AU CIDRE ET À L’OBERLIN

2 juin – 15 septembre 2017

AU CIDRE ET À L’OBERLIN

Exposition hors les murs
Château de Châteauneuf-en-Auxois
2 juin – 15 septembre 2017

> Aurélie Ferruel <
>Florentine Guédon<

Pour la quatrième année consécutive, le Conseil Régional Bourgogne-Franche-Comté donne carte blanche aux Ateliers Vortex pour l’exposition estivale au château de Châteauneuf.
Pour l’édition 2017, les Ateliers Vortex ont souhaité présenter le travail d’Aurélie Ferruel et Florentine Guédon.

Photographies:
©lesateliersvortex, 2017

NEW WORLD

8 septembre —
30 septembre 2017

NEW WORLD

Exposition
8 septembre — 30 septembre 2017

> Romain Vicari <

Né en 1990,
Vit et travaille à Paris et au Brésil.

« L’esprit se refuse à concevoir l’esprit sans le corps. » 1

En 1928,Oswald de Andrade (1890-1954) signe le Manifeste anthropophage ; un poème hybride, à la frontière de l’essai, considéré aujourd’hui comme l’un des textes fondateur de la modernité au Brésil. Né à São Paulo, Andrade y défend l’idée que ce qui constitue « socialement », « économiquement » et « philosophiquement » 2 l’identité brésilienne est la pratique anthropophage. Hérité des Tupis – un groupe de tribus amérindiennes installées sur la côte Est du pays, à l’embouchure de l’Amazone –, ce rituel n’a chez eux rien d’un cannibalisme aveugle : c’est au contraire un acte sophistiqué, pour lequel la dévoration de l’ennemi ne représente pas tant une opportunité alimentaire qu’un moyen d’inscrire dans la mémoire de son propre corps, par absorption, les qualités d’un autre ayant été préalablement choisi par la tribu. Par extension, cette volonté d’assimilation est devenue le symbole d’une culture brésilienne hétérogène, qui s’est construite à partir d’influences diverses, greffées aux bifurcations de ses racines indigènes.

S’il est parfois risqué d’analyser une production en fonction des origines de son auteur, il s’avère éclairant de rapprocher cette vitalité métabolique identifiée par Oswald de Andrade au travail de Romain Vicari, artiste italo-brésilien chez qui les phénomènes de digestion sont manifestes. On le percevra tout d’abord dans l’histoire de l’art, et notamment celle des avant-gardes européennes, dont on sent palpiter l’influence dans une ligne, un aplat, un volume évoquant tour à tour René Magritte, Henri Matisse ou Jean Arp. On saura voir, également, derrière l’horizon bigarré de ses sculptures, dans l’effervescence même de leur soulèvement hirsute, la réminiscence d’une végétation tropicale, venant s’agréger aux barres d’acier structurant ses installations. On saisira, enfin, l’intime proximité qui lie cette œuvre au contexte urbain, à la dynamique de métamorphose des villes, ainsi qu’à l’appréhension empirique qu’en fait Romain Vicari, entre collecte d’informations visuelles et récupération de rebuts de toutes sortes. La liste pourrait évidemment s’étendre, elle nous conduirait sans doute à circuler parmi l’élégante légèreté des tissus colorés d’Hélio Oiticica et la brutalité pop d’Urs Fischer, entre les parti-pris iconoclastes de Michael Asher et les tracés énigmatiques des pixadores, ces tagueurs de São Paulo ayant extrait de l’alphabet runique le style crypté de leurs lettrages.

Cependant – et c’est là un point essentiel –, l’entreprise d’identification montrerait rapidement ses limites. Non pas que toutes ces références n’innervent pas, d’une manière ou d’une autre, l’œuvre de Romain Vicari ; mais parce qu’au contraire, prises dans un processus de transmutation perpétuel, elles se combinent et s’enchevêtrent jusqu’à générer une matière nouvelle et singulière qui rendrait toute ambition dissociative, sinon inopérante, pour le moins incomplète. Tout l’enjeu semble ici de dépasser un exercice citationnel qui confèrerait à l’artiste un rôle de « manipulateur de signes » – pour reprendre l’expression que Hal Foster avait employé, à la fin des années 80, à l’égard des appropriationnistes. L’artiste anthropophage bouscule l’assemblage conceptuel en lui préférant une relation empirique aux objets, à l’histoire ou à l’apprentissage. « Contre la Mémoire source de coutume/L’expérience personnelle renouvelée. » 4

Il n’est dès lors plus très étonnant de retrouver des matériaux comme le plâtre, la résine ou le sable entrer dans la composition des environnements érigés par Romain Vicari. Dans leur capacité à capturer les formes, les gestes et les couleurs, ils sont les agents d’un projet de rétention sélective, devenant à leur tour des conglomérats à réemployer, à rediriger, comme les termes d’une syntaxe en permanente reconstruction. Faite de l’alternance de lignes droites et courbes – allégoriques là aussi de cette modernité tropicale, où les cadres prédéterminés se laissent envahir par la dynamique entropique -, l’installation Abajà (dont le titre signifie « collier », en tupi-guarani) fonctionne d’ailleurs comme une phrase sens dessus-dessous, avec ses lettres renversées et sa ponctuation minérale. Conçue pour la galerie Escougnou-Cetraro, il faudrait questionner sa portée à l’orée de l’exposition « Au delà de l’image », qui lui fournit son écrin formel et théorique. Qu’y a-t-il, en effet, dans ce hors-champ matériel que nous dresse Romain Vicari ? On s’aventurera à dire qu’il y a là toute une poétique de soi dans le monde et du monde en soi, dépassant les rationalismes exacerbés, prônant la subjectivité animiste comme alternative aux désastres qu’on nous prédit.

Franck Balland

1 Oswald de Andrade, Manifeste anthropophage, Blackjack éditions, Paris/Bruxelles, 2011, p. 13.
2 Ibid. p. 9.
3 Hal Foster, Signes de subversion, dans « Recodings: Art, Spectacle, Cultural Politics », Bay Press, Seattle, 1985. Reproduit en français dans « Art en théorie 1900-1990, une anthologie » par Charles Harrison et Paul Wood, Hazan, Paris, 1997, p. 1155.
4 Oswald de Andrade, op. cit., p. 21.

www.romainvicari.com<


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Photographies: © Cécilia Philippe, 2017

NEW WORLD

8 septembre —
30 septembre 2017

NEW WORLD

Exposition
8 septembre — 30 septembre 2017

> Romain Vicari <

Né en 1990,
Vit et travaille à Paris et au Brésil.

« L’esprit se refuse à concevoir l’esprit sans le corps. » 1

En 1928,Oswald de Andrade (1890-1954) signe le Manifeste anthropophage ; un poème hybride, à la frontière de l’essai, considéré aujourd’hui comme l’un des textes fondateur de la modernité au Brésil. Né à São Paulo, Andrade y défend l’idée que ce qui constitue « socialement », « économiquement » et « philosophiquement » 2 l’identité brésilienne est la pratique anthropophage. Hérité des Tupis – un groupe de tribus amérindiennes installées sur la côte Est du pays, à l’embouchure de l’Amazone –, ce rituel n’a chez eux rien d’un cannibalisme aveugle : c’est au contraire un acte sophistiqué, pour lequel la dévoration de l’ennemi ne représente pas tant une opportunité alimentaire qu’un moyen d’inscrire dans la mémoire de son propre corps, par absorption, les qualités d’un autre ayant été préalablement choisi par la tribu. Par extension, cette volonté d’assimilation est devenue le symbole d’une culture brésilienne hétérogène, qui s’est construite à partir d’influences diverses, greffées aux bifurcations de ses racines indigènes.

S’il est parfois risqué d’analyser une production en fonction des origines de son auteur, il s’avère éclairant de rapprocher cette vitalité métabolique identifiée par Oswald de Andrade au travail de Romain Vicari, artiste italo-brésilien chez qui les phénomènes de digestion sont manifestes. On le percevra tout d’abord dans l’histoire de l’art, et notamment celle des avant-gardes européennes, dont on sent palpiter l’influence dans une ligne, un aplat, un volume évoquant tour à tour René Magritte, Henri Matisse ou Jean Arp. On saura voir, également, derrière l’horizon bigarré de ses sculptures, dans l’effervescence même de leur soulèvement hirsute, la réminiscence d’une végétation tropicale, venant s’agréger aux barres d’acier structurant ses installations. On saisira, enfin, l’intime proximité qui lie cette œuvre au contexte urbain, à la dynamique de métamorphose des villes, ainsi qu’à l’appréhension empirique qu’en fait Romain Vicari, entre collecte d’informations visuelles et récupération de rebuts de toutes sortes. La liste pourrait évidemment s’étendre, elle nous conduirait sans doute à circuler parmi l’élégante légèreté des tissus colorés d’Hélio Oiticica et la brutalité pop d’Urs Fischer, entre les parti-pris iconoclastes de Michael Asher et les tracés énigmatiques des pixadores, ces tagueurs de São Paulo ayant extrait de l’alphabet runique le style crypté de leurs lettrages.

Cependant – et c’est là un point essentiel –, l’entreprise d’identification montrerait rapidement ses limites. Non pas que toutes ces références n’innervent pas, d’une manière ou d’une autre, l’œuvre de Romain Vicari ; mais parce qu’au contraire, prises dans un processus de transmutation perpétuel, elles se combinent et s’enchevêtrent jusqu’à générer une matière nouvelle et singulière qui rendrait toute ambition dissociative, sinon inopérante, pour le moins incomplète. Tout l’enjeu semble ici de dépasser un exercice citationnel qui confèrerait à l’artiste un rôle de « manipulateur de signes » – pour reprendre l’expression que Hal Foster avait employé, à la fin des années 80, à l’égard des appropriationnistes. L’artiste anthropophage bouscule l’assemblage conceptuel en lui préférant une relation empirique aux objets, à l’histoire ou à l’apprentissage. « Contre la Mémoire source de coutume/L’expérience personnelle renouvelée. » 4

Il n’est dès lors plus très étonnant de retrouver des matériaux comme le plâtre, la résine ou le sable entrer dans la composition des environnements érigés par Romain Vicari. Dans leur capacité à capturer les formes, les gestes et les couleurs, ils sont les agents d’un projet de rétention sélective, devenant à leur tour des conglomérats à réemployer, à rediriger, comme les termes d’une syntaxe en permanente reconstruction. Faite de l’alternance de lignes droites et courbes – allégoriques là aussi de cette modernité tropicale, où les cadres prédéterminés se laissent envahir par la dynamique entropique -, l’installation Abajà (dont le titre signifie « collier », en tupi-guarani) fonctionne d’ailleurs comme une phrase sens dessus-dessous, avec ses lettres renversées et sa ponctuation minérale. Conçue pour la galerie Escougnou-Cetraro, il faudrait questionner sa portée à l’orée de l’exposition « Au delà de l’image », qui lui fournit son écrin formel et théorique. Qu’y a-t-il, en effet, dans ce hors-champ matériel que nous dresse Romain Vicari ? On s’aventurera à dire qu’il y a là toute une poétique de soi dans le monde et du monde en soi, dépassant les rationalismes exacerbés, prônant la subjectivité animiste comme alternative aux désastres qu’on nous prédit.

Franck Balland

1 Oswald de Andrade, Manifeste anthropophage, Blackjack éditions, Paris/Bruxelles, 2011, p. 13.
2 Ibid. p. 9.
3 Hal Foster, Signes de subversion, dans « Recodings: Art, Spectacle, Cultural Politics », Bay Press, Seattle, 1985. Reproduit en français dans « Art en théorie 1900-1990, une anthologie » par Charles Harrison et Paul Wood, Hazan, Paris, 1997, p. 1155.
4 Oswald de Andrade, op. cit., p. 21.

www.romainvicari.com<


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Photographies: © Cécilia Philippe, 2017

VORAGO

9 juin —
30 juin 2017

vorago

Exposition
9 juin – 30 juin 2017

> Fiona Lindron <

artiste invitée :

> Julia Kremer <

Situations

« Je rêve aux images élémentaires, aux rêves que d’autres en d’autres situations, d’autres temps et lieux, en des corps différents surtout… ont pu avoir. Leurs images de base, fondements de leur tempérament, répondant à leurs faims, leurs besoins, leurs penchants, si je pouvais les voir… » Henri Michaux, Poteaux d’angles, 1971.

A l’image projetée contre le mur, apparaît le visage d’un homme noir, le regard face caméra vers l’œil qui l’observe. Ce portrait mobile, émergeant aujourd’hui au sein d’une vidéo de l’installation Vorago, rappelle une autre figure, celle d’un homme, le visage sombre et émacié écartant les plantes sur son passage, le regard est tourné vers celui qui le filme et déclare : « Ce pourrait être Oreste ». Dans son Carnet de notes pour une Orestie africaine, Pier Paolo Pasolini, met en scène ses recherches pour adapter l’Orestie dans l’Afrique des années soixante, utilise ainsi le mythe pour toucher à l’actualité géopolitique d’un continent. Fiona Lindron dans Vorago, entame ici le processus inverse. Le réel historique devient le point de départ dont il faut s’abstraire pour rejoindre le mythe. Vorago trouve alors son origine dans la révolte des mineurs espagnols dans les Asturies en 2012, mais au-delà de cette actualité politique c’est l’idée même de révolte qui nourrit le travail de l’artiste. Vorago n’est pas une œuvre documentaire s’il s’agit de toucher objectivement aux faits, d’en conserver les traces les plus exactes. Au contraire Vorago rejoue le questionnement anthropologique en le décalant par l’usage de la fiction. Les éléments de l’installation, les trois vidéos, les volumes ainsi que les deux photographies ont été créés pour faire fiction, c’est-à-dire pour rejouer et par là même, s’approprier les mécanismes de l’évènement réel. Cette référence à la situation première que l’œuvre entend approcher est ici effacée par Fiona Lindron. Décor qui pourrait être cent lieux à la fois, acteurs choisis dans le cercle des rencontres, dialogues absents, tout est ouvert à l’interprétation et porte à l’universalité du mythe.

En exergue de l’installation, au pied de l’escalier qui conduit au déploiement de Vorago dans l’espace d’exposition, Fiona Lindron invite aujourd’hui Julia Kremer. Son œuvre est un trompe l’œil ou plutôt la mise en abîme d’un mur sur le mur d’origine. Un mur peut en cacher un autre, le mur est un motif classique de l’imaginaire guerrier et géopolitique, le mur est un corps social articulé de briques. Julia Kremer utilise la photocopieuse, agrandit à l’infini des images de murs volants en éclats pour en construire un seul, visible dans le temps suspendu de son explosion. Le mur de Julia Kremer joue avec les questions d’échelle, avec ce que l’on voit de près, ce que l’on comprend de loin. Le regard oscille entre l’unité des points formant le grain des images imprimées et la fresque que l’œil englobe si le corps s’éloigne de la surface. Ce passage de l’unité au multiple, de l’individu au corps social, est un ressort de compréhension du politique conçu comme vivre ensemble. Le lien entre le travail de Fiona Lindron et de Julia Kremer est donc étroit. Si pour Vorago, Fiona Lindron a choisi d’embrasser plusieurs médiums, le diptyque photographique est le point évident de ce mouvement de l’individu au collectif. L’artiste place symboliquement en regard une figure ouvrière à celle d’un révolté encagoulé. C’est le basculement d’une position à l’autre qui peut devenir le fil rouge de l’histoire. De même les volumes, évoquent également ce basculement : d’une colline de charbon à un faisceau de fumigènes artisanaux. Comment naît la révolte ? Comment le minier devient-il un insurgé ? Avec Hiberna, Fiona Lindron réalise déjà une fiction sur la résistance en cavale dans les forêts de Sologne, sans que jamais la situation ne soit explicite. Des tireurs en blousons noirs avancent dans la brume, on pense au cinéma des années soixante-dix, Tarkovski, Kubrick, Pasolini en tête. Vidéo présentée en double écran comme des peintures en diptyque,  Hiberna montre des personnages qui tirent face caméra, contre le spectateur. Ces visages isolés en gros plan sont récurrents dans la production de Fiona Lindron, dans Hiberna, dans Vorago, mais aussi dans 520 days, qui relate le voyage de l’artiste sur un thonier des Seychelles. Ces portraits en mouvement, aux regards directs, questionnent le collectif. Il y a d’abord, le groupe humain qui est toujours filmé entre solitude et solidarité. Dans Hiberna, ce sont des résistants qui marchent en forêt d’un pas semblable tout en se visant mutuellement de leurs armes bigarrées. Dans Vorago, ce sont les révoltés muets qui préparent ensemble des cocktails Molotov. Dans 520 days, le sentiment de cohésion de l’équipage s’érode sous l’immense isolement de chacun. L’homme serait-il un loup pour l’homme ? Dans cette extériorité du regard qui filme ou qui regarde le film, c’est aussi l’enjeu du rapport du collectif à celui qui n’en fait pas partie qui se joue. Le spectateur en hors champ est celui qui accompagne, celui qui juge l’action de ceux qui tentent de survivre au sein de la situation. Ainsi le travail vidéo de Fiona Lindron prend toujours place dans l’espace de la salle d’exposition plutôt que dans le dispositif de la salle de cinéma, parce qu’il y a le corps du spectateur. Par sa vision parcellaire incapable d’embrasser tous les écrans du diptyque ou du triptyque, par son déplacement imprévisible, ce corps là compte pour faire œuvre et donc créer une situation, reprenant les implications de la situation historique de départ. Comme dans la vie, chacun est ici engagé, non pas au sens clôt de la militance, du camp que l’on choisit ou pas, mais plutôt au sens sartrien, où tout le monde est embarqué quoiqu’il fasse, où le retrait du monde est encore une manière d’être au monde, où tout un chacun est un fragment du tout. Vorago en latin désigne l’abîme, le tourbillon violent contre lequel on ne peut rien et dans lequel on est vivant, souffrant, prêt à éprouver mille espoirs contraires.

Florence Andoka

Julia Kremer vit et travaille à Bruxelles.

En prenant comme point de départ la photocopie, pour laquelle il suffit (en principe) d’appuyer sur le bouton, Julia Kremer va trouver le moyen d’utiliser tout ce que la machine lui met à disposition pour recomposer par éclatement, une image.

Elle nourrit sa photocopieuse noir et blanc de tout ce qui lui passe sous la main, les matières et les possibles lui semblent inépuisables.

En déchirant, assemblant, scotchant et collant tous les A3 qui sortent de sa photocopieuse, elle construit des images de deux mètres de haut minimum tel des grandes portes ouvertes sur un monde imaginaire composé des restes du nôtre.

Il n’y a pas de machine neutre. Elles produisent toutes des objets qui déterminent notre regard, Julia Kremer utilise la photocopieuse comme un outil de production dont l’histoire administrative devient un prétexte pour nous plonger dans des paysages mystérieux fait de grain et de bruit.


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Photographies: © Cécilia Philippe, 2017, © Steph Bloch, 2017

HERBE AUX PERRUCHES (ASCLEPIAS SYRIACA)

9 mars —
31 mars 2018

HERBE AUX PERRUCHES (ASCLEPIAS SYRIACA)

Exposition
9 – 31 mars 2018

> Frédéric Houvert <

“Contre la lassitude

Frédéric Houvert est un poète. Ça pourrait être une espèce de vanne, mais c’est un peu l’image que je me fais de son travail. Pourtant, je déteste absolument qu’on emploie le mot “poète” – et l’adjectif “poétique” – à propos d’autre chose que de poésie à proprement parler. C’est une de mes obsessions, et je mépriserais aussitôt quiconque ferait cette erreur à ma place. Mais je comprends maintenant qu’il n’y a pas d’autres mots pour désigner sa nature d’artiste : les peintures, sculptures et photographies qu’il produit ont une qualité “poétique” indéniable (je vais crever si j’emploie encore ce mot).

Depuis des années, il se sert des mêmes pochoirs en carton de formes végétales épurées – un peu comme s’il les avait découpé directement dans les dessins de plantes d’Ellsworth Kelly. Au départ, le résultat était assez décoratif, à la frontière de l’univers du papier peint ou de l’ornement, mais avec déjà une qualité picturale qui le faisait clairement basculer du coté de la peinture : couleurs imprégnées dans la toile non apprêtée, coulures, reliefs, recouvrements… Ces effets de style Painterly venaient redoubler l’aspect séduisant de ces motifs. Et c’était peut-être le seul défaut de ce travail : celui de faire du tableau une forme de sur-décoration (étant entendu que l’expressionnisme abstrait et ses signes extérieurs d’authenticité font depuis longtemps déjà partie du décors).
Un défaut peut devenir une qualité, tous les sites de rencontres le disent. En répétant les mêmes gestes, avec les mêmes outils, en déclinant les mêmes gammes chromatiques, Frédéric Houvert a fini par mener ses tableaux vers un équilibre subtil. Les éléments végétaux se sont dissous dans des variations de gris et de noir, dans la lumière de teintes colorées presque blanches (parfois rehaussées de peinture argentée ou cuivrée), ou se sont à l’inverse détachés plus nettement du fond par contraste. Ce que nous voyons nous apparaît désormais instable et changeant, éblouissant ou imperceptible, comme des formes qu’on devinerait à travers un rideau ou des ombres portées à la surface de la toile. Ce travail contemplatif – associé à une espèce de narcissisme pictural très maitrisé – procure un vrai bonheur à son spectateur : celui de revivre par le regard le plaisir de l’artiste à laisser la peinture se faire, lentement, jusqu’au point où elle semble s’arrêter dans une forme – qui n’est qu’une pose choisie dans un nombre infini d’apparences possibles.

A ce moment de sa carrière, la préciosité froide des tableaux de Frédéric Houvert me paraît retarder la réception de son travail. Certes, cette qualité le tient à l’abri du cynisme et de l’opportunisme qui ont accompagné le revival de la peinture sur le marché de l’art, mais je crois qu’elle conduit aussi un bon nombre de ses spectateurs à le sous-évaluer (au nom – comme toujours depuis le procès de Whistler en 1878 – du formalisme invoqué pour discréditer toute œuvre ne semblant pas traiter de “véritable” sujet). Dans un sens, on pourrait reprendre la formule de Ruskin à l’encontre de Whistler pour décrire littéralement la facture de certains tableaux de Frédéric Houvert, pas gêné de nous jeter “un pot de peinture à la figure”. Car Frédéric Houvert  utilise réellement de la peinture en pot, de celle qu’on achète pour la décoration d’intérieur et dont les teintes s’accordent aux plantes vertes, aux meubles design et aux œuvres d’art contemporain. Les couleurs en question sont délicates mais pas des plus plaisantes. Elles sont souvent appliquées ton sur ton, à la limite de la monochromie, ou au contraire dans un jeu de clair-obscur, le plus souvent sur des formats verticaux (grands ou petits, quelquefois carrés, et plus rarement de grands formats horizontaux). Elles portent des noms qui font voyager (Kerguelen, Istanbul, Morzine, Crimée) et qu’on retrouvera dans les titres des œuvres, parfois associés à celui de la plante figurée au pochoir (du genre : Lolium Morzine, ou Laurus IstanbulG). Ailleurs, de la peinture appliquée à la bombe viendra projeter l’image floue de feuilles de palmier, à moins qu’il s’agisse d’une fougère ou d’une Monstera quelconque (je n’y connais rien et je n’ai pas la main verte, contrairement à Frédéric, qui lit aussi des magazines sur les aquariums – ça vaut le coup de le préciser). Il est difficile de distinguer les tableaux les uns des autres. De ce que je sais, beaucoup ont disparus, ont été dégrafés et roulés ou simplement détruits.

Cette nature éphémère, on la trouve également dans les sculptures, photographies et dessins qu’il réalise. En réalité, bien qu’il semble soucieux des catégories traditionnelles de l’art à travers ces dénominations, chacune de ces pratiques renvoie directement à l’autre : les sculptures sont presque toutes des objets abstraits à demi peints (Jupiter ou Platane), les photographies sont des sculptures “trouvées” ou des mises en scène de sculptures dans un milieu naturel (Au commencement), et les “dessins” sont plus clairement des peintures sur papier. Dans Féroé, il photographie sur une plage une structure de pilotis en bois blanc évoquant un squelette post-apocalyptique de la Villa Savoye, un peu à la manière dont le buste de la Statue de la Liberté surgit du sable à la fin de La planète des singes (celui de 1968). Une apparition fantomatique qui rejoint l’esthétique de ses peintures de plantes, adoptant une forme de passivité qui tranche avec le dogme de l’efficacité en peinture, comme le temps végétal se distingue du temps animal (c’est justement dans ses œuvres sur papier, plus vite réalisées, qu’on trouve quelques animaux : serpents, oiseaux ou poissons). Et c’est peut-être cette temporalité mouvante qui fait toute la poésie* de l’œuvre de Frédéric Houvert, ce flou artistique qui entoure sa pratique et dont lui même s’amuse, en prenant soin de dissiper la ligne qui sépare la naïveté du romantisme, la décoration de la beauté.

Les œuvres d’art ne poussent pas dans les salles d’exposition, mais elles devraient en donner l’illusion. A plusieurs reprises, Frédéric Houvert a tenté cette métaphore horticole ; dans l’élaboration d’un dispositif d’exposition à base de tasseaux de bois et de bâche plastique transparente (Serres), ou dans les sculptures Greffe et Herbier (un “tuteur” peint greffé à une souche d’arbre et des répliques en porcelaine de ses pochoirs végétaux présentés sur un socle vitré). Pour son intervention à Vortex, il voulait au départ réaliser une sorte de volière. Il a abandonné l’idée, mais sa manière d’envisager l’exposition comme un environnement reste présente dans le titre : Herbe aux perruches (Asclepias syriaca). Cette mauvaise herbe tient son nom de la forme de ses fruits, qui font penser – de manière assez saisissante – à des perruches. On les place à proximité des fontaines ou sur les bords d’un verre, car ils donnent l’impression d’oiseaux se désaltérant. Les œuvres de Frédéric Houvert sont un peu les « perruches » de ces jardins : les caisses de transport ou les pochoirs deviennent des sculptures, les tableaux sont comme des miroirs reflétant une végétation absente. Le spectateur se laisse prendre dans ce filet d’analogies végétales et animales.

En tant qu’artiste, je me suis toujours demandé comment Frédéric faisait pour ne pas se lasser de ces thématiques. Je n’ai pas de réponse à cette question, mais je comprends en regardant sa peinture et ses autres réalisations que leur temporalité est différente de celles qu’on a l’habitude de voir, que son œuvre croît lentement en elle-même, que des causes identiques produisent un nombre infini de conséquences. Que l’art, dans sa plénitude, rejoint la beauté de ces choses dont on ne se lassera jamais : les miroitements du soleil sur la mer, la course des nuages dans le ciel, la surprise de la première neige tombée sur la ville…

* (Je suis mort)”

Hugo Pernet


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Photographies: © Cécilia Philippe, 2018

LE COMMUN DES IMMORTELS

09 octobre —
1er novembre 2015

LE COMMUN DES IMMORTELS

Exposition
9 octobre — 1er novembre 2015

> Aurore-Caroline Marty <

Née en 1985,
vit et travaille à Dijon.

Diplômée de l’École Nationale Supérieure d’Art de Dijon en 2010, Aurore-Caroline Marty travaille la sculpture et l’installation comme un décor. Son travail plastique questionne l’abstraction géométrique et s’inspire souvent de la flore ou de l’architecture. Formes simples et matières courantes mettent notre monde en perspective. C’est dans la déconstruction architecturale que s’incarnent ses pièces, traversées par des inspirations diverses: art déco, brutalistes, minimalistes…

Entre les matériaux faussement clinquants et véritablement pauvres, les supports devenus pièces, les couleurs devenues formes et inversement, un échange tangible s’opère.

> www.aurorecarolinemarty.com <

AUX ESCALIERS
QUI NE MÈNENT NULLE PART

Comment susciter le sentiment de la présence? Géométriques, mais faussement minimales, les pièces d’Aurore-Caroline Marty se composent de volumes construits puis agencés. L’analyse du vide entre les modules et au creux de chaque forme permettrait sans doute de choisir entre sculpture et installation. Pourtant, cet entre-deux toujours présent apparaît comme un trait de l’œuvre. L’artiste qui travaille aux côtés de Marc Camille Chaimowicz, a développé ainsi son goût pour les environnements. Les possibilités d’agencement des formes dans l’espace sont infinies, mais souvent les volumes fonctionnent en binôme, comme deux états du matériau. The island se déploie en trois temps, en trois formes successives, qui pourtant cohabitent et engendrent un espace cohérent. Il y a le linoléum rosâtre qui recouvre le sol, puis le voici façonné en une étrange fleur géométrique posée sur le plancher, enfin la matière plissée est suspendue sur une tige de bois. Entre les volumes, s’instaure le jeu des correspondances visuelles. Ce procédé anime également les pièces Lily et Black Furnitures. Tout rappelle alors que le temps est de l’espace, et qu’il s’agit pour l’artiste de donne une étendue au récit.

Sans doute les volumes d’Aurore-Caroline Marty relèvent-ils aussi de l’architecture. Aux murs érigés, doit répondre le flux du vivant. Mais à quels corps se destinent ces espaces désertés? L’escalier incitant à l’ascension vers le vide est un motif récurrent de l’œuvre. Dans The Mirage, le matériau se fait piège, l’escalier est en mousse, impraticable, pliant sous le poids de celui qui se risquerait à l’ascension. Voici que l’univers tout entier se révèle fallacieux, porté par des matériaux populaires comme le linoléum, l’adhésif imprimé, le polystyrène, le formica, et enrichi d’objets de pacotille chinés à l’envie. Les nobles matériaux de la sculpture antique ont été remplacés par des textures populaires et donc pop. C’est le syncrétisme des sous-cultures qui hantent la création et l’apport de ces matériaux moins usités de l’histoire de l’art qui invite au renouvellement formel. De l’inédit de la matière advient celui de la forme. Vénus, n’est plus celle de Botticelli, le coquillage est devenu fleur de carton ondulé, matière périssable rejouant un drame immuable. La légèreté apparente est de mise, on se rit de cette fête éternelle, des cotillons tapageurs qui nous emportent mais laissent l’amertume sur les lèvres. Le décalage entre le titre et ce qui est donné à voir, relève du witz, parce qu’il crée une attente déçue puis détournée vers un aspect inattendu de l’époque. L’enchantement dérisoire est sans cesse reconduit, et même approfondi parce qu’Aurore-Caroline Marty cherche inlassablement de nouvelles matières, s’éloignent toujours plus de l’abstraction géométrique, au profit de tout ce qui pourrait s’apparenter au mauvais goût du jour. En ce sens le travail de l’artiste est politique, il est situé, joue avec la culture de masse, n’hésite pas à faire du beau avec du beauf, faisant d’une frite de piscine la colonne d’un temple grec.

À quoi ressemblaient les cratères foulés par Neil Armstrong le 21 juillet 1969? La tension entre le titre et l’œuvre déclenche la pulsion narrative. Atomic moon se compose d’une kyrielle de masses brunes aux formes accidentées. Ces rochers synthétiques se déploient au sol et dessinent une lune chaotique. Il semble qu’Aurore-Caroline Marty érige des scènes où se joue un drame invisible. Totem, The Last Gate, Venus, sont autant de décors dépourvus de présence humaine. D’autres volumes sont pleins, presque fermés, hostiles au vide qui les entoure. Genesis ou encore You’re the one, semblent être des piédestaux sans objet à rehausser. L’artiste se concentre sur le podium, rejoue ainsi l’histoire de la sculpture et de son socle, poursuivant la longue perspective qui s’étend de Constantin Brancusi à Raphaël Zarka. L’éclipse de la chair est frappante pourtant le sentiment d’une gloire fantôme triomphe. Toujours le socle est un podium qui propulse l’objet porté vers les cieux étoilés de la gloire. Partout brillent les ors, les paillettes bleues électriques, les guirlandes moirées. Starlettes d’aujourd’hui et divinités d’autrefois ont disparu, tandis que le regard butte sur leur absence. Dans In the lime light, les projecteurs n’émettent plus de lumière parce qu’ils ont été remplacés par des fétiches de bois. L’œuvre d’Aurore-Caroline Marty est un cinéma intérieur, où la main de l’artiste laisse une trace analogue à l’activité de l’inconscient dans la rêverie. Les matériaux portent toujours les marques de l’intervention de l’artiste qui les façonne. L’auteur y voit une forme de «dirty sculpture». Du scotch ou des plis irréguliers dans l’épaisseur du papier Kraft, Aurore-Caroline Marty ne s’évertue pas à effacer ces empreintes, elle leurs permet ainsi d’être signifiantes. La main à l’œuvre cherche la transcendance, délivre son désir dans son geste imparfait, rappelle qu’elle se dispense souvent du secours de la machine. Les matériaux pauvres, recouverts d’or fallacieux, trahissent un monde sans gloire qui cherche la grandeur, une terre sans dieu qui pleure son idole. L’œuvre de Aurore-Caroline Marty chante sur une note ironique et désespérée le pessimisme de l’époque actuelle.

— Florence Andoka

«To reveal art and to conceal the artist is art’s aim.»
Oscar Wilde

Cette phrase de la préface du Portrait de Dorian Gray nous inspire la question suivante: que révèle l’art d’Aurore-Caroline Marty et que cache-t-il de l’artiste.
En tant qu’artiste Aurore-Caroline Marty crée des dispositifs. Ils contiennent un facteur technique ou bien, comme le définit Michel Foucault, un réseau qui lie des éléments. Un exemple de dispositif est le panoptique, la fameuse prison de Jérémy Bentham, dans laquelle une seule personne peut surveiller l’ensemble des prisonniers. Le Panoptique a pour but «d’assurer le fonctionnement automatique du pouvoir [1]». La fonction primaire des dispositifs d’Aurore-Caroline Marty est de montrer. À l’inverse du panoptique de Bentham dont le gardien voit tout d’un coup d’œil, le spectateur voit dans les œuvres comme The Last Gate ou Totem un dispositif qui a la fonction de montrer sans que l’on ne voit rien. Ce dispositif est constitué de socles qui mettent en valeur le vide. Bertrand Lavier crée des objets soclés, Aurore-Caroline Marty construit des socles sans objets. Même si ces socles montrent quelque chose, c’est uniquement pour faire diversion, pour mieux camoufler un vide béant, ce vide qui nous entoure, prêt à nous happer à chaque moment. Cette proposition artistique exprime ainsi une préoccupation principale de notre société de divertissement qui est de mettre en avant ce qui n’a pas d’intérêt. Le pouvoir de représentation est plus important que son contenu.

Ces œuvres posent aussi trois problématiques, autour desquelles Aurore-Carole Marty développe son travail. Le problème psychologique lié à l’ambivalence entre le faire apparaître et disparaître que Sigmund Freud a observé dans le jeu du fort-da, le problème épistémologique exprimé par la question: rêvons-nous ou existons nous, et le problème métaphysique de savoir s’il existe autre chose en dehors du monde visible et de nous-même. Ainsi dans ses œuvres ce n’est pas l’arbre qui cache la forêt mais c’est le socle qui cache la sculpture. S’agit il de nous faire voir le «rien à voir / rien avoir» ou tout simplement d’un autre divertissement? On est tenté de répondre que ces dispositifs ont pour but de suspendre le jugement au sens positif que donnait les Sceptiques à l’époché, ou la suspension du jugement pour atteindre la paix de l’âme.

Des socles qui ne portent rien n’ont pas besoin d’être de marbre. Comme les planches de nos scènes et plateaux télé ou les îles de la télé-réalité de Koh Lanta, mais aussi comme les estrades d’échafauds et de guillotines, ces matières sont des matières pauvres, des matières de camouflage hallucinatoire, qui nous font croire ce qu’elles ne sont pas. Contrairement au marbre peint des sculptures antiques qui imitait la chair pour chanter le pouvoir des héros et des dieux, les imitations de marbres n’ont pas de chanson. En tant qu’imitations, elles imitent en se donnant à voir telles qu’elles sont, pures imitations qui ne font pas semblant. Pourtant, le toc, ce bruit des matériaux factices, est un son de cloche nouveau. Un son de cloche auquel on prête une morale, une morale de pauvre, peut-être une morale cachée, mais une morale certaine.

— Fabian Stech

[1]
Michel Foucault,
Surveiller et punir, Naissance de la prison,
Paris, 1975, p. 202.


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Photographies: © Cécilia Philippe, 2015

PILOTE 00

31 mai —
16 juin 2013

PILOTE 00

Exposition
31 mai — 16 juin 2013

> Thomas Courderc <

Né en 1981,
vit et travaille à Marseille.

Les œuvres de Thomas Couderc sont vitalistes, elles débordent d’énergie que le format qu’elles adoptent peinent à contenir. Flirtant avec le dérisoire, ses propositions se manifestent le plus souvent en croissance, en expansion, en mouvement, dans la forme ou dans le fond. L’inachevé, l’épuisement, ou l’échec virtuel ne sont jamais loin, par delà le rythme effréné, l’hubris, l’énergie symbolique et / ou effective qu’elles déploient ou convoquent. Mais le miracle et la poésie non plus, jaillies précisément de ce déséquilibre entre les moyens et les énergies engagées et la finalité ou le résultat escomptés. Pour autant d’ailleurs que ceux-ci apparaissent clairement, ce qui est loin d’aller de soi. […]

— Emmanuel Lambion

LE TIGNE EST EN TOI.
Tony le tigre

«Quelque chose suit son cours»
Samuel Beckett,
Fin de partie, 1957

Pilote 00 se révèle être une sculpture complexe, plutôt qu’une installation, qui délivre une forme particulière de travail sur scénario. Thomas Couderc en est l’artiste et le metteur en scène. Le titre de l’exposition nous propose une première lecture du synopsis. Un pilote désigne l’épisode zéro d’une série télévisée servant à introduire les personnages et l’univers mis en scène. Le spectateur doit prendre la mesure de l’hétéropie et de l’hétérochronie de l’œuvre qui se joue autant devant ses yeux ainsi qu’avec lui. On entre dans une pièce spatio-temporelle, qui est la production d’une résidence d’artiste où l’espace d’exposition est aussi son atelier, qui a lieu ici au moment de son exposition, et dont l’artiste se jouera ensuite pour réaliser un film vidéo. Mais cela, c’est une autre histoire.

LA MATRICE

Une structure blanchie comme des os prend en charge le lieu jusqu’à embrouiller sa charpente. Elle compose ce que j’appelle l’inscène, une «grille de lecture» organique, une matrice difforme et énigmatique autant que rayonnante et invasive. Elle détermine la composition plastique de l’espace, un socle conceptuel et un champ de résistance, architecture d’intérieur dans son sens biologique. Un étrange milieu prend forme d’un ordre à la fois géométrique et reptilien, calculé et inachevé, qui donne littéralement la vision d’un chaos hyperorganisé. Cette ossature stéréotomique oscille ainsi entre plusieurs topiques de la sculpture, l’assemblage, le modelage, la taille et la modélisation, afin de bâtir une sorte de topographie de décor façon casse-tête chinois.

Ce jeu de construction du plein par le vide signifie que l’œuvre est un conteneur physique et mental, qu’elle représente une expansion dans l’espace, le temps et l’imaginaire. Plus qu’un «work in progress», quelque chose en est train d’avoir lieu. On retrouve ici une dynamique de montage qui rejoint une logique de bricolage, un goût de l’expérimentation propre au travail artistique de Thomas Couderc. On retrouve également l’un des fondements de ses pièces dans le sens où l’œuvre n’a pas à être déchiffrée mais à être explorée. L’imagination doit rebondir, toujours être en mouvement, faire «action», mettre bout à bout des morceaux hétérogènes pour des enchaînements parfois inimaginables, toujours aller de l’avant, tailler la route.

Le blanc est ici l’uniforme du formalisme pour dévitaliser les matériaux et les mettre raccord, pour aller au-delà d’un plaisir d’enfant de créer un monde imaginaire sur le monde réel. Le blanchiment des divers objets fonctionne comme alchimie visuelle et transmutation à froid pour créer une sorte de remise à «00». Sauf qu’ici, son application un peu grossière laisse deviner la nature de nombre d’objets. Cela dessine un volume sculptural à la croisée d’un espace réel et d’un espace inventé, à la croisée de l’extérieur et de l’intérieur, qui se représente en confrontation d’une utopie échappée du quotidien avec une entropie de White Cube primitive «naturelle» dans une exposition.

Ce squelette spatial est le fruit d’une récolte entomologique de résidus oblongs, incertains et disparates, dans une logique actionnelle de Meccano «filaire» pour la conquête de l’espace d’exposition. Il s’agit de «jouer avec des choses mortes» (Mike Kelley) de la ville, des produits littéralement finis, avec cette idée de la civilisation consumériste où la cohérence côtoie l’absurde pour former un tout. Notre regard confronte une forme d’errance dans les objets récoltés comme certains oiseaux font leurs nids à base de brindilles de toutes natures. L’artiste travaille cette «grille» comme une partition de sculpteur classique, à la fois en développant la forme par assemblage d’ajouts et en la taillant direct comme un matériau brut. Pour récupérer ce que disait Samuel Beckett, la tâche de l’artiste est de trouver une forme qui accommode le gâchis et le désordre de la vie et du temps. Ce travail passe ici par une pratique sculpturale du cutting et de l’editing à la manière de Thomas Couderc.

À dévorer pour le petit-déjeuner, des Frosties et une orange mécanique pressée
L’ours Timothy (en référence à Timothy Treadwell, l’écologiste américain amoureux des ours au funeste destin sur lequel Werner Herzog a réalisé son film Grizzli Man) est la vedette de l’exposition, l’acteur principal de Pilote00. Timothy (tout comme ses «petits frères», «brouillons de maquette» et figurants) est une statue, une expérience totémique, une créature hybride spectaculaire et surnaturelle, qui devrait inspirer avec un certain décalage effroi et fascination. Son inachèvement ne le rend au fond que plus chimérique et monstrueux. Tim (appelons-le ainsi puisque son rôle est d’être inachevé) se dresse bravement devant nous dans toute la force brute de son ébauche acéphale, sur ses deux pieds comme un vrai bonhomme, dans une position de défi presque agressive, celle d’une liberté qui précède le combat ou celle d’intérieur, immortalisée en trophée taxidermiste. Il représente une figure prise dans une posture théâtrale qui oppose la violence sourde de la bête sauvage (Ursus arctos horribilis) qui défend son «espace personnel» et la métaphore héraldique domestique un peu enfantine ou déjantée («Papa Ours»), comme une sorte d’image nostalgique d’un pays perdu qu’il faut à chacun faire l’effort de se projeter pour le retrouver.

Thomas Couderc envisage la sculpture comme «machine à se faire des films». Les pièces sont performatives à un niveau physique, imaginaire, formel, narratif, humain. La sculpture est ici une histoire non écrite, en cours de réalisation. La matrice d’objets donne ici le rythme et la trame de l’installation et permet de sertir l’action. Le «plan» de l’ours en insert, sculpture figurative qui joue une «image de synthèse». Ses composants sont issus d’une mythologie propre à l’artiste. Le corps de l’ours suit une logique additionnelle et schizophrène. Il se compose par concrétion sur une ossature métallique de boites réelles de céréales pour petit-déjeuner-matière industrielle ready-made; de fac similés où les mêmes boites deviennent des citations visuelles; de coloriages de ces contrefaçons, comme les produits déviant d’un absurde artisanat do-it-yourself; avant de devenir des dérives d’atelier d’artistes produit lors d’un workshop avec Thomas Couderc où il invite ses assistants à remixer une imagerie industrielle en délire créatif. Cette appel au travail d’équipe d’imagination se retrouve dans l’exposition à travers les réserves de boites entassées au sol où le spectateur doit finir mentalement l’ours Tim. Au final, cet ours est donc un peu notre propre création, et de fait, Timothy est un peu de nous. Nous sommes alors devenus des acteurs de ce Pilote 00.

— Luc Jeand’Heur, 25 mai 2013


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Photographies: © Cécilia Philippe, 2013

PILOTE 00

31 mai —
16 juin 2013

PILOTE 00

Exposition
31 mai — 16 juin 2013

> Thomas Couderc <

Né en 1981,
vit et travaille à Marseille.

Les œuvres de Thomas Couderc sont vitalistes, elles débordent d’énergie que le format qu’elles adoptent peinent à contenir. Flirtant avec le dérisoire, ses propositions se manifestent le plus souvent en croissance, en expansion, en mouvement, dans la forme ou dans le fond. L’inachevé, l’épuisement, ou l’échec virtuel ne sont jamais loin, par delà le rythme effréné, l’hubris, l’énergie symbolique et / ou effective qu’elles déploient ou convoquent. Mais le miracle et la poésie non plus, jaillies précisément de ce déséquilibre entre les moyens et les énergies engagées et la finalité ou le résultat escomptés. Pour autant d’ailleurs que ceux-ci apparaissent clairement, ce qui est loin d’aller de soi. […]

— Emmanuel Lambion

LE TIGNE EST EN TOI.
Tony le tigre

«Quelque chose suit son cours»
Samuel Beckett,
Fin de partie, 1957

Pilote 00 se révèle être une sculpture complexe, plutôt qu’une installation, qui délivre une forme particulière de travail sur scénario. Thomas Couderc en est l’artiste et le metteur en scène. Le titre de l’exposition nous propose une première lecture du synopsis. Un pilote désigne l’épisode zéro d’une série télévisée servant à introduire les personnages et l’univers mis en scène. Le spectateur doit prendre la mesure de l’hétéropie et de l’hétérochronie de l’œuvre qui se joue autant devant ses yeux ainsi qu’avec lui. On entre dans une pièce spatio-temporelle, qui est la production d’une résidence d’artiste où l’espace d’exposition est aussi son atelier, qui a lieu ici au moment de son exposition, et dont l’artiste se jouera ensuite pour réaliser un film vidéo. Mais cela, c’est une autre histoire.

LA MATRICE

Une structure blanchie comme des os prend en charge le lieu jusqu’à embrouiller sa charpente. Elle compose ce que j’appelle l’inscène, une «grille de lecture» organique, une matrice difforme et énigmatique autant que rayonnante et invasive. Elle détermine la composition plastique de l’espace, un socle conceptuel et un champ de résistance, architecture d’intérieur dans son sens biologique. Un étrange milieu prend forme d’un ordre à la fois géométrique et reptilien, calculé et inachevé, qui donne littéralement la vision d’un chaos hyperorganisé. Cette ossature stéréotomique oscille ainsi entre plusieurs topiques de la sculpture, l’assemblage, le modelage, la taille et la modélisation, afin de bâtir une sorte de topographie de décor façon casse-tête chinois.

Ce jeu de construction du plein par le vide signifie que l’œuvre est un conteneur physique et mental, qu’elle représente une expansion dans l’espace, le temps et l’imaginaire. Plus qu’un «work in progress», quelque chose en est train d’avoir lieu. On retrouve ici une dynamique de montage qui rejoint une logique de bricolage, un goût de l’expérimentation propre au travail artistique de Thomas Couderc. On retrouve également l’un des fondements de ses pièces dans le sens où l’œuvre n’a pas à être déchiffrée mais à être explorée. L’imagination doit rebondir, toujours être en mouvement, faire «action», mettre bout à bout des morceaux hétérogènes pour des enchaînements parfois inimaginables, toujours aller de l’avant, tailler la route.

Le blanc est ici l’uniforme du formalisme pour dévitaliser les matériaux et les mettre raccord, pour aller au-delà d’un plaisir d’enfant de créer un monde imaginaire sur le monde réel. Le blanchiment des divers objets fonctionne comme alchimie visuelle et transmutation à froid pour créer une sorte de remise à «00». Sauf qu’ici, son application un peu grossière laisse deviner la nature de nombre d’objets. Cela dessine un volume sculptural à la croisée d’un espace réel et d’un espace inventé, à la croisée de l’extérieur et de l’intérieur, qui se représente en confrontation d’une utopie échappée du quotidien avec une entropie de White Cube primitive «naturelle» dans une exposition.

Ce squelette spatial est le fruit d’une récolte entomologique de résidus oblongs, incertains et disparates, dans une logique actionnelle de Meccano «filaire» pour la conquête de l’espace d’exposition. Il s’agit de «jouer avec des choses mortes» (Mike Kelley) de la ville, des produits littéralement finis, avec cette idée de la civilisation consumériste où la cohérence côtoie l’absurde pour former un tout. Notre regard confronte une forme d’errance dans les objets récoltés comme certains oiseaux font leurs nids à base de brindilles de toutes natures. L’artiste travaille cette «grille» comme une partition de sculpteur classique, à la fois en développant la forme par assemblage d’ajouts et en la taillant direct comme un matériau brut. Pour récupérer ce que disait Samuel Beckett, la tâche de l’artiste est de trouver une forme qui accommode le gâchis et le désordre de la vie et du temps. Ce travail passe ici par une pratique sculpturale du cutting et de l’editing à la manière de Thomas Couderc.

À dévorer pour le petit-déjeuner, des Frosties et une orange mécanique pressée
L’ours Timothy (en référence à Timothy Treadwell, l’écologiste américain amoureux des ours au funeste destin sur lequel Werner Herzog a réalisé son film Grizzli Man) est la vedette de l’exposition, l’acteur principal de Pilote00. Timothy (tout comme ses «petits frères», «brouillons de maquette» et figurants) est une statue, une expérience totémique, une créature hybride spectaculaire et surnaturelle, qui devrait inspirer avec un certain décalage effroi et fascination. Son inachèvement ne le rend au fond que plus chimérique et monstrueux. Tim (appelons-le ainsi puisque son rôle est d’être inachevé) se dresse bravement devant nous dans toute la force brute de son ébauche acéphale, sur ses deux pieds comme un vrai bonhomme, dans une position de défi presque agressive, celle d’une liberté qui précède le combat ou celle d’intérieur, immortalisée en trophée taxidermiste. Il représente une figure prise dans une posture théâtrale qui oppose la violence sourde de la bête sauvage (Ursus arctos horribilis) qui défend son «espace personnel» et la métaphore héraldique domestique un peu enfantine ou déjantée («Papa Ours»), comme une sorte d’image nostalgique d’un pays perdu qu’il faut à chacun faire l’effort de se projeter pour le retrouver.

Thomas Couderc envisage la sculpture comme «machine à se faire des films». Les pièces sont performatives à un niveau physique, imaginaire, formel, narratif, humain. La sculpture est ici une histoire non écrite, en cours de réalisation. La matrice d’objets donne ici le rythme et la trame de l’installation et permet de sertir l’action. Le «plan» de l’ours en insert, sculpture figurative qui joue une «image de synthèse». Ses composants sont issus d’une mythologie propre à l’artiste. Le corps de l’ours suit une logique additionnelle et schizophrène. Il se compose par concrétion sur une ossature métallique de boites réelles de céréales pour petit-déjeuner-matière industrielle ready-made; de fac similés où les mêmes boites deviennent des citations visuelles; de coloriages de ces contrefaçons, comme les produits déviant d’un absurde artisanat do-it-yourself; avant de devenir des dérives d’atelier d’artistes produit lors d’un workshop avec Thomas Couderc où il invite ses assistants à remixer une imagerie industrielle en délire créatif. Cette appel au travail d’équipe d’imagination se retrouve dans l’exposition à travers les réserves de boites entassées au sol où le spectateur doit finir mentalement l’ours Tim. Au final, cet ours est donc un peu notre propre création, et de fait, Timothy est un peu de nous. Nous sommes alors devenus des acteurs de ce Pilote 00.

— Luc Jeand’Heur, 25 mai 2013


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Photographies: © Cécilia Philippe, 2013

TRANSITION DES POUVOIRS

15 — 23
juin 2012

TRANSITION
DES POUVOIRS

Exposition
15 — 23 juin 2012

> Marie Aerts <

Née en 1984,
vit et travaille à Paris.

Après ses études à l’École Supérieure d’arts et Médias de Caen / Cherbourg et lors d’un séjour à Londres en 2007, inspiré de l’atmosphère du quartier d’affaires de la City, est né le premier prototype de l’homme sans tête. L’homme sans tête devient ainsi l’objet central de divers projets développés à travers performances, vidéos et photographies par Marie Aerts.

«Le travail de Marie Aerts questionne les notions de pouvoirs et d’organisation sociale qui régissent les sociétés humaines. L’artiste interroge les méthodes de légitimisation d’un pouvoir ou d’une forme de domination et les rapports que celles-ci entretiennent avec la croyance. Elle explore les interstices d’un pouvoir, là où les symboles s’installent et déploient leur capacité de fascination. À travers diverses stratégies d’altération, Marie Aerts s’attaque à ces concentrés de représentations, à l’aide d’opérations de soustraction et de transformation qui lui sont chères.» (Inès Moreno)

Marie Aerts, jeune artiste au travail prometteur, s’attaque avec sa série des hommes sans têtes, en première instance, à la notion d’uniformité, à la notion de l’identité, de la reconnaissance, au statut iconique de la visagéité. L’art du portrait marque l’histoire de l’art. L’identité n’est-elle pas la part maudite de l’homme occidental? Mais en seconde instance, pose métaphoriquement la question du genre tissant avec cette série de dessins représentant les armes à feu que nous propose aussi Marie Aerts?

Curieux personnages que ceux présentés par Marie Aerts, tous uniformément habillés de costumes noirs. Ils semblent surgir d’un tableau de Magritte, à une différence près, au lieu de porter ce fameux couvre-chef, un chapeau melon, signature immédiatement reconnaissable du peintre belge, les personnages de Marie Aerts sont privés de têtes. Acéphales, ils nous plongent dans une inquiètante étrangeté pour reprendre les termes de Freud.

Nous sommes dans l’impossibilité de les identifier, privés qu’ils sont de signes de reconnaissance, de caractéristiques particulières… Une négation de la fiche anthropométrique de police, de la carte d’identité, du passeport, de tout ce qui réclame, peu ou prou, un signe de reconnaissance, une particularité, le fameux signe particulier. Prenons cette photographie réalisée par Marie Aerts aux fameux studios Harcourt. Ces studios sont célèbres par le nombre de portraits de stars réalisés, avec comme signature, toujours ce même décor, ce même traitement, qui transforment le portrait en icone. Ce régime de traitement iconique finit par dépersonnaliser le sujet, toujours la même pose, interchangeable. Deleuze et Guattari parlent de machine abstraite de visagéité qu’il décrivent comme un système trou noir-mur blanc.

«Le visage n’est pas une chose donnée, mais une réalité volatile et éphémère, une variation infinie, à partir des éléments de la tête et en fonction des situations (notamment de pouvoir) [1].»

[1]
André Rouillé,
La photographie, Entre document et art contemporain,
Gallimard, coll. Folio essais,
2005.


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Photographies: © Les Ateliers Vortex, 2012