Catégorie : 2023
OPÉRATION STASE
8 septembre – 4 novembre 2023
opération stase
Exposition
Du 8 septembre au 4 novembre 2023
> Anaïs Gauthier <
Avant même de pénétrer dans l’installation comme on pénétrerait à l’intérieur d’un ventre sacré et mécanique, il y a ce bruit. Le clapotis léger des fluides qui s’échappent de leur matrice, le ronronnement des treuils qui s’activent dans un mouvement de va-et-vient continu. En bas des escaliers, un lustre oscille dans le creux d’un puit de lumière. Il annonce la valse cinétique qui se joue plus haut. Et puis nous y sommes. Où ? On ne saurait dire avec certitude. Parce que révélée, rejouée, prolongée, l’architecture du lieu s’efface presque pour laisser place à un environnement composé de strates qui font chorale. Un rhizome suspendu de tuyauterie transperce la pièce de part et d’autre, permettant une circulation des fluides et la mise en réseau complexe du système à l’oeuvre. Aux extrémités des canalisations, deux lustres constitués d’une superposition d’inox, de cire et de silicone s’abaissent lourdement de façon résolument dramatique. En s’abaissant, ils s’enlisent dans une eau laiteuse contenue dans de larges réservoirs recouverts de mosaïques bleu pâle et vertes. L’ensemble s’entremêle au sein de l’espace devenu le support d’un fantasme de chair et d’acier.
Le titre même de l’œuvre, Opération Stase, évoque une introspection tout autant qu’une volonté d’observer ce qui est latent, de scruter la mécanique profonde de l’univers qui échappe généralement à notre regard. Anaïs Gauthier nous plonge au cœur d’un environnement aseptisé, quelque part entre le monde médical et industriel. Finalement, il s’agit ici de prendre « soin des choses » pour reprendre les termes de Jérôme Denis et David Pontille qui explorent dans leur ouvrage éponyme1 le fragile qui nous entoure et la notion de maintenance en tant qu’ « art de faire durer ». Ce soin des choses est aussi celui de tous les corps, abîmés, morcelés, imparfaits qui trouvent refuge au sein de cette architecture où la mosaïque domine, non sans rappeler celle du hammam ou des thermes. Symboliquement, l’eau occupe une place centrale dans cette pièce, à la fois purificatrice et incontrôlable, telle une force insaisissable. Cependant, l’équilibre semble vaciller, car l’installation suggère un possible dysfonctionnement. Un paradoxe s’installe : cet espace, conçu pour prodiguer des soins, est empreint de souillure, marqué par la poussière noire issue de cette ancienne friche industrielle, comme mis à mal par le temps et les épreuves. Le réseau tentaculaire d’acier qui se déploie dans l’espace évoque de son côté un mécanisme défaillant : les tuyaux qui le composent sont colmatés par endroit par du tissu, dans une tentative de maîtriser des fuites effrontées.
Fragile et irriguée par une source mystérieuse, l’installation se révèle vivante, vibrante de couleurs qui évoquent la vigueur d’un organisme en perpétuel mouvement. Ici, la défaillance est celle des machines et des corps, deux entités qui semblent fusionner au sein de l’oeuvre. Questionnant les dispositifs de pouvoir qui les aliènent toutes deux, l’artiste envisage leur émancipation par la métamorphose et leurs mutations possibles. On pense alors à Silvia Federici et son ouvrage Par-delà les frontières du corps2 qui pense celui-ci comme un objet historique, domestiqué, violenté à se réapproprier. Pour cela, Silvia Federici propose : écoutons attentivement le langage du corps, en saisissant sa fragilité et ses imperfections, afin de rétablir la connexion magique qui nous unit et dépasser ainsi les limites artificielles qui nous séparent. De même, Anaïs Gauthier transfigure le vocabulaire industriel pour questionner l’altération des corps et tenter de les réparer. Opération Stase se découvre telle une énigme visuelle, un territoire délicat, sensoriel, existentiel qui nous plonge dans une « affectologie » propre à la sphère du soin. Avec son installation l’artiste nous entraîne dans une traversée en quête de sens, où chacun·e est convié·e à observer l’inobservable et à méditer sur sa fragilité latente.
Lena Peyrard
1 Jérôme Denis, David Pontille « Le soin des choses : politique de la maintenance », 2022. Editions la Découverte
2 Silvia Federici « Par-delà les frontières du corps », 2020. Editions Divergences
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Photographies : © Pauline Rosen-Cros, 2023
VEINS
26 mai – 01 juillet 2023
VEINS
Exposition
Du 26 mai au 01 juillet 2023
> Antoine Renard <
Les Ateliers Vortex invitent Antoine Renard à produire une nouvelle installation dans leur espace d’exposition.
Antoine Renard s’intéresse aux processus de réparations et de soin, à la fois corporels, psychiques, intimes et collectifs. Son travail est fortement influencé par les multiples séjours de recherches qu’il effectue en Amazonie Péruvienne depuis 2018, lors desquels il s’est initié aux pratiques rituelles des guérisseurs Perfumeros, Ayahuasceros et Washumeros.
Depuis plusieurs années, l’artiste déploie une pratique marquée par les dimensions architecturale, olfactive et sonore de ces oeuvres. Utilisant l’espace et les sens comme catalyseurs et véhicules émotionnels.
Abordant la question de l’adolescence et du corps en transition, l’artiste travaille à partir d’histoires, de fait divers et de monuments de la culture occidentale qu’il déconstruit et transpose spatialement et sculpturalement, créant des environnements immersifs ou se croisent nouvelles technologies, pop culture et pratiques ritualisées.
Veins (les veines) est le titre d’une chanson du rappeur Lil Peep, décédé d’une overdose en 2017 à l’âge de 21 ans. La chanson relate un chagrin d’amour mélancolique et brutal, comme on peut en vivre à 20 ans. Entre drogue, sexisme et auto destruction, Veins nous transporte dans une allégorie de l’amour comme une substance toxique circulant dans les veines, abordant d’une manière propre à Lil Peep la question de l’abandon, de la peine et de la réparation.
Utilisant la chanson comme matière première, l’installation Veins est une déconstruction physique, psychique et mystique de ce titre iconique de la subculture des années 2010. Les différents éléments qui composent l’installation abordent la problématique de la douleur et de l’amour à la manière d’un rituel néo gothique, il s’agit d’une dérive «EMO» dans la matérialité vibratoire des expériences, des fantasmes et des émotions qui composent et décomposent les corps et les identités. Veins (les veines) est une installation composée d’une large grille métallique derrière laquelle une série d’enceintes diffusent une bande son aux fréquences lourdes et envoûtantes, ces fréquences sont issues du titre originale de Lil Peep. Travaillée en profondeur, étirées, altérés, retournés, la chanson devient une onde, une vibration presque physiologique appelant au recueillement et à la méditation. La grille, coupant et interdisant une partie de l’espace, est incrustée de larges motifs en forme de coeur en cire parfumée, tous rongés, fondus et percés, dégoulinant sur le sol de la pièce, comme une offrande, une série d’ex voto tour à tour matières, sentiments, fluides et symboles.
La troisième œuvre de l’installation est une série de textes, reprenant les paroles du titre Veins, Antoine Renard à demander au programme chatGPT de réécrire la chanson en interprétant chaque phrase comme une odeur. Le programme, se nourrissant du contenu global accessible en ligne, produit alors des réponses qui sortent le texte de la subjectivité de l’auteur pour l’amener dans un territoire de l’ordre de la mémoire collective. Chaque phrase devient alors une nouvelle histoire générée par la machine, comme autant de possibilités de régénérations, d’interprétations, à la fois lyrique, olfactive et émotionnelle de l’œuvre.
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Photographies : © Pauline Rosen-Cros, 2023
MEUNIER, TU DORS
17 mars – 29 avril 2023
MEUNIER, TU DORS
Exposition
Du 17 mars au 29 avril 2023
> Nathan Carême <
« Régulièrement, des habitants de Marsannay-le-Bois, Épagny et Savigny-le-Sec ressentent des vibrations dans leurs maisons. Certains constatent des fissures. Les regards se tournent vers la carrière Socalcor, située dans les communes d’Épagny et Savigny-le-Sec. »
Le Bien Public, 09/10/2018
Ça commence comme ça, on parle avec Nathan de quelque chose qui vient du sol, qui perturbe. Il me raconte que les gens qui habitent à côté de la carrière dans laquelle il a filmé Le Marchand de Sable se plaignent de vibrations venues du sol. Je lui parle de Signes de Vie de Herzog, il me semble que les vibrations du sol provoquées par les canons font croire au personnage principal que le diable lui parle. Je ne m’en souviens pas vraiment alors je ne m’étends pas. On parle d’une vidéo virale, en Chine des centaines de moutons se sont mis à tourner en rond sans interruption pendant 12 jours consécutifs. Une théorie émerge, les moutons auraient la listériose, une maladie qui cause des troubles de l’orientation. Mais le propriétaire dit que ses moutons sont en bonne santé. C’est écrit en gras dans l’article que je lis, je trouve ça bien, c’est une sorte de clef de voûte d’une interprétation mystique de l’événement. On parle au téléphone de ça, du côté mystique et du côté viral de certaines infos. On parle de fourmis qui, lorsqu’elles perdent le chemin de leur essaim se mettent ensemble à tourner en rond jusqu’à mourir d’épuisement. Le parallèle avec l’expo est bien, elle s’appelle Meunier Tu Dors comme la chanson pour enfants. Les paroles d’origines sont celles-ci :
« Meunier tu dors, ton moulin, ton moulin va trop vite
Meunier, tu dors, ton moulin, ton moulin va trop fort
Ton moulin, ton moulin va trop vite
Ton moulin, ton moulin va trop fort »
Un moulin tournant trop vite peut exploser à cause de la poussière de farine qu’une étincelle issue des meules embrase. Wikipédia dit que d’autres paroles ont été ajoutées par la suite. Ça dit :
« Meunier tu dors, et le vent souffle souffle
Meunier tu dors, et le vent souffle fort
Les nuages, les nuages viennent vite,
Et l’orage et l’orage gronde fort !
Les nuages, les nuages viennent vite,
Et l’orage et l’orage gronde fort !
Le vent du Nord a déchiré la toile
Meunier, tu dors, ton moulin est bien mort »
La citation est pratique, elle me permet de mettre le mot mort que je ne voulais pas employer moi-même, mais plutôt convoqué, comme là avec la chanson, donc c’est fait. Je ne voulais pas parce que l’expo de Nathan ne parle pas de la mort, mais pourtant l’évoque. Elle rôde. Je pense à L’Intruse de Maurice Maeterlinck, une pièce de théâtre dans laquelle un vieil aveugle sent la mort arriver dans la maison pendant un repas de famille.
Non, la mort, il faudrait arriver à ne pas en parler dans le texte, juste la rendre présente. En fait, ce que je voudrais dire au sujet de l’expo de Nathan serait plutôt une histoire de poussière. On reparle de la vidéo, tournée dans la carrière évoquée dans l’article plus haut. La vidéo s’appelle Marchand de Sable, je lui dis que c’est marrant, à cause de Le Marchand de Sable, les gens des villages n’arrivent pas à dormir. On commence à parler de contradiction. Je lui rappelle que lorsqu’il m’a demandé d’écrire le texte, il m’avait dit « Je ne sais pas encore, mais l’expo sera sûrement un genre de grenier ». Alors qu’au téléphone, on ne parle que du fait d’être sous terre. Il me dit à ce sujet qu’une des photos de l’expo s’appellera Ci-dessus, ci-bas.
Je repense à mon histoire de poussière. Il veut remplir l’espace de ouate de cellulose et appeler ça Congère, comme les amas de neige entassés par le vent. Je lui parle de vrombissement, je lui dis que j’aimerais bien écrire le texte à ce sujet. Je lui dis que j’ai l’impression que son expo serait comme la poussière qui vrombit de manière infime, mais effective lorsqu’un train passe proche d’un grenier. Qu’il s’opérerait à ce moment-là une sorte d’ébranlement total d’une surface, de manière invisible. Il me dit qu’il n’aime pas trop les trains et qu’il préférerait que le texte n’en parle pas. Je pense quand même que l’image à une justesse, que je pourrais l’utiliser. Je crois qu’il faudrait que je précise. On parle un peu de nuées ardentes qui pétrifient tout, d’un coup net. On parle du fait que nous avons mis le même jour une photo d’un radiateur soufflant de la marque Pompéi en story sur Instagram, que nous avions tous les deux vu à Vortex, mais à des moments différents. Je repense aux nuées ardentes. C’est une nouvelle contradiction, après le fait que l’expo soit proche du ciel et sous terre à la fois, pour reprendre une expression utilisée pendant notre conversation. Elle évoque quelque chose qui se fige de manière instantanée et très lente en même temps. Je pense au paradoxe qui apparaît lorsque l’on pense à Pompéi, un évènement très soudain, qui a figé les choses en quelques secondes à peine, mais sur lequel deux mille ans sont passés ensuite. Il y a ce dialogue entre un instant précis, disruptif et un lent déclin. On parle de Robert Smithson et de sa métaphore de l’entropie :
« Imaginez un bac à sable divisé en deux, avec du sable noir d’un côté et du sable blanc de l’autre. Nous prenons un enfant et le faisons courir des centaines de fois dans le sens des aiguilles d’une montre dans le bac jusqu’à ce que le sable se mélange et commence à devenir gris ; ensuite, nous le faisons courir dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, mais le résultat ne sera pas une restauration de la division originale, mais un plus grand degré de grisaille et une augmentation de l’entropie. »
Nathan m’écrit plusieurs jours après pour savoir si le texte avance, je lui dis que je voudrais faire un texte qui ne parle pas de l’expo, mais qui évoque des choses, comme le fait son expo, elle ne parle pas d’une histoire, mais elle en évoque plein. Il est d’accord.
Andréa Spartà, 2023
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Photographies : © Siouzie Albiach, 2023
IN TWO IV
20 janvier —
18 février 2023
EXPOSITION D’ÉLODIE ARMATA & ALETHIA LECOQ DIAZ
CONCERT DE NINA GARCIA
Exposition 20 janvier – 18 février 2023
> Élodie Armata <
La pièce sonore a fait l’objet d’une captation, diffusée ultérieurement sur Youtube et accessible sur les réseaux des Ateliers Vortex et d’Ici l’Onde.
Une vision objective, c’est un regard qui se porte exclusivement sur les objets. Il n’en est pas question ici. C’est bien le vivant qui se présente à nous. Une structure de métal, évoquant une forme organique, repose sur un cercle jaune. Une pierre est couverte de perles de rocailles qui dégoulinent au sol, de ce socle pousse une enfilade de bouteilles en plastique, rappelant la forme d’une plante qui aurait trouvé les ressources dans la terre aride pour se hisser vers les hauteurs et grandir. Ces bouteilles sont généralement utilisées au Mexique pour protéger les extrémités des fers à béton, dans les maisons dont les étages supérieurs restent à construire.
Une liane en mousse rose fluo, prenant la forme d’un tissage de fleurs, est suspendue devant un aplat bleu cobalt. On retrouvera cette forme rose dans certaines toiles d’Élodie Armata, comme si le volume de l’une allait cheminer dans les pièces de l’autre. Cette idée de balade, d’errance et de marche est un point de départ au travail des deux artistes. Un point de départ déjà en mouvement, visible dans les pièces, où les formes sont dynamiques. On s’étonnerait à peine de les voir bouger.
La nature et l’artificiel ont une voix commune dans le travail d’Alethia Lecoq-Diaz. Les éléments créent de nouveaux paysages, avec des lignes de mire à suivre pour se perdre. Ces éléments sont récoltés dans les villes, en parcourant leurs marges et leurs failles, en y découvrant des possibles. « Façonnés d’un va-et-vient entre la France et le Mexique, ces nouveaux paysages mélangent leurs architectures, mais aussi leurs rouages, leurs fonctionnements explicites ou cachés, tant économiques qu’humains. »
Quand Élodie Armata part en balade, de ces errances, elle collecte des éléments visuels dont elle s’empare pour les simplifier à l’extrême. Elle les traduit par un langage formel qui lui est propre, où les phénomènes apparaissent dans ce qu’ils ont d’essentiel. L’essentiel est-il la nature d’une chose dont on aurait enlevé le superflu et le contexte ? Ou au contraire, le contexte et le superflu sont-ils constitutifs de toute chose ?
Au préalable conçues de manière numérique, Élodie Armata passe ensuite à la peinture acrylique, à la bombe et au bâton d’huile pour réaliser ses toiles. Plus qu’un brouillon préparatoire numérique, ce processus créatif nous parle du rapport que nous avons à l’image digitale et physique. Ses toiles forment ainsi une œuvre hybride, dont émanent avec la même intensité pixels et pigments. À mi-chemin entre l’abstraction et la figuration, l’important ici n’est pas de reconnaître et de nommer ce que nous voyons, mais de sentir la familiarité de ce qui se présente à nous, sans pour autant saisir tout ce qui est invoqué.
Au-delà d’une vision polarisée de notre réalité, Élodie Armata et Alethia Lecoq-Diaz nous offrent une lecture sur les entre-deux du réel, où les détails comptent. Elles nous donnent à lire une vision particulière du monde, vivante et saturée. Un monde constitué d’infime et d’immense. C’est dans les interstices qu’elles y trouvent leur langage.
Marion Mucciante, 2023
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> Performance Vernissage IN TWO IV <
Crédits photographiques : © Siouzie Albiach, 2023