasin, Ars Electronica …) .

Depuis 2012, Cécile Beau et Nicolas Montgermont réalisent des projets rendant sensible les propriétés physiques de notre environnement. L’utilisation du son dans leurs travaux propose à la fois une durée d’attention et une immersion où le temps, voir l’espace/temps, sont des notions récurrentes ; d’installations révélant les ondes électromagnétiques présentes dans un espace (Radiographie) à la proposition de vivre en boucle un événement sismique survenu il y a quelques années de l’autre coté du globe (Sillage), de l’allégorie d’une galaxie en formation par la rotation imperceptiblement lente d’une matière (Cosmogonie) à l’expérience ressentie à l’arrivée d’un train par sa vibration sur un rail-sculpture détournée (Traversée), ils croisent leurs compétences et sensibilités afin de proposer une approche artistique aux méthodes proches du scientifique, qui décortiquent, décryptent et expérimentent des phénomènes souvent invisibles et immatériaux.
L’exposition Orbis est composée de deux oeuvres qui explorent les liens entre astrologie et astronomie, astrophysique et mystique – en s’inspirant des pratiques anciennes d’étude de l’univers. En mélangeant des notions à l’intersection entre ces domaines, Orbis propose de porter un regard sur les connexions qui existent entre ces disciplines, intimement associées jusqu’au XIXème siècle.
Ellipses est une retranscription de l’harmonie des sphères selon la définition proposée par l’astrophysicien Johannes Kepler (XVIème s.) dans Harmonices Mundi. Il s’agit d’un concept ancien où chaque astre du système solaire produit une note en fonction de sa position dans l’espace et de sa vitesse de rotation autour du soleil. L’ensemble crée une harmonie universelle qui évolue lentement avec les mouvements célestes.
Dans Ellipses, les orbites des planètes, planètes naines et principales comètes du système solaire sont gravées sur une surface au sol. La position actuelle de chaque astre et la note correspondante sont vidéoprojetées sur leurs orbites. Le son associé à chaque astre est une fréquence quasi pure diffusée dans l’espace d’exposition en fonction de sa position dans le système solaire. Cet ensemble crée une harmonie qui évolue lentement en continu en fonction du parcours des astres. De ces mouvements immuables et pourtant quasi imperceptibles à notre échelle se compose la partition d’une musique des sphères retranscrite en temps réel. Le spectateur peut ici se déplacer sur cette structure pour expérimenter un accord unique correspondant à l’instant présent.
Meteors Ascendances est une série de cyanotypes représentants des thèmes astraux d’impacts de météorites. Ces thèmes sont dit sidéraux car ils ont la particularité d’être un mélange entre la terminologie astrologique et les constellations utilisées en astronomie. Procédé photographique du début du XXème siècle obtenue par l’exposition d’un mélange photosensible à des UV, le cyanotype est employé ici pour dresser une cartographie du ciel au moment de l’impact. Course d’un astéroïde et rayonnement ultraviolet solaire suivent une même trajectoire vers la terre pour s’illustrer dans ces graphismes. Le positionnement des constellations et planètes est ainsi schématisé, proposant une analyse entre examen scientifique et perception métaphysique.

Cécile Beau & Nicolas Montgermont


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Photographies: © Cécilia Philippe, 2016

LE COMMUN DES IMMORTELS

09 octobre —
1er novembre 2015

LE COMMUN DES IMMORTELS

Exposition
9 octobre — 1er novembre 2015

> Aurore-Caroline Marty <

Née en 1985,
vit et travaille à Dijon.

Diplômée de l’École Nationale Supérieure d’Art de Dijon en 2010, Aurore-Caroline Marty travaille la sculpture et l’installation comme un décor. Son travail plastique questionne l’abstraction géométrique et s’inspire souvent de la flore ou de l’architecture. Formes simples et matières courantes mettent notre monde en perspective. C’est dans la déconstruction architecturale que s’incarnent ses pièces, traversées par des inspirations diverses: art déco, brutalistes, minimalistes…

Entre les matériaux faussement clinquants et véritablement pauvres, les supports devenus pièces, les couleurs devenues formes et inversement, un échange tangible s’opère.

> www.aurorecarolinemarty.com <

AUX ESCALIERS
QUI NE MÈNENT NULLE PART

Comment susciter le sentiment de la présence? Géométriques, mais faussement minimales, les pièces d’Aurore-Caroline Marty se composent de volumes construits puis agencés. L’analyse du vide entre les modules et au creux de chaque forme permettrait sans doute de choisir entre sculpture et installation. Pourtant, cet entre-deux toujours présent apparaît comme un trait de l’œuvre. L’artiste qui travaille aux côtés de Marc Camille Chaimowicz, a développé ainsi son goût pour les environnements. Les possibilités d’agencement des formes dans l’espace sont infinies, mais souvent les volumes fonctionnent en binôme, comme deux états du matériau. The island se déploie en trois temps, en trois formes successives, qui pourtant cohabitent et engendrent un espace cohérent. Il y a le linoléum rosâtre qui recouvre le sol, puis le voici façonné en une étrange fleur géométrique posée sur le plancher, enfin la matière plissée est suspendue sur une tige de bois. Entre les volumes, s’instaure le jeu des correspondances visuelles. Ce procédé anime également les pièces Lily et Black Furnitures. Tout rappelle alors que le temps est de l’espace, et qu’il s’agit pour l’artiste de donne une étendue au récit.

Sans doute les volumes d’Aurore-Caroline Marty relèvent-ils aussi de l’architecture. Aux murs érigés, doit répondre le flux du vivant. Mais à quels corps se destinent ces espaces désertés? L’escalier incitant à l’ascension vers le vide est un motif récurrent de l’œuvre. Dans The Mirage, le matériau se fait piège, l’escalier est en mousse, impraticable, pliant sous le poids de celui qui se risquerait à l’ascension. Voici que l’univers tout entier se révèle fallacieux, porté par des matériaux populaires comme le linoléum, l’adhésif imprimé, le polystyrène, le formica, et enrichi d’objets de pacotille chinés à l’envie. Les nobles matériaux de la sculpture antique ont été remplacés par des textures populaires et donc pop. C’est le syncrétisme des sous-cultures qui hantent la création et l’apport de ces matériaux moins usités de l’histoire de l’art qui invite au renouvellement formel. De l’inédit de la matière advient celui de la forme. Vénus, n’est plus celle de Botticelli, le coquillage est devenu fleur de carton ondulé, matière périssable rejouant un drame immuable. La légèreté apparente est de mise, on se rit de cette fête éternelle, des cotillons tapageurs qui nous emportent mais laissent l’amertume sur les lèvres. Le décalage entre le titre et ce qui est donné à voir, relève du witz, parce qu’il crée une attente déçue puis détournée vers un aspect inattendu de l’époque. L’enchantement dérisoire est sans cesse reconduit, et même approfondi parce qu’Aurore-Caroline Marty cherche inlassablement de nouvelles matières, s’éloignent toujours plus de l’abstraction géométrique, au profit de tout ce qui pourrait s’apparenter au mauvais goût du jour. En ce sens le travail de l’artiste est politique, il est situé, joue avec la culture de masse, n’hésite pas à faire du beau avec du beauf, faisant d’une frite de piscine la colonne d’un temple grec.

À quoi ressemblaient les cratères foulés par Neil Armstrong le 21 juillet 1969? La tension entre le titre et l’œuvre déclenche la pulsion narrative. Atomic moon se compose d’une kyrielle de masses brunes aux formes accidentées. Ces rochers synthétiques se déploient au sol et dessinent une lune chaotique. Il semble qu’Aurore-Caroline Marty érige des scènes où se joue un drame invisible. Totem, The Last Gate, Venus, sont autant de décors dépourvus de présence humaine. D’autres volumes sont pleins, presque fermés, hostiles au vide qui les entoure. Genesis ou encore You’re the one, semblent être des piédestaux sans objet à rehausser. L’artiste se concentre sur le podium, rejoue ainsi l’histoire de la sculpture et de son socle, poursuivant la longue perspective qui s’étend de Constantin Brancusi à Raphaël Zarka. L’éclipse de la chair est frappante pourtant le sentiment d’une gloire fantôme triomphe. Toujours le socle est un podium qui propulse l’objet porté vers les cieux étoilés de la gloire. Partout brillent les ors, les paillettes bleues électriques, les guirlandes moirées. Starlettes d’aujourd’hui et divinités d’autrefois ont disparu, tandis que le regard butte sur leur absence. Dans In the lime light, les projecteurs n’émettent plus de lumière parce qu’ils ont été remplacés par des fétiches de bois. L’œuvre d’Aurore-Caroline Marty est un cinéma intérieur, où la main de l’artiste laisse une trace analogue à l’activité de l’inconscient dans la rêverie. Les matériaux portent toujours les marques de l’intervention de l’artiste qui les façonne. L’auteur y voit une forme de «dirty sculpture». Du scotch ou des plis irréguliers dans l’épaisseur du papier Kraft, Aurore-Caroline Marty ne s’évertue pas à effacer ces empreintes, elle leurs permet ainsi d’être signifiantes. La main à l’œuvre cherche la transcendance, délivre son désir dans son geste imparfait, rappelle qu’elle se dispense souvent du secours de la machine. Les matériaux pauvres, recouverts d’or fallacieux, trahissent un monde sans gloire qui cherche la grandeur, une terre sans dieu qui pleure son idole. L’œuvre de Aurore-Caroline Marty chante sur une note ironique et désespérée le pessimisme de l’époque actuelle.

— Florence Andoka

«To reveal art and to conceal the artist is art’s aim.»
Oscar Wilde

Cette phrase de la préface du Portrait de Dorian Gray nous inspire la question suivante: que révèle l’art d’Aurore-Caroline Marty et que cache-t-il de l’artiste.
En tant qu’artiste Aurore-Caroline Marty crée des dispositifs. Ils contiennent un facteur technique ou bien, comme le définit Michel Foucault, un réseau qui lie des éléments. Un exemple de dispositif est le panoptique, la fameuse prison de Jérémy Bentham, dans laquelle une seule personne peut surveiller l’ensemble des prisonniers. Le Panoptique a pour but «d’assurer le fonctionnement automatique du pouvoir [1]». La fonction primaire des dispositifs d’Aurore-Caroline Marty est de montrer. À l’inverse du panoptique de Bentham dont le gardien voit tout d’un coup d’œil, le spectateur voit dans les œuvres comme The Last Gate ou Totem un dispositif qui a la fonction de montrer sans que l’on ne voit rien. Ce dispositif est constitué de socles qui mettent en valeur le vide. Bertrand Lavier crée des objets soclés, Aurore-Caroline Marty construit des socles sans objets. Même si ces socles montrent quelque chose, c’est uniquement pour faire diversion, pour mieux camoufler un vide béant, ce vide qui nous entoure, prêt à nous happer à chaque moment. Cette proposition artistique exprime ainsi une préoccupation principale de notre société de divertissement qui est de mettre en avant ce qui n’a pas d’intérêt. Le pouvoir de représentation est plus important que son contenu.

Ces œuvres posent aussi trois problématiques, autour desquelles Aurore-Carole Marty développe son travail. Le problème psychologique lié à l’ambivalence entre le faire apparaître et disparaître que Sigmund Freud a observé dans le jeu du fort-da, le problème épistémologique exprimé par la question: rêvons-nous ou existons nous, et le problème métaphysique de savoir s’il existe autre chose en dehors du monde visible et de nous-même. Ainsi dans ses œuvres ce n’est pas l’arbre qui cache la forêt mais c’est le socle qui cache la sculpture. S’agit il de nous faire voir le «rien à voir / rien avoir» ou tout simplement d’un autre divertissement? On est tenté de répondre que ces dispositifs ont pour but de suspendre le jugement au sens positif que donnait les Sceptiques à l’époché, ou la suspension du jugement pour atteindre la paix de l’âme.

Des socles qui ne portent rien n’ont pas besoin d’être de marbre. Comme les planches de nos scènes et plateaux télé ou les îles de la télé-réalité de Koh Lanta, mais aussi comme les estrades d’échafauds et de guillotines, ces matières sont des matières pauvres, des matières de camouflage hallucinatoire, qui nous font croire ce qu’elles ne sont pas. Contrairement au marbre peint des sculptures antiques qui imitait la chair pour chanter le pouvoir des héros et des dieux, les imitations de marbres n’ont pas de chanson. En tant qu’imitations, elles imitent en se donnant à voir telles qu’elles sont, pures imitations qui ne font pas semblant. Pourtant, le toc, ce bruit des matériaux factices, est un son de cloche nouveau. Un son de cloche auquel on prête une morale, une morale de pauvre, peut-être une morale cachée, mais une morale certaine.

— Fabian Stech

[1]
Michel Foucault,
Surveiller et punir, Naissance de la prison,
Paris, 1975, p. 202.


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Photographies: © Cécilia Philippe, 2015

PILOTE 00

31 mai —
16 juin 2013

PILOTE 00

Exposition
31 mai — 16 juin 2013

> Thomas Couderc <

Né en 1981,
vit et travaille à Marseille.

Les œuvres de Thomas Couderc sont vitalistes, elles débordent d’énergie que le format qu’elles adoptent peinent à contenir. Flirtant avec le dérisoire, ses propositions se manifestent le plus souvent en croissance, en expansion, en mouvement, dans la forme ou dans le fond. L’inachevé, l’épuisement, ou l’échec virtuel ne sont jamais loin, par delà le rythme effréné, l’hubris, l’énergie symbolique et / ou effective qu’elles déploient ou convoquent. Mais le miracle et la poésie non plus, jaillies précisément de ce déséquilibre entre les moyens et les énergies engagées et la finalité ou le résultat escomptés. Pour autant d’ailleurs que ceux-ci apparaissent clairement, ce qui est loin d’aller de soi. […]

— Emmanuel Lambion

LE TIGNE EST EN TOI.
Tony le tigre

«Quelque chose suit son cours»
Samuel Beckett,
Fin de partie, 1957

Pilote 00 se révèle être une sculpture complexe, plutôt qu’une installation, qui délivre une forme particulière de travail sur scénario. Thomas Couderc en est l’artiste et le metteur en scène. Le titre de l’exposition nous propose une première lecture du synopsis. Un pilote désigne l’épisode zéro d’une série télévisée servant à introduire les personnages et l’univers mis en scène. Le spectateur doit prendre la mesure de l’hétéropie et de l’hétérochronie de l’œuvre qui se joue autant devant ses yeux ainsi qu’avec lui. On entre dans une pièce spatio-temporelle, qui est la production d’une résidence d’artiste où l’espace d’exposition est aussi son atelier, qui a lieu ici au moment de son exposition, et dont l’artiste se jouera ensuite pour réaliser un film vidéo. Mais cela, c’est une autre histoire.

LA MATRICE

Une structure blanchie comme des os prend en charge le lieu jusqu’à embrouiller sa charpente. Elle compose ce que j’appelle l’inscène, une «grille de lecture» organique, une matrice difforme et énigmatique autant que rayonnante et invasive. Elle détermine la composition plastique de l’espace, un socle conceptuel et un champ de résistance, architecture d’intérieur dans son sens biologique. Un étrange milieu prend forme d’un ordre à la fois géométrique et reptilien, calculé et inachevé, qui donne littéralement la vision d’un chaos hyperorganisé. Cette ossature stéréotomique oscille ainsi entre plusieurs topiques de la sculpture, l’assemblage, le modelage, la taille et la modélisation, afin de bâtir une sorte de topographie de décor façon casse-tête chinois.

Ce jeu de construction du plein par le vide signifie que l’œuvre est un conteneur physique et mental, qu’elle représente une expansion dans l’espace, le temps et l’imaginaire. Plus qu’un «work in progress», quelque chose en est train d’avoir lieu. On retrouve ici une dynamique de montage qui rejoint une logique de bricolage, un goût de l’expérimentation propre au travail artistique de Thomas Couderc. On retrouve également l’un des fondements de ses pièces dans le sens où l’œuvre n’a pas à être déchiffrée mais à être explorée. L’imagination doit rebondir, toujours être en mouvement, faire «action», mettre bout à bout des morceaux hétérogènes pour des enchaînements parfois inimaginables, toujours aller de l’avant, tailler la route.

Le blanc est ici l’uniforme du formalisme pour dévitaliser les matériaux et les mettre raccord, pour aller au-delà d’un plaisir d’enfant de créer un monde imaginaire sur le monde réel. Le blanchiment des divers objets fonctionne comme alchimie visuelle et transmutation à froid pour créer une sorte de remise à «00». Sauf qu’ici, son application un peu grossière laisse deviner la nature de nombre d’objets. Cela dessine un volume sculptural à la croisée d’un espace réel et d’un espace inventé, à la croisée de l’extérieur et de l’intérieur, qui se représente en confrontation d’une utopie échappée du quotidien avec une entropie de White Cube primitive «naturelle» dans une exposition.

Ce squelette spatial est le fruit d’une récolte entomologique de résidus oblongs, incertains et disparates, dans une logique actionnelle de Meccano «filaire» pour la conquête de l’espace d’exposition. Il s’agit de «jouer avec des choses mortes» (Mike Kelley) de la ville, des produits littéralement finis, avec cette idée de la civilisation consumériste où la cohérence côtoie l’absurde pour former un tout. Notre regard confronte une forme d’errance dans les objets récoltés comme certains oiseaux font leurs nids à base de brindilles de toutes natures. L’artiste travaille cette «grille» comme une partition de sculpteur classique, à la fois en développant la forme par assemblage d’ajouts et en la taillant direct comme un matériau brut. Pour récupérer ce que disait Samuel Beckett, la tâche de l’artiste est de trouver une forme qui accommode le gâchis et le désordre de la vie et du temps. Ce travail passe ici par une pratique sculpturale du cutting et de l’editing à la manière de Thomas Couderc.

À dévorer pour le petit-déjeuner, des Frosties et une orange mécanique pressée
L’ours Timothy (en référence à Timothy Treadwell, l’écologiste américain amoureux des ours au funeste destin sur lequel Werner Herzog a réalisé son film Grizzli Man) est la vedette de l’exposition, l’acteur principal de Pilote00. Timothy (tout comme ses «petits frères», «brouillons de maquette» et figurants) est une statue, une expérience totémique, une créature hybride spectaculaire et surnaturelle, qui devrait inspirer avec un certain décalage effroi et fascination. Son inachèvement ne le rend au fond que plus chimérique et monstrueux. Tim (appelons-le ainsi puisque son rôle est d’être inachevé) se dresse bravement devant nous dans toute la force brute de son ébauche acéphale, sur ses deux pieds comme un vrai bonhomme, dans une position de défi presque agressive, celle d’une liberté qui précède le combat ou celle d’intérieur, immortalisée en trophée taxidermiste. Il représente une figure prise dans une posture théâtrale qui oppose la violence sourde de la bête sauvage (Ursus arctos horribilis) qui défend son «espace personnel» et la métaphore héraldique domestique un peu enfantine ou déjantée («Papa Ours»), comme une sorte d’image nostalgique d’un pays perdu qu’il faut à chacun faire l’effort de se projeter pour le retrouver.

Thomas Couderc envisage la sculpture comme «machine à se faire des films». Les pièces sont performatives à un niveau physique, imaginaire, formel, narratif, humain. La sculpture est ici une histoire non écrite, en cours de réalisation. La matrice d’objets donne ici le rythme et la trame de l’installation et permet de sertir l’action. Le «plan» de l’ours en insert, sculpture figurative qui joue une «image de synthèse». Ses composants sont issus d’une mythologie propre à l’artiste. Le corps de l’ours suit une logique additionnelle et schizophrène. Il se compose par concrétion sur une ossature métallique de boites réelles de céréales pour petit-déjeuner-matière industrielle ready-made; de fac similés où les mêmes boites deviennent des citations visuelles; de coloriages de ces contrefaçons, comme les produits déviant d’un absurde artisanat do-it-yourself; avant de devenir des dérives d’atelier d’artistes produit lors d’un workshop avec Thomas Couderc où il invite ses assistants à remixer une imagerie industrielle en délire créatif. Cette appel au travail d’équipe d’imagination se retrouve dans l’exposition à travers les réserves de boites entassées au sol où le spectateur doit finir mentalement l’ours Tim. Au final, cet ours est donc un peu notre propre création, et de fait, Timothy est un peu de nous. Nous sommes alors devenus des acteurs de ce Pilote 00.

— Luc Jeand’Heur, 25 mai 2013


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Photographies: © Cécilia Philippe, 2013

TRANSITION DES POUVOIRS

15 — 23
juin 2012

TRANSITION
DES POUVOIRS

Exposition
15 — 23 juin 2012

> Marie Aerts <

Née en 1984,
vit et travaille à Paris.

Après ses études à l’École Supérieure d’arts et Médias de Caen / Cherbourg et lors d’un séjour à Londres en 2007, inspiré de l’atmosphère du quartier d’affaires de la City, est né le premier prototype de l’homme sans tête. L’homme sans tête devient ainsi l’objet central de divers projets développés à travers performances, vidéos et photographies par Marie Aerts.

«Le travail de Marie Aerts questionne les notions de pouvoirs et d’organisation sociale qui régissent les sociétés humaines. L’artiste interroge les méthodes de légitimisation d’un pouvoir ou d’une forme de domination et les rapports que celles-ci entretiennent avec la croyance. Elle explore les interstices d’un pouvoir, là où les symboles s’installent et déploient leur capacité de fascination. À travers diverses stratégies d’altération, Marie Aerts s’attaque à ces concentrés de représentations, à l’aide d’opérations de soustraction et de transformation qui lui sont chères.» (Inès Moreno)

Marie Aerts, jeune artiste au travail prometteur, s’attaque avec sa série des hommes sans têtes, en première instance, à la notion d’uniformité, à la notion de l’identité, de la reconnaissance, au statut iconique de la visagéité. L’art du portrait marque l’histoire de l’art. L’identité n’est-elle pas la part maudite de l’homme occidental? Mais en seconde instance, pose métaphoriquement la question du genre tissant avec cette série de dessins représentant les armes à feu que nous propose aussi Marie Aerts?

Curieux personnages que ceux présentés par Marie Aerts, tous uniformément habillés de costumes noirs. Ils semblent surgir d’un tableau de Magritte, à une différence près, au lieu de porter ce fameux couvre-chef, un chapeau melon, signature immédiatement reconnaissable du peintre belge, les personnages de Marie Aerts sont privés de têtes. Acéphales, ils nous plongent dans une inquiètante étrangeté pour reprendre les termes de Freud.

Nous sommes dans l’impossibilité de les identifier, privés qu’ils sont de signes de reconnaissance, de caractéristiques particulières… Une négation de la fiche anthropométrique de police, de la carte d’identité, du passeport, de tout ce qui réclame, peu ou prou, un signe de reconnaissance, une particularité, le fameux signe particulier. Prenons cette photographie réalisée par Marie Aerts aux fameux studios Harcourt. Ces studios sont célèbres par le nombre de portraits de stars réalisés, avec comme signature, toujours ce même décor, ce même traitement, qui transforment le portrait en icone. Ce régime de traitement iconique finit par dépersonnaliser le sujet, toujours la même pose, interchangeable. Deleuze et Guattari parlent de machine abstraite de visagéité qu’il décrivent comme un système trou noir-mur blanc.

«Le visage n’est pas une chose donnée, mais une réalité volatile et éphémère, une variation infinie, à partir des éléments de la tête et en fonction des situations (notamment de pouvoir) [1].»

[1]
André Rouillé,
La photographie, Entre document et art contemporain,
Gallimard, coll. Folio essais,
2005.


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Photographies: © Les Ateliers Vortex, 2012

LA LUNE DES LAPINS

9 septembre —
1er octobre 2016

LA LUNE DES LAPINS

Exposition
9 septembre— 1 octobre 2016

> Marie-Johanna Cornut <

Né en 1986,
vit et travaille à Nantes.

Marie-Johanna Cornut est diplômée de l’Ecole des Beaux-arts de Toulouse en 2010. Elle présente son travail en France et à l’étranger, lors d’expositions et de résidences notamment à Est Nord Est (Québec) en 2012 et dans la huesca en Espagne en 2011 par les pépinières européenes. En 2014, elle est en résidence à la Cité internationale des Arts de Paris. Elle participe à la 66 ème edition de Jeune Création à la galerie Thaddeus Ropac à Pantin. En 2016, elle présente une exposition personnelle, La Lune des Lapins aux ateliers Vortex ainsi que La mécanique céleste 3.0 dans la rotonde du consortium à Dijon.

La pratique de Marie-Johanna Cornut se développe en sculpture et en installation. Tout en puisant dans un vocabulaire formel minimal, sa pratique s’inscrit dans un réseau plus large de références qui mêle tout aussi bien l’architecture, l’artisanat, le design ou encore la culture populaire. Il questionne le champ de la sculpture dans sa relation à l’objet, au savoir-faire et à la production ainsi que dans sa capacité à faire image. Il joue sur l’ambigüité entre l’abstraction et la figuration, entre l’objet purement esthétique et l’objet fonctionnel. L’artiste s’aventure dans une mise en scène où les sculptures pourraient jouer le rôle de planètes dans un univers aux orbites fluctuantes. Outils d’alchimistes ou de géomètres hallucinés, l’ensemble est posé comme un décor qui engage un point de vue frontal mais invite aussi à être parcouru comme un paysage. Son langage est surtout composé de déséquilibres, d’obstacles, de changements d’échelle, de jeux entre objet et image.
Un des enjeux du langage formel développé, est l’élaboration d’un vocabulaire de signes tenant a priori d’une figuration minimum et parfois vernaculaire. L’immobilité supposée de ces objets est déjouée par la mise en route d’une mobilité fictionnelle.

>www.marie-johannacornut <

Pierrot est amoureux d’un lapin albinos caché à la surface de la lune. Où que Pierrot aille pour se détourner de sa passion, la lune est là. Le fantoche saute, tombe, s’épuise à vouloir décrocher ce que nul n’a jamais pu atteindre. Un ange lui apporte un miroir, l’invitant à se considérer dans cette affliction absurde. Plus tard, Pierrot franchit un rideau et les rôles s’inversent : Pierrot tombe de la lune et meurt, tandis que le mystérieux lapin est désormais sur terre. Nul ne saura jamais ce que signifie vraiment un symbole, de quoi il serait, selon son étymologie, véritablement la moitié. Satisfaction impossible, vérité mortifère, illusion éternelle, la puissance du mythe, mis en scène dans Rabbit’s moon de Kenneth Anger, est aussi son énigme, son ouverture aux possibles interprétations. Le mythe et les symboles qui le composent, voilà la matière première avec laquelle joue Marie-Johanna Cornut. Comment les formes, les couleurs et les sons entrent-ils en résonance avec notre existence ? Du courtmétrage de Kenneth Anger, Rabbit’s moon, Marie-Johanna Cornut a d’abord emprunté le titre énigmatique, comme initiation possible à son propre récit.

Ici tout est double. Chaque élément visuel venant composer La Lune des lapins renvoie à un ailleurs, qu’il s’agisse du film originaire de Kenneth Anger ou bien d’un autre élément qui participe de l’oeuvre de Marie-Johanna Cornut. Tout fait récit, tout est dans tout. Le miroir circulaire, collé à la paroi en aggloméré qui traverse l’espace sinueux de Panoramic, rappelle celui du film. Nul corps humain figuré au sein de l’oeuvre. L’arlequin de Rabbit’s moon n’est plus que réminiscences colorées venant ponctuer la scène. Installation immersive ou théâtre d’objets La Lune des lapins est une saynète en quête de visiteurs. L’exposition devient une composition, dont toutes les sculptures : Panoramic, Mola, Transmission, Hue, interagissent pour former un récit. Ces pièces ont été conçues et réalisées ensemble. Le processus créatif de Marie-Johanna Cornut s’initie dans le lieu, c’est-à-dire dans l’espace d’exposition, comme dans l’environnement dans lequel l’artiste a vécu le temps de la résidence. Les relations se sont alors tissés, selon le jeu incertain des affinités électives, venant enrichir encore les procédés de la création. Marie-Johanna Cornut convertit la vie en matière sonore modulable, habillant La Lune des lapins d’une bande son réalisée avec Gabriel Afathi à partir d’enregistrements collectés le long de la résidence. Cette pièce sonore, intitulée Référentiels, associe mélodies et bruits hétéroclites. Ironie du titre, Référentiels, ne situe pas La Lune des lapins dans l’espace et le temps. Au contraire la perception du visiteur est rendue chaotique, la frontière entre la bande-son et ce qui lui est extérieur devient difficilement saisissable.

De prime abord, Mola, Hue et Panoramic apparaissent comme des oeuvres abstraites. Les matériaux bruts : l’aggloméré, le dibond, les chaînes, le tissu polaire rappellent l’univers du bricolage et de la construction. Le jeu des formes géométriques, tel une conversation secrète, ne renie pas l’héritage des sculpteurs des Avant-gardes, (Joan Miró en tête). Pourtant, dans La Lune des lapins, la forme fait sens en ce qu’elle ouvre à la fiction. L’histoire n’est littéralement plus celle du film d’Anger, pourtant, le lapin, symbole possible d’au-delà n’a pas disparu. Constellation fictive sur tissu matelassé, Mola, s’inspire de techniques de coutures sud-américaines. Le ciel, les astres, comme leur connotation métaphysique perdurent.
Transmission invite à un autre basculement. Celui qui portera un coquillage à son oreille n’entendra pas le bruit de la mer, comme le raconte la légende, mais bien le son des pas, des frottements alentours, comme de sa respiration.

Nulle tristesse dans les lambeaux de cette fête juvénile, dans cet élan métaphysique devenu incertain. La duplicité permanente de l’oeuvre, entre intérieur et extérieur, forme et récit est parachevée par l’humour facétieux qui anime l’exposition. Tout est trop factice pour que le piège ne se referme sur le spectateur. Mola est une tenture sur tasseaux où les tasseaux dépassent la tenture. La magie n’opère plus. Marie-Johanna Cornut montre toujours l’envers du décor, ne cache pas ses coups de pinceaux, instille toujours ironie et absurdité contre l’esprit de sérieux. Hue est un agencement de fers à cheval porte bonheur, un chandelier dont les branches ont perdu la direction du ciel, un capharnaüm rappelant le logo de la maison Chanel.

Comme un point d’orgue à La Lune des lapins, Marie-Johanna Cornut présente au Consortium, une oeuvre réalisée en collaboration avec Cécilia Philippe La Mécanique Céleste 3.0. Des ateliers Vortex au Consortium, l’énergie troublante de Référentiels crée une continuité sonore entre les deux lieux, et souligne comme la cohérence de la double proposition de Marie-Johanna Cornut. En outre, l’installation, La Mécanique céleste 3.0, se compose également de deux autres pièces : un vaste rideau constellé de larmes blanches, violettes et dorées, intitulé Neige marine, ainsi qu’Anthrène et Attagène, deux poufs qui font face à l’étoffe suspendue.
Le spectateur est ainsi invité à s’asseoir devant un rideau, sur deux sièges aux sobriquets teintés d’hellénisme leur conférant une théâtralité dissimulant à peine leur réalité parasitaire. Les anthrènes et les attagènes, comme les puces de matelas sont des animaux attaquant les textiles, les voici devenus deux assises à la toile ornée d’un motif de pixellisé. Le séant dévoré par le numérique, c’est la voie lactée qui s’offre à notre regard. Si pour Pierrot, la traversée du rideau dans Rabbit’s moon signe la mort, l’échec de la satisfaction du désir, la vie impossible après la connaissance, dans La Mécanique céleste 3.0, au-delà du rideau c’est le mur, sans mystère ni ambiguïté.
Florence Andoka


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Photographies: © Cécilia Philippe, 2016

APEX

20 mai —
12 juin 2016

APEX

Exposition
20 mai — 12 juin 2016

> Paul Duncombe <

Né en 1987,
vit et travaille à Paris et Caen.

Diplômé de l’école Nationale Supérieure des Arts Décoratifs en 2014, Paul Duncombe (1987, France), développe et expose de nombreux projets sur le territoire : Jeune Création 66 (Galerie Thaddaeus Ropac, janvier 2016), Voyons-Voir (Aix-en-Provence, avril 2016), La Factorine (Nancy, mars 2016), Manoir de Soisay (La Perrière, juillet-août 2015), Arts à la Pointe (Cap Sizun-Pointe du Raz, juillet-août 2015), Des Artistes en Campagne (La Bassée Montois, juin-août 2015), Zones (Paris, janvier 2015), et à l’international : Zones_II (Bruxelles, novembre 2015), Est-Nord-Est (Saint-Jean-Port-Joli, mai-juin 2015), Avatar – Coopérative Méduse (Québec, janvier-avril 2015).

À partir d’une réflexion singulière sur l’interaction entre être humain et nature Paul Duncombe explore les différentes échelles du paysage, passant par exemple de la goutte d’eau au tsunami, de la graine à la forêt ou du grain de sable au désert. D’un simple geste aux installations monumentales les plus complexes, entre performances, sculptures minimales et interventions sur site, son travail traverse aussi les frontières et les disciplines : que ce soit pour l’organisation d’une expédition sur un lac gelé (Sur Fond Blanc, 2015), d’une intervention in-situ dans les Appalaches (Quand la forêt pousse, 2015), ou pour la mise en place d’une installation électronique d’envergure (Sans-titre, 2015), ses projets l’ont mené à collaborer avec de nombreux artistes, ingénieurs et artisans mais aussi avec des biologistes, des archéologues, des guides professionnels ou encore l’armée, multipliant ainsi les points de vue et les expériences.

> paulduncombe.com <

Ce qui est montré dans mon travail est le plus souvent la trace d’une série d’événements contingents : des trajectoires de particules insaisissables qui durant leur voyage donnent un instant au monde ses formes et ses mesures. De l’océan à la goutte d’eau, du désert au grain de poussière, du paysage à l’atome, je m’intéresse aux interactions entre les éléments infiniment petits, les horizons lointains et les corps qui les habitent. Temps, gravité, pression, frottements, manifestations éphémères ou variations lentes et continues, j’examine alors les phénomènes qui agissent depuis toujours sur la matière. À l’affut de ces imperceptibles évidences, je m’attache aux formes transitoires et aux richesses du non-visible.

Cette réflexion prend sa source dans l’observation des mécanismes de transformation du monde et dans la reconnaissance des empreintes laissées par l’Homme durant ce processus. En résistant ou en composant avec l’inéluctable déroulement du cours des choses, je questionne aussi le geste artistique, envisagé ici comme une perturbation vaine et sublime de cet écoulement. L’exploration quantitative de moyens et les expérimentations méthodologiques caractérisent ma démarche. L’inattendu ponctuant cette recherche est examiné avec intérêt puis développé dans des réalisations plastiques où j’oppose le plus souvent l’effort de production et la matérialité du
résultat.

— Paul Duncombe


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Photographies: © Cécilia Philippe, 2016

THIS COULD BE HEAVEN OR THIS COULD BE HELL

22 avril —
13 mai 2016

THIS COULD BE HEAVEN OR THIS COULD BE HELL

Exposition
22 avril — 13 mai 2016

> Guillaume Boulley <
> Hugo Capron <
> Antoine Château <
> Hugo Pernet <
> Nicolas Rouah <
> Hugo Schüwer Boss <

Exposition collective de peinture sur une proposition de Nicolas Rouah.


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Photographies: © Cécilia Philippe, 2016