ЗАРЯ (Zarya)

12 octobre —
10 novembre 2018


ЗАРЯ (Zarya)

Exposition
12 octobre – 10 novembre 2018.

> Anne-Charlotte Finel <

Musique de Luc Kheradmand
Avec le soutien de l’Institut français de Saint-Pétersbourg

Zarya. Des syllabes douces comme des sucres plongés dans la chaleur bienvenue d’un thé. En alphabet cyrillique, elles s’écrivent заря et désignent l’aube ; ce point du jour qui, dans le cercle polaire, ne cesse d’advenir ou de se faire attendre. C’est aussi ce nom qui a été choisi pour nommer au moins deux bateaux qui ont connu les flots glacés et les eaux mortes des mers bordant la Sibérie.

Celui que l’histoire a retenu est un navire d’exploration polaire, préparé à l’orée du XXème siècle afin d’effectuer de longues missions de recherche pour le compte de l’Académie des sciences de Russie. Sur les photographies d’archives on lit l’aube sur la casquette des marins qui vont appareiller. Elle encercle le front de ceux qui se disposent courageusement à prendre le large et à embrasser ses dangers. On va dans les déserts comme on s’engage dans une guerre : en se rendant volontairement dans des zones où l’on peut mourir d’être simplement là. Dans ces contrées où l’immensité s’impose comme la seule échelle de préoccupation, où l’austérité est la condition même de l’épopée, où l’âpreté transforme toute vie en destin, le Zarya n ‘a connu que deux hivernages. La première année, l’équipage trouve l’archipel qu’il cherchait ; Nordenskiöld, une petite centaine d’îles froides, rêches, inhabitées car inhospitalières, ayant pour seule qualité le fait d’exister. L’année suivante, l’expédition fait cap vers la Terre de Sannikov, aperçue mais non cartographiée, entrevue sans être abordée. Bloqués par les glaces qui étreignent la coque et étouffent la progression, quatre hommes décident d’abandonner le navire. À la poursuite d’une île fantôme, ils s’éparpillent sur des icebergs à la dérive et disparaissent sans laisser d’autres traces que l’écho du mythe qui les a conduit à leur perte.

L’autre Zarya, celui que la littérature contemporaine nous apporte, et qui vient titrer l’exposition d’Anne-Charlotte Finel, est une embarcation modeste, presque anecdotique, empruntée par le journaliste et écrivain moscovite Vassili Golovanov lors de son périple vers l’île polaire de Kolgouev. Dans le livre L’éloge des voyages insensés, il raconte comment, après avoir perdu le sens, il s’est lancé dans sa propre conquête de l’inutile : la quête de l’île, son île, bien réelle, presque charnelle, d’avoir été si longtemps fantasmée. Golovanov traite de l’aventure en valorisant ses composantes intrinsèques, fondamentales, qui habituellement se dérobent sous les actions qu’elles portent et permettent : la nécessité de partager le lointain avec autrui, la difficulté d’être quelque part et la latence du départ.

Pour décrire l’ailleurs, il faudrait un autre langage ; un usage du monde qui ne craigne pas l’expectative mais, au contraire, l’estimerait. Composé de mots astucieux, pragmatiques et poétiques, il aiderait à énoncer les diverses formes que prend l’attente, ample et joyeuse, compacte et anxieuse, triste ou langoureuse ; toutes aussi délicates et différentes que les variations de la neige que savent aisément déceler ceux et celles qui ne connaissent qu’elles. Lors de son périple, Vassili Golovanov a rencontré et raconté les Nénètses, nomades qui arpentent le pergélisol, peuple en déréliction évoluant sur un territoire délité sous les directives infligées par les politiques et les menaces toujours planantes des industries. Aux abords de ceux qui vivent de campements ou d’escales, les sociétés sédentaires se révèlent entièrement dédiées aux mobilités ; organisations des flux, architectures de l’attente, hiérarchies des modalités de transports et inégalités des déplacements.

Sous ce prisme, la géographie se maille en un immense réseau d’interactions, avec pour noeuds l’homme qui tend une main pour que la montée sur le bateau autorisant la traversée soit aisée, le couple qui vend les billets dans une petite cahute, la femme qui conçoit les porte-conteneurs pour défier les mers, l‘homme qui manie la grue pour charger la cargaison, celui qui effarouche les oiseaux aux bords des pistes et celui, le saluant, qui s’apprête à soulever l’avion vers sa destination, le pilote encore au sol qui désire des horizons et celle qui écrit sur le départ, celui qui aimerait s’installer, celle qui aimerait partir, celle qui a tout contemplé, de loin, pour nous mouvoir intimement.

***

Anne-Charlotte Finel et Vassili Golovanov ont en commun d’avoir expérimenté les bords du monde et de savoir qu’ils sont régis par une physique singulière. Le Nord n’est plus à corriger puisqu’on le porte en soi telle une aspiration, la lueur se traduit en mouvement, l’espace devient le temps et se cristallise, dur comme ces deux morceaux de sucre réservés pour le thé. L’observation change celui qui observe.

Dans les oeuvres présentées dans cette exposition, Anne-Charlotte Finel reste à quai et c’est dans la distanciation que le déplacement semble envisagé comme un changement d’éclairage sur les choses. Le travail de l’artiste s’exprime dans cette exacte zone de transition où la lumière devient une texture ; la technologie y est poussée dans ses retranchements, l’oeil, en compensant, affûte l’imagination, les états liminaires se manifestent dans les flocons sombres de l’image. Lors de son voyage Anne-Charlotte Finel a vu de la neige véritablement noire en façade maritime. Etait-ce un moment charnière, un catalyseur, une coruscation ? La couleur a depuis surgi. Elle commençait d’ailleurs à poindre dans ses récentes vidéos ; les jardins souterrains, piégés de devoir agrémenter les couloirs du métro parisien, y libéraient l’écarlate des feuilles et se rêvaient en jungle.

Avec заря, c’est un monde technologique et industriel qui se trouve examiné, en retrait et avec pudeur, comme si c’était la première fois qu’il était appréhendé. À l’aube de ce regard, dans une temporalité chamboulée qui enchevêtre le jour polaire, la nuit des temps et l’ennui existentiel, les appareils qui façonnent le monde tel que nous l’éprouvons aujourd’hui se montrent : la longue vue, prémisse et complice de toutes expéditions, le bateau qui mouille, le train qui passe et l’avion dans lequel on n’est pas monté, la roue esseulée et la voiture nonchalamment garée ; les humains à côté, relégués aux marges.

Dans les confins, les situations les plus banales prennent une dimension tragique et, pour qui s’y confronte, le dépaysement s’apparente à un désoeuvrement. Dans la grande acuité qui réside dans l’éloignement, amplifiée par la brutalité des paysages, éclatent la solitude de l’humain, la précarité du sens et la fragilité de l’équilibre. Le monde se fait-il sans eux ? Le monde advient-il sans nous ? Il y a cette question, l’alcool et la nostalgie, l’ombre de l’atome et la peur de l’effondrement.

Une mythologie, récemment née sur une autre côte, souffle que l’humanité est uniquement nécessaire pour polliniser les machines. L’espèce serait apparue pour permettre aux outils de s’améliorer, du silex au satellite, et, dupe, elle se cantonnerait à n’être qu’un vecteur d’évolution pour les appareils qu’elle croit employer. Les espaces en mutation sont propices aux mythologies inédites ; les humains s’y déplacent, migrateurs aux ailes parfois cassées, comme des oiseaux des berges, les engins butinent le sol, les avions chrysalides se préparent à éclore à l’atterrissage.

Le voyage est à envisager comme un de ces espaces. Un endroit de la mutation de l’individu, un lieu où on devient un autre en se rapprochant de ce que l’on a toujours souhaité être, où l’on se découvre insulaire, plus vraiment domestiqué ni tout à fait sauvage, où la beauté de ce que l’on voit est une force qui nous emplit, une confiance recouvrée. Comme on nous l’avait dit, mais on ne pouvait tout à fait y croire, aux extrémités du monde, c’est terrible et merveilleux d’être ensemble, d’être seul ou d’être soi puisque au bout du voyage, il n’y a que le voyage et une insatiable envie de plus de terre et de plus de ciel.

Stéphanie Vidal

Stéphanie Vidal est une curatrice, critique d’art (AICA) et enseignante basée à Paris. Elle intervient à l’intersection entre l’art, la technologie et l’information. Elle est actuellement commissaire en résidence pour l’année 2018 à la Maison populaire de Montreuil, en périphérie de Paris.


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Photographies : © Cécilia Philippe, 2018

HORS PISTE

9 —
29 septembre 2018

HORS PISTE

Exposition
7 septembre — 29 septembre 2018

> Romuald Dumas-Jandolo <

Né en 1988,
Vit et travaille à Caen, Paris et Marseille.

CHAOS VAINCU (K-O 20 Q)
Jean-Christophe Arcos

« Lorsqu’il s’agit d’intemporel, de légendaire (…), que l’on tende hardiment l’arc de l’imaginaire! L’opéra se donne pour ce qu’il est effectivement : une abstraction et une affaire d’abord formelle-esthétique.»1

Il y a des jeux d’enfants où une paire d’yeux, une touffe de poils, un sabot fendu, apparaissent au milieu d’une forêt de pointillés ; une fois reliés, l’image se dévoile dans un labyrinthe de courbes et de traits mal assurés. La ligne recouvre le point, chifoumi c’est elle qui gagne.
Romuald Dumas Jandolo prend le scénario à revers ; l’attente n’aboutit pas à un chemin de Damas linéaire au terme duquel surgirait une révélation. Si déroulé il y a, si composition il y a, le roulement et le composite en sont les brigadiers. Trois coups, au début, le rideau s’ouvre, et, dans le train fantôme, toute sinuation sera la bonne – de toute façon ça va dérailler.
Les mois qui ont précédé cette exposition, l’artiste en a brûlé les étapes : une station en céramique (il tombe pour la première fois), une station au théâtre (on l’abreuve de fiel), une station sur les gradins (on essuie son visage), une station dans la couleur (on le dépouille de ses vêtements), dans le cristal (les femmes pleurent), au cirque enfin (là il nous cloue – et c’est reparti pour un tour).

Loin de se perdre, l’omnibus chaparde à chaque fois un morceau de récit, d’étoffe, de lumière : diadèmes à trois sous, griffe translucide, rayonnage de museum, dentelles poinçonnées comme des photophores, masques de terre dont les oreilles dégoulinent d’arcs en ciel et les yeux se cernent de grenat.

Il les reprendra à la fin de la représentation, y ajoutera les éléphants barbotés ici, et roule carosse, jusqu’à l’escale suivante. De stop en stop, le butin s’augmente, complexifiant le circuit à tracer d’une chose à l’autre, complétant l’échevau de couleurs sur son canevas. Mille points s’assemblent sans épuiser le mouvement (au contraire, ils le nourrissent, en restituent la chair, comme l’a senti Seurat dans son Cirque à jamais inachevé, le vide même laissant place à l’amplitude à venir).
Holi every day : rose indien complémenté d’un vert dijonnais, petit jaune phocéen et bleu de Normandie, rouge velours et l’or, partout, comme un rappel de l’artificialité du théâtre du monde, du faux-semblant des feux de la rampe, de l’envie de croire, pour un moment, à l’échange possible des richesses et des misères.

Dumas-Jandolo se rit de tout sérieux.
A la fois Ursus, Homo et Gwynplaine2, il se fait monstrueux ou grotesque, animal ou seigneur, ordre et chaos. Le rire et le tragique aussi sont nomades, du rire aux larmes, de la pesanteur d’une polka pachydermique à la fragilité d’un gant de verre soufflé. Les murs s’ouvrent de gradins béants et les tuiles tombent des toits, les menuets spectraux répondent aux kaléidoscopes de mandalas, et, dans cet apparent opéra kitsch aux pistes aussi nombreuses que les bras de Durga, l’expérience seule de la traversée permet de vaincre le chaos et les motifs3. Ce n’est qu’hors piste, qu’abstraite du vortex des narrations, que se donne la forme, et elle n’est jamais la même.

1 Oskar Schlemmer, Ancien opéra, nouvel opéra, 1929, in Théâtre et abstraction, trad. Eric Michaud
2 Au début de L’Homme qui rit, roman que Victor Hugo écrivit en 1869, Gwynplaine, enfant noble volé dont la face mutilée s’ouvre d’un sourire tracé au couteau par ses kidnappeurs, trouve refuge auprès d’Ursus, bataleur vagabond vêtu de peaux de bêtes, et de son acolyte Homo, un loup domestiqué.
3 Chaos vaincu est le nom de la saynète que Gwynplaine et sa troupe interprètent à Londres. Sur la scène maintenue dans l’obscurité, l’homme, joué par Gwynplaine, se bat contre des forces obscures, interprétées par Ursus et Homo. Il est près de succomber lorsqu’apparaît la lumière, incarnée par Dea, jeune orpheline aveugle, qui l’aide à vaincre définitivement le chaos. Mais la lumière éclaire aussi le visage déformé de Gwynplaine. Le choc suscité par l’apparition de cet énorme sourire déclenche une explosion de rire dans la foule. Dans son essai paru en 1984 dans la Revue d’histoire litéraire, Anne Ubersfeld interprète le rire qui clôt la description de la pièce comme le fait que la vraie victoire sur les monstres et la mort serait le rire grotesque.

www.romualddumasjandolo.com


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> Lien vers la performance <


Photographies : © Cécilia Philippe, 2018

Crédits de réalisation : Stef Bloch – Filmmaker

HORS PISTE

9 —
29 septembre 2018

HORS PISTE

Exposition
7 septembre — 29 septembre 2018

> Romuald Dumas-Jandolo <

Né en 1988,
Vit et travaille à Caen, Paris et Marseille.

CHAOS VAINCU (K-O 20 Q)
Jean-Christophe Arcos

« Lorsqu’il s’agit d’intemporel, de légendaire (…), que l’on tende hardiment l’arc de l’imaginaire! L’opéra se donne pour ce qu’il est effectivement : une abstraction et une affaire d’abord formelle-esthétique.»1

Il y a des jeux d’enfants où une paire d’yeux, une touffe de poils, un sabot fendu, apparaissent au milieu d’une forêt de pointillés ; une fois reliés, l’image se dévoile dans un labyrinthe de courbes et de traits mal assurés. La ligne recouvre le point, chifoumi c’est elle qui gagne.
Romuald Dumas Jandolo prend le scénario à revers ; l’attente n’aboutit pas à un chemin de Damas linéaire au terme duquel surgirait une révélation. Si déroulé il y a, si composition il y a, le roulement et le composite en sont les brigadiers. Trois coups, au début, le rideau s’ouvre, et, dans le train fantôme, toute sinuation sera la bonne – de toute façon ça va dérailler.
Les mois qui ont précédé cette exposition, l’artiste en a brûlé les étapes : une station en céramique (il tombe pour la première fois), une station au théâtre (on l’abreuve de fiel), une station sur les gradins (on essuie son visage), une station dans la couleur (on le dépouille de ses vêtements), dans le cristal (les femmes pleurent), au cirque enfin (là il nous cloue – et c’est reparti pour un tour).

Loin de se perdre, l’omnibus chaparde à chaque fois un morceau de récit, d’étoffe, de lumière : diadèmes à trois sous, griffe translucide, rayonnage de museum, dentelles poinçonnées comme des photophores, masques de terre dont les oreilles dégoulinent d’arcs en ciel et les yeux se cernent de grenat.

Il les reprendra à la fin de la représentation, y ajoutera les éléphants barbotés ici, et roule carosse, jusqu’à l’escale suivante. De stop en stop, le butin s’augmente, complexifiant le circuit à tracer d’une chose à l’autre, complétant l’échevau de couleurs sur son canevas. Mille points s’assemblent sans épuiser le mouvement (au contraire, ils le nourrissent, en restituent la chair, comme l’a senti Seurat dans son Cirque à jamais inachevé, le vide même laissant place à l’amplitude à venir).
Holi every day : rose indien complémenté d’un vert dijonnais, petit jaune phocéen et bleu de Normandie, rouge velours et l’or, partout, comme un rappel de l’artificialité du théâtre du monde, du faux-semblant des feux de la rampe, de l’envie de croire, pour un moment, à l’échange possible des richesses et des misères.

Dumas-Jandolo se rit de tout sérieux.
A la fois Ursus, Homo et Gwynplaine2, il se fait monstrueux ou grotesque, animal ou seigneur, ordre et chaos. Le rire et le tragique aussi sont nomades, du rire aux larmes, de la pesanteur d’une polka pachydermique à la fragilité d’un gant de verre soufflé. Les murs s’ouvrent de gradins béants et les tuiles tombent des toits, les menuets spectraux répondent aux kaléidoscopes de mandalas, et, dans cet apparent opéra kitsch aux pistes aussi nombreuses que les bras de Durga, l’expérience seule de la traversée permet de vaincre le chaos et les motifs3. Ce n’est qu’hors piste, qu’abstraite du vortex des narrations, que se donne la forme, et elle n’est jamais la même.

1 Oskar Schlemmer, Ancien opéra, nouvel opéra, 1929, in Théâtre et abstraction, trad. Eric Michaud
2 Au début de L’Homme qui rit, roman que Victor Hugo écrivit en 1869, Gwynplaine, enfant noble volé dont la face mutilée s’ouvre d’un sourire tracé au couteau par ses kidnappeurs, trouve refuge auprès d’Ursus, bataleur vagabond vêtu de peaux de bêtes, et de son acolyte Homo, un loup domestiqué.
3 Chaos vaincu est le nom de la saynète que Gwynplaine et sa troupe interprètent à Londres. Sur la scène maintenue dans l’obscurité, l’homme, joué par Gwynplaine, se bat contre des forces obscures, interprétées par Ursus et Homo. Il est près de succomber lorsqu’apparaît la lumière, incarnée par Dea, jeune orpheline aveugle, qui l’aide à vaincre définitivement le chaos. Mais la lumière éclaire aussi le visage déformé de Gwynplaine. Le choc suscité par l’apparition de cet énorme sourire déclenche une explosion de rire dans la foule. Dans son essai paru en 1984 dans la Revue d’histoire litéraire, Anne Ubersfeld interprète le rire qui clôt la description de la pièce comme le fait que la vraie victoire sur les monstres et la mort serait le rire grotesque.

www.romualddumasjandolo.com


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Photographies : © Cécilia Philippe, 2018

Crédits de réalisation : Stef Bloch – Filmmaker

PHAINÓMENON

8 —
30 juin 2018

PHAINÓMENON

Exposition
8 – 30 juin 2018

> Aurélie Belair <

« Cette volonté moderne d’éclaircir et de tout expliquer me fatigue. Je ne dis pas qu’il faut maintenir un obscurantisme complet, mais l’ombre a des qualités d’éclairage tout aussi intéressantes que les grandes baies vitrées du modernisme. Nous avons besoin de zones d’ombre. »
Jean-Luc Moulène

Il n’y a ni eau ni électricité dans l’atelier qu’occupe Aurélie Belair, quai de Mantoue, à Nevers. Au-dessus d’un vestibule qui lui sert de stockage, on accède à son espace de travail par un escalier étroit. Les murs sont peints en blanc, le sol est recouvert d’un palimpseste grisâtre et depuis deux fenêtres, on voit la Loire, le béton de la maison de la culture, quelques arbres, le skatepark et le pont qui mène les voitures au sud de la ville. C’est aussi de ces fenêtres que pénètre cette lumière grise caractéristique du ciel neversois. Une lumière presque monochrome, dont la teinte pâle alourdit l’horizon des jours, parfois des semaines voire des mois, et qui avale tout dans son épaisseur humide comme surgie du fleuve. Il faut l’imaginer, cette lumière, s’infiltrer dans la matière même des murs et du sol de cet atelier, à la surface des étagères soigneusement organisées, nimber les images punaisées ça et là et mettre fébrilement au jour, dans leurs différents états d’achèvement, les productions qui en émergent.

Il me semble avoir toujours perçu, dans les pièces d’Aurélie Belair que j’ai pu découvrir entre ces murs, l’expression d’un questionnement du langage. Je me souviens de toiles recouvertes d’aplats doux, presque atmosphériques et parfois légèrement dégradés, où se répandait un dense réseau de lignes blanches. La forme dynamique des traits évoquait un engagement du corps dans ces trames enchevêtrées tandis que le titre de la série, Vocabulary (2014), laissait entendre que quelque chose pouvait être ici à démêler, à défaut d’être lu. Un autre ensemble d’œuvres intitulé Speech Less (2015), employant une gamme chromatique plus vive, et traduisant un geste agressif et tranché, affirmait de manière directe le caractère silencieux, pour ne pas dire mutique, de ces peintures. S’il était ainsi question de langage à travers ces deux exemples, ce n’était pas tant pour nous conduire dans la linéarité d’un propos signifiant que dans le chaos de signes orphelins de référents, rendus à une matérialité exacerbant l’expérimentation picturale. Vocabulary et Speech Less inauguraient alors une recherche paradoxale, associant à l’enténèbrement progressif du discours l’apparition de plus en plus claire d’une syntaxe propre à la peinture, devenue la seule structure cohérente à-même de véhiculer l’ensemble de ce que l’artiste accepterait désormais de nous dire.

Un des ressorts actuels de la pratique d’Aurélie Belair se situerait donc dans une attitude qui apparait alternativement opacifiante et éclairante : les œuvres se caractérisent par une certaine simplicité formelle – empruntant même les aspects rudimentaires d’objets rituels ou primitifs – qui dissimule en son sein les actes prévalant à leurs réalisations. La série des Amulet (2018) dressée dans l’espace des Ateliers Vortex convoque un imaginaire multiple : sorte de mâts autonomes ou de totems étroits, elle poursuit parallèlement une histoire de l’installation minimale « affectée », dont les racines la lie autant aux environnements feutrés de Joseph Beuys qu’aux sculptures quasi organiques de Lygia Clark ou d’Eva Hesse. En rythmant spatialement la déambulation du visiteur à travers elles, les Amulet entretiennent non seulement un dialogue essentiel avec le lieu de leur présentation mais figurent les conditions singulières de leur élévations – les nœuds successifs qui les composent traduisant le rôle de la main et l’implication du corps dans la torsion des matériaux. Ce « paysage » vertical, comme se plait à le qualifier l’artiste, incarne dès lors une somme de temps unifiée, où le geste plastique résonne avec la production de rites qui accueilleraient la répétition pour son potentiel obsédant, presque aliénant : l’alibi d’un dépassement de soi qui conduirait à une transe douce.
À l’entrée de l’exposition, Aurélie Belair a installé une vidéo dont le titre, M. qui défait des nœuds (2018), semblent directement faire écho à ces colonnes de tissu installées à l’étage. Les mains qui nouaient sont ici celles qui libèrent et s’accordent harmonieusement entre elles, dans une chorégraphie fluide, hypnotique. Balayant la blancheur immaculée de l’écran, vues légèrement de dessous – accentuant de fait leur emprise réelle et symbolique – ces mains sont celles de Muriel, magnétiseuse en exercice. On retrouve cette inclinaison thérapeutique et occulte dans la toile Sans titre – dialectique des hiérophanies (2018) : le châssis circulaire d’une toile de coton vierge est perforé de multiples clous et de vis, composant un anneau hérissé et métallique se détachant des cimaises. Installée in situ aux Ateliers Vortex, l’oeuvre référe aux statuettes guérisseuse Minkisi, que les sorciers au bord du fleuve Kongo transpercent d’objets tranchants au cours de cérémonies destinées à soulager leurs patients. L’œuvre réemploie les systèmes d’accrochages de la peinture afin d’agir à sa surface même, comme pour lui invoquer un pouvoir protecteur.

Une des ambitions de la modernité, comme le souligne Jean-Luc Moulène dans l’extrait que j’ai souhaité mettre en exergue de ce texte, fut sans doute de produire un discours rationnel sur l’ensemble des éléments édifiant le contexte de vie humain. Au sein même de ses activités et de ses croyances, l’entreprise moderne sera venue mener un projet de « dévoilement », dont les conséquences trouvent actuellement leur point paroxystique dans ce que le philosophe allemand Byung-Chul Han nomme « La société de transparence »1. Le besoin de visibilité est aussi à l’origine de la multiplication du rôle du « médiateur », qui dans l’art comme ailleurs vient résoudre les petits drames du manque de compréhension. Une tendance artistique contemporaine, à laquelle l’exposition « Phainómenon » contribue, continue de se rendre irréductible à toute littéralité et à s’engouffrer dans des territoires plus complexes et subjectifs, où l’œuvre n’est pas une simple traduction, mais un objet traversé par les spectres intimes de l’expérience et de la croyance.
À la clarté aveuglante des grands récits qui n’émancipent plus, l’éclairage trouble d’engagement refusant les discours mystificateurs nous rappelle, dans le sillage de Susan Sontag, que « nous n’avons pas, en art, besoin d’une herméneutique, mais d’un éveil des sens. »2

Franck Balland

1 Byung-Chul Han, La société de transparence, PUF, Paris, 2017. L’auteur défend dans cet ouvrage un point de vue critique sur l’insistance contemporaine à rendre toute information accessible et lisible, qui selon-lui conduit à une société du contrôle permanent.

2 Susan Sontag, Contre l’interprétation, 1964

Critique d’art et commissaire d’exposition indépendant, Franck Balland a successivement travaillé à l’institut d’art contemporain de Villeurbanne, au Parc Saint Léger à Pougues-les-Eaux et à la galerie Marcelle Alix, Paris. De 2014 à 2017, il a co-dirigé Tlön, à Nevers, avec Jennifer Fréville.


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Photographies: © Cécilia Philippe, 2018, © Aurélie Belair, 2018

TRANSPOÈME

4 mai — 2 juin 2018

TRANSPOÈME

Exposition
4 mai- 2 juin 2018

> Sergio Verastegui <

Cette exposition s’inscrit dans le cadre du programme Suite initié par le Centre national des arts plastiques (Cnap) en partenariat avec l’ADAGP.

Il retrace — les parcours périurbains de cet artiste qui découvrit, sur un chantier, une ruine où se lisaient les images assemblées du futur distant et du passé lointain.

Il raconte — l’histoire d’une pyramide construite, ensevelie, puis construite à nouveau dessus sa propre tombe.

Il cherche — ce poète, qui exista jusqu’à ce qu’un autre l’invente.
Il se remémore — celui-là, un peu poète aussi, pour qui l’écriture n’était pas la messagère d’un sens, mais la présence d’un corps.

Il décrit — les prêtres qui célébraient un dieu en revêtant la peau d’un homme écorché. Dans les orbites vides brillaient les yeux d’un autre, dans la
bouche vide souriaient d’autres dents.

Le nom de l’artiste, le nom de la pyramide, les noms des poètes et des prêtres, le nom du dieu célébré existèrent, mais ils n’importent pas.
Seules comptent les histoires, les images, les paroles qui traversèrent l’artiste, la pyramide, les poètes et les prêtres, puis ressurgirent en d’autres temps et d’autres lieux, sous d’autres espèces et d’autres mots et qui, de corps en corps, prolongèrent le voyage d’une même pensée.

Une pensée qui retrace — le renversement des temps et les passés cryptés dans l’alphabet du futur.

Qui raconte — les vies souterraines dissimulées sous les vies évidentes, les éclipses jamais totales, les amenuisements mués en survivances à l’instant de leur extinction.
Qui cherche — le lieu où les fictions vivent comme les réalités.
Qui se remémore — les fantômes matériels et les mots illisibles.
Qui décrit — des anatomies intempestives.

Il fabrique des objets capables de retenir cette pensée voyageuse en lui donnant matière. Sculpturomancie.                                                                               Tissu, cordes, peaux : reliques assemblées comme des corps composites
Bois, miroirs, tissu : vestiges anodins et précaires
Plâtre, plastiline, lettres dispersées : fragments dont on ne sait s’ils disent une forme ruinée ou une forme à venir
Caoutchouc, cire, papier : empreintes à peine déposées.

Nina Leger


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Photographies: © Cécilia Philippe, 2018

THE ISSUE’S NOT WHETHER YOU’RE PARANOID, LENNY…

6 avril —
28 avril 2018

THE ISSUE’S NOT WHETHER YOU’RE PARANOID, LENNY…

Exposition
6 – 28 avril 2018

> David Droubaix <

Fait et fiction, croyance et incrédulité dans l’oeuvre de David Droubaix traduit du texte en anglais Fact and Fiction, Belief and Disbelief in the Work of David Droubaix
L’art de David Droubaix vient à propos en cette ère de post-vérité, où les médias sont accusés de produire de faux messages et où les théories du complot abondent. Son travail explore les difficultés à discerner la croyance de l’incrédulité, la certitude du doute, la confiance de la suspicion, à distinguer le fait d’être sûr et celui d’être sceptique. Notre connaissance du monde est basée sur notre croyance en la vérité. Nous avons l’idée que la distinction entre les points de vue factuels et fictifs est simple. Après tout, nous croyons que les faits expriment la vérité et que la fiction est ce qui a été inventée. Mais qu’est-ce que la vérité?
Il y a diverses théories la concernant. La théorie de la vérité-correspondance par exemple, affirme que la vérité d’une proposition repose sur sa cohérence avec un ensemble d’affirmations dans un certain domaine, consistant – au sens logique du terme – et cohérent en soi. Une théorie scientifique est vraie, parce que les propositions qui la composent ne se contredisent pas. Malheureusement, la cohérence interne d’un ensemble de propositions n’est pas suffisante pour le rendre vraie, car il pourrait entrer en conflit avec un autre ensemble de propositions qui serait néanmoins cohérent. La théorie quantique et la théorie de la relativité générale sont par exemple cohérentes et consistantes, mais incompatibles dans leurs descriptions de la réalité. La théorie de la vérité-correspondance n’a donc de valeur que dans un domaine spécifique et peut entrer en conflit avec d’autres domaines.
Cette théorie avance qu’il y a une relation de correspondance entre une proposition et la réalité qu’elle décrit. Elle est vraie si elle décrit correctement ce qui est dans le monde réel et correspond donc à cette réalité. Il n’est pas surprenant qu’il y ait aussi de sérieuses objections à la théorie de la vérité-correspondance, comme le fait d’être défini de façon trop étroite, d’être évidente et obscure à la fois. Sans aller plus profondément vers d’autres théories concurrentes, il est clair que le concept de vérité lui-même n’est pas facile à établir. La vérité semble dépendre en grande partie du contexte et il est – à l’exception de quelques rares cas – impossible de fournir une preuve indubitable de la véracité d’une proposition. Les gens peuvent maintenir toutes sortes de systèmes de croyances fiables ou non fiables, quand bien même ils sont incompatibles entre eux.
David Droubaix joue avec les menaces du doute et les difficultés d’établir sans équivoque la vérité. Les théories du complot, par exemple, prospèrent sur l’indécidabilité de celle-ci. Il peut toujours y avoir des raisons de douter. Nous voulons exclure la possibilité du doute et nous essayons de trouver une certitude. Mais elle est difficile à obtenir, sauf peut-être par exemple en logique ou en mathématiques. Mais celles-ci ne sont pas très instructives sur le monde réel.
Le scepticisme en soi n’est pas une position impossible, mais douter de tout est finalement intenable. Pour pouvoir se déplacer dans le monde, il faut avoir des certitudes incontestables. Wittgenstein l’exprimait ainsi : “Si j’ai épuisé les justifications, j’ai atteint la roche-mère et ma bêche se retourne”, ce qui signifie que poser plus de questions est futile.
Les théories du complot sont basées sur la difficulté d’établir la vérité au-delà du doute et sont alimentées par la paranoïa. Mais la paranoïa est une prédisposition délirante qui est induite par une anxiété irrationnelle ou la peur. Ce n’est pas une façon de connaître la vérité sur le monde. Même lorsqu’une théorie du complot a été entièrement réfutée, il y a toujours des gens qui persévèrent à croire en sa vérité. Un exemple notable est le cas de la théorie de Bill Kaysing sur les alunissages qui, selon lui, n’ont jamais eu lieu. Dans la pièce “The Eagle Has Never Landed”, qui est liée à la théorie de Kaysing, Droubaix a photocopié une reproduction de l’empreinte de Buzz Aldrin sur la lune, puis
cette copie, photocopiée, trois mille cinq cents fois, jusqu’à obtenir une page entièrement noircie, confrontant ainsi la fiabilité d’une image à son apparence fictive et à sa disparition définitive. On pourrait penser que le sceptique serait désarmé s’il était confronté à une recherche réussie de la certitude. Mais bien que tous les arguments de Kaysing aient été réfutés, il a maintenu sa position d’incrédulité concernant les alunissages.
Une autre pièce, “Wer durch das schwert lebt….” (“Qui vit par l’épée…” périra par l’épée) est une pile de livres conspirationnistes transpercés par une épée. La référence est claire. Celui qui croit aux théories du complot finira par être emporté par elles. Droubaix souligne le lien étroit entre paranoïa, conspirations et ésotérisme. Les personnes qui sont sensibles à l’une, voire à l’ensemble de ces trois formes alternatives d’”acquisition de connaissances”, sont convaincues de posséder un pouvoir spécial leur permettant d’acquérir une compréhension d’un ordre supérieur, inatteignable pour les autres personnes. Pourtant leur savoir a une valeur restreinte, limitée à leur propre cercle fermé d’initiés.
Une grande partie du travail de Droubaix est consacrée à la puissance du langage, dans lequel les vérités comme les mensonges peuvent être exprimées avec éloquence et il souligne la difficulté de les discerner. Comme nous courons toujours le risque d’être induits en erreur, il nous avertit d’être continuellement conscients des idées délirantes et que nous devrions toujours essayer d’être plus soupçonneux, au lieu de l’être moins.
Outre son intérêt pour le langage trompeur, Droubaix souligne également le manque de fiabilité ou la présentation erronée de faits et de documents historiques. Dans “La Salle blanche”, il présente une reproduction qui montre le patio du Musée des Beaux-Arts de Nantes, utilisé comme chapelle ardente pour les victimes d’un bombardement allié sur la ville en 1943. La légende sous l’image est fausse et sa taille et sa forme au moment de sa conception sont incertaines. Les reproductions dans les livres et les documents montrent l’image sous différentes formes, remaniée, recadrée, parfois même inversée. Un exemple encore plus frappant est l’élimination bien connue de personnes proches de Staline, après être tombées en disgrâce. Dans l’oeuvre “Призрак” – fantôme –, un proche de l’homme d’état est supprimé de la reproduction sur laquelle on pouvait encore le voir. Car la possession même d’une image intacte présentant une personne limogée était illégale. Les citoyens soviétiques devaient effacer le dissident de la photographie ou la détruire. Cette idée de mutation, de falsification et d’amnésie est liée à “Principe de précaution” de Droubaix, qui traite de l’effet de détérioration lié au temps. Le célèbre autoportrait de De Vinci est conservé en toute sécurité sous les voûtes de la Biblioteca Reale de Turin pour tenter d’arrêter sa contamination par la moisissure. Droubaix a reproduit les conditions d’infestation sur une reproduction de celui-ci, poursuivant le processus de dégradation naturelle.
Nous parlons du monde en langages et en images. Droubaix nous montre ce monde comme un mélange de faits et de fictions, de fantaisies et de réalités, de vérités et de mensonges, de croyances et d’incrédulités. Et il démontre à quel point il est difficile de démêler ce fouillis. L’apparition des faits et des artefacts, ainsi que leur interprétation, change au fil du temps, dans un processus imparable.

Frank Lubbers


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Photographies: © Cécilia Philippe, 2018

PRIX IMPRESSION PHOTOGRAPHIQUE III

9 février 2018 —
20 mai 2018

PRIX IMPRESSION
PHOTOGRAPHIQUE III

Exposition hors les murs
Musée Nicéphore Niépce – Châlon/Saône
9 février 2018 — 20 mai 2018

> Lyse Fournier <

Vit et travaille à Bordeaux.

Dans la même logique que le dispositif de production de multiples d’artistes, Les Ateliers Vortex ont proposé pour la troisième fois une bourse de production photographique destinée à soutenir la jeune création contemporaine.

Cette démarche, soutenue par la Région Bourgogne-Franche-Comté dans le cadre de sa politique de soutien aux arts plastiques, porte un regard particulièrement attentif sur la valorisation de jeunes artistes et plus particulièrement en matière de création photographique contemporaine.

Suite à un appel à projet, l’artiste lauréate Lyse Fournier a reçu une bourse de production dotée par le conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté lui permettant de réaliser son installation photographique.

Le prix a été remis lors de l’exposition «Le chic français, Images de femmes 1900-1950» au musée Nicéphore Niépce de Châlon/Saône en février 2018.

> Lyse Fournier <

“J’utilise l’image pour ce qu’elle est. Je m’intéresse à certains détails de paysages, un rocher, de l’eau… Ils deviennent alors presque abstraits. Selon une logique singulière, je collecte, je pioche, je prélève des morceaux, les répète, les recompose, les superpose par association d’idées. Je construis des hybrides, des paysages hasardeux et poétiques. Des zones inexplorées que je donne à découvrir au spectateur. Les motifs sont récurrents, je me répète en série toujours différemment. Les images sont bricolées, parfois précaires.”

Lyse Fournier

Photographies :
© Lyse Fournier, 2018

LEVER LES YEUX

13 octobre —
11 novembre 2017

LEVER LES YEUX

Exposition
13 octobre – 11 novembre 2017

> Annelise Ragno <

“l’épreuve du voir”

Une forêt dont les arbres bougent au gré de mouvements imprévisibles. Un homme qui imite le sifflement d’oiseaux. Des troncs d’arbres marqués d’un signe coloré. Un oiseau au plumage polychrome qui tourne dans tous les sens. Un soudain lâcher de pigeons. Après avoir réalisé toutes sortes de films, notamment de figures sportives et animales, visant à capter des détails inscrits dans toutes sortes de gestes, de regards ou de respirations, Annelise Ragno a choisi de s’intéresser au monde de la nature.  D’un motif à l’autre, ce qui compte est la chose filmée et le point de vue qu’elle nous donne à réfléchir sur la nature ontologique de ce mode d’expression qu’est la vidéo.

L’art vidéographique d’Annelise Ragno est requis par un souci de construction et de tension que corrobore une forme de grammaire visuelle d’une extrême rigueur fondée sur un certain nombre de critères récurrents quel que soit le sujet qu’elle aborde. Il lui plaît le plus souvent de le donner à voir de manière fragmentaire de sorte que l’image est volontiers tronquée , obligeant le regardeur à la poursuivre mentalement au-delà même du plan projeté. Cette façon de filmer l’assure tout à la fois de projeter celui-ci dans le champ iconique, le soumettant à l’exercice d’une proximité. Tout en invitant le regard à se concentrer sur chacune des pièces présentées, le soin qu’elle prend par ailleurs à penser leur mise en espace dans une configuration qui les fait dialoguer contribue en quelque sorte à animer l’espace de leur projection. Ce ressenti est d’autant plus fort qu’Annelise Ragno choisit de jouer de différentes échelles entre ces projections, tout en les dispatchant dans l’espace de sorte qu’elles apparaissent, voire surgissent tout à la fois ensemble et individuellement.

Ici, Annelise Ragno capte en plan fixe le balancement naturel et inégal des arbres d’une forêt dont certains chutent sous l’effet d’on ne sait quelle action hors champ. L’artiste s’applique à ne rien révéler de la cause pour ne nous offrir à voir que la conséquence. Coutumière de ce type de process, elle crée de la sorte une situation qui interroge le réel jusque dans ses arcanes les plus troublants. Comme il en est, par ailleurs, de ces deux biches qu’elle saisit à l’orée d’un bois, figées comme dans un arrêt sur image qui s’éternise,  strictement placées en symétrie verticale de part et d’autre du plan qui les cadre. Le mur végétal sur le fond duquel elle les a filmées envahissant la totalité du champ iconique, les bêtes sauvages paraissent miniatures à ce point même qu’on les prend volontiers pour de petits sujets factices, rapportés en dedans.

La tentation de la peinture  trouve chez Annelise Ragno à s’exprimer dans deux vidéos qui se font somme toute écho : d’une part, les arbres marqués d’un signe peint qui compose une sorte de cabalistique minimaliste à la signification mystérieuse ; d’autre part, l’oiseau filmé en plan rapproché sur un fond immaculé qui renforce l’éclat de ses couleurs arc-en-ciel. Dans l’un et l’autre cas, elle s’attache comme toujours à restituer quelque chose d’une réalité concrète tout en la mettant en image suivant des modalités de filmage et de montage qui la biaise. Annelise Ragno cultive l’ambigu et le surprenant.

Le film qui réfère à un concours de lâcher de pigeons sous-tend une forme de tension par la brutalité inattendue de l’échappée des volatiles et le vacarme qu’ils occasionnent en opposition avec la lourdeur massive et silencieuse des camions d’où ils sortent. De même, l’artiste joue de l’idée de leurre dans la vidéo de l’homme sifflant comme un oiseau si bien qu’on ne peut plus faire la part des chants entre l’humain et l’animal.

Par-delà le contenu de ses vidéos, la démarche de l’artiste relève d’une réflexion sur le statut du regardeur, sur son comportement et sa capacité à l’épreuve du voir. Comment il est à même, par exemple, d’anticiper ce qu’il est en train de visionner. Sa réaction au passage d’un plan à l’autre au rapport de son attente. Sa posture face aux images projetées en fonction de leurs dimensions. Chaque fois, l’artiste semble composer sa vidéo dans le but d’interpeller l’autre à la question de la vue et du point de vue, de le solliciter à repenser son rapport au visible pour qu’il s’applique à en déceler tous les aspects, jusque même ceux qui ne le sont pas. « L’art rend visible », disait Paul Klee. Celui d’Annelise Ragno est engagé dans cette intention. D’où cette sorte d’intemporalité qui le caractérise.

Le refus du narratif  qui caractérise ses films conduit l’artiste aux lisières d’une esthétique abstraite qui n’interdit pas pour autant l’idée d’image figurée. Aussi, c’est dans un entre-deux que son art trouve sa singularité, qu’il gagne sa tension pour ce que tout y est engagé sur un fil : le rythme des plans, leur durée, leur densité, le son, le cadrage et leur mode de projection. Il fut un temps où Annelise Ragno se qualifiait elle-même de « chercheuse d’images », soulignant que l’enjeu de son travail était « d’amener le regard du spectateur vers un autre point de vue. » Sa démarche a gagné en ambiguïté et en énigme pour ce qu’elle vise à instruire toujours plus le regard à sa propre surprise, tout en nous invitant à prendre la mesure d’une nature immuable.

Philippe Piguet

Les remarquables

« Regarde les arbres tomber ! » pourrait se nommer cette vidéo qui montre en boucle des arbres tomber, avec la brutalité en moins. De biais ou en arrière ils s’effondrent comme aimantés par la gravité, dans un contexte dénué de violence, au contraire.

Le frémissement des feuilles, le chatoiement de lumière sur les troncs, des paysages de sous-bois, une percée de ciel sont des images paisibles de la forêt, si ce n’est qu’un autre mouvement récurrent la parcourt, artificiel celui-là, l’abattage. Ce sont des arbres morts que l’on coupe, ce sont de jeunes arbres qu’on arrache, ce sont des charmes, bouleaux, hêtres, châtaigniers qu’on sacrifie, des pins qu’on décime. On présume que les motifs ne sont pas les mêmes : nettoyer la forêt, l’éclaircir et l’aérer pour les uns, sélectionner les bois de qualité supérieure pour les autres, débiter et vendre en nombre des bois médiocre mais d’un rendement lucratif pour les derniers. D’un côté la forêt est jardinée, de l’autre elle est exploitée. Qu’est-ce que jardiner une forêt, sinon la soigner, l’entretenir afin qu’elle garde sa vigueur et sauvegarder même sa biodiversité? Parallèlement à l’entretien, il y a la déforestation provoquée par le profit, c’est le choix de la rapidité du cycle plantation, croissance, maturité, commercialisation contre la longévité des arbres dits nobles qui ne suivent pas le turn over propre à la consommation de masse.

Une chorégraphie des chutes en série à géométrie variable s’installe. Nulle visibilité n’est donnée aux agents du massacre ; le cadrage de la caméra sur les troncs ou la cime des arbres « coupe » la tronçonneuse. Les arbres en tombant traversent l’écran en diagonale. Les effondrements sont indiscutablement anthropisés et dramatisés.

Ce ballet émouvant, cette temporalité pathétique sont cependant suspendus par l’apparition d’un couple de cervidés immobiles, aux aguets, alertés par une présence inhabituelle. Surgissement réel, mais totalement artificiel dans la concaténation des images. Annelise Ragno a finalement préféré extraire ces images de vidéo de la forêt pour les mettre en vis à vis. A l’intrication des images issues des mêmes tournages, du même contexte, elle a opté pour la séparation et l’autonomie des séquences – évitant ainsi l’étrangeté surréalisante de ces apparitions innocentes dans l’histoire tragique des effondrements. Ces couples de biches et de cerfs font basculer l’image dans l’imagerie de la forêt ; c’est la forêt de Blanche-Neige qui fait surface. En un clin d’œil le spectateur est ramené à la pellicule et au monde cultivé de la forêt. Deux fois cultivé par les élagages et l’exploitation forestière, d’une part, par un imaginaire entretenu sur sa beauté sauvage et mystérieuse la forêt, d’autre part, dont font partie ces apparitions miraculeuses et féériques.

Pour éliminer des effets de réalisme et accentuer la théâtralité des événements l’artiste a coupé le son ; les bruits de la forêt ne nous parviennent pas ; l’image est déconnectée de son environnement sonore. Est-ce une invitation à la méditation ou à l’empathie avec cet univers non humain – avec lequel les sociétés n’ont jamais cessé d’entretenir des rapports de protection, de divination, de peur, d’exploitation, d’intra et extra territorialité ? Ou au contraire ces images stéréotypées de la forêt sont elles censées introduire humour et distance à l’égard de sentiments empathiques, manifestement éprouvés par l’artiste ? Ces deux aspects coexistent dans le travail de la vidéaste.
On retrouve cette ambivalence dans la vidéo des tatouages des arbres qui signalent les coupes à effectuer. Une gestion commerciale raisonnée des parcelles forestières, une sélection des plus beaux spécimens à protéger, la sauvegarde de la bio-diversité, explique l’ONF, nécessitent ces opérations de « martelage » au compas, au marteau, ou à la bombe fluo.

La vidéo consacrée à ces signes, s’inscrit dans la mouvance, inconsciemment ou consciemment, des appropriationistes  de la 2ème ou 3ème génération (Mathieu Mercier, Delphine Coindet, Philippe Decrauzat,… ) qui ont été repêcher les formes géométriques, appartenant à l’art abstrait et conceptuel, dans l’univers commercial du mobilier, du graphisme, de la communication où ils ont essaimé, pour les réintroduire à nouveau, déformés, dans le monde de l’art. Point, ligne, cercle, croix, fluo de surcroît, sont des importations, dans le monde du faire artisanal ou de l’usinage, de signes techniques qui dénotent un autre monde industriel, urbain, contemporain. Ces importations ne signent-elles pas la fin de cet univers sombre et profond de la sylve morvandelle appréhendée émotionnellement, mais qui n’a peut-être jamais existé que dans les contes ?

Une vision réaliste/cynique convient mal avec le travail de Annelise qui s’effraye parfois quand elle en voit des traces dans ses propres pièces. Dans l’installation vidéo : « Never say die », jamais elle n’a voulu montrer la vidéo du poisson, carpe ou dorade, qui, sorti de l’eau, cherche son air et ressemble à un vieillard en fin vie ou une personne édentée asthmatique qui respire comme un poisson ! Elle n’assume pas le geste de retirer le poisson de son milieu naturel, même quelques secondes, et l’obliger à modifier son mode respiratoire pour faire une image, qui pourrait préfigurer la mort. Ce sont des images analogues qui continuent de la hanter et qu’elle cherche à capter mais dans une position d’extériorité. Annelise Ragno ne touche pas au mal, ni à l’ironie cynique.

Elle approche sa caméra des situations qu’elle réprouve : l’appropriation prédatrice et destructive des zones naturelles, la destruction de la bio-diversité, la subjugation de la vie animale à la passion du jeu et du gain ; elle s’en approche, à sa façon, par l’art, par des images expurgées des causes de la violence qu’elle condamne. Elle enregistre des événements, les extrait de leur contexte qu’elle laisse le lecteur imaginer. Ce détourage du réel, abstractisé, lui permet de surfer sur la pure émotion. Elle cherche en effet des représentations et des montages les plus à même de transmettre les affects qui l’ont émue et mue en tant artiste. La tension, la contradiction sont des moteurs de cette transmission.

Eloquente de ce point de vue est la vidéo d’un puissant envol des pigeons. La caméra capte les colombes au sortir des paniers dans lesquels elles sont enfermées. Elles surgissent des longs camions à l’arrêt qui les ont convoyées par milliers jusque là. Cette nuée de projectiles ailés lancés à toute vitesse est indissociable de la rétention précédant l’ouverture des clapets. La libération des colombes, jaillissant comme un geyser, s’origine dans une captivité.

Le phénomène a quelque chose d’excessif, de monstrueux qui s’estompe quand les oiseaux se dispersent dans les airs, chacun mettant le cap sur son pigeonnier. Les pigeons voyageurs réalisent le programme, pour lequel ils ont été élevés, exercés, sélectionnés, voire génétiquement conçus, croisés. La beauté est l’effet fortuit d’une opération, le lâcher – le libre -, par ailleurs totalement contrôlée. Les artistes photographes sont les champions de cette évanescence du réel – qui échappe, glisse avec le flux de nos perceptions, si quelqu’un ne l’imprime pas pour nous et surtout ne le met pas en relation avec autre chose qui lui donne sens : ici les longues remorques des camions transporteurs rassemblés sur la ligne de départ et la vocifération qui donne le signal. Ce contraste violent entre l’aérien et le poids lourd, fait fond sur l’antagonisme entre liberté et esclavage, mais sur un mode plus complexe car ici dans la vidéo, l’image de la liberté est sous-tendue par celle de la capture ; l’énergie de liberté étant instrumentalisée par les intentions mercantiles du sport colombophile. Haro sur la perversité humaine ou relevé d’une extravagance ?

Le conflit nature-culture, auquel Annelise Ragno fait encore référence, semble dépassé par sa dernière sa vidéo, le « diamant ». En effet le passereau aux couleurs éclatantes pourrait avoir été peint, tant sont vives ses teintes, tant est redessiné son corps par des à-plats de violet, de rouge, de jaune, de vert qui pourraient appartenir à des estampes de Kandinsky ou de Jawlesky. Cet oiseau n’a rien de naturel. Il semble un pur produit d’un magicien versé dans la peinture moderne. On pourrait retourner le vieil apophtegme : la culture rivalise avec la nature en : la nature rivalise avec la culture. A moins que ce soit notre fréquentation de l’art abstrait qui provoque notre admiration et notre stupéfaction ; à moins que ce soit notre amour de l’art qui soit en définitive responsable de la capture de ce joyau.

À la technicisation, l’assujettissement, la domestication de la nature, l’art a sa part également. L’esthétisation des événements, l’artialisation des paysages ruraux ou urbains, la construction des vedute, l’idéalisation du sauvage et la diabolisation de la culture, ou l’inverse, ont contribué au façonnage de notre regard sur la nature, sinon sur la nature elle-même. Et les vidéos de Annelise Ragno y participent, même si la dernière jette le trouble.

On ne plus se situer dans cette tradition romantique où l’art était le chantre de la nature contre la culture, où l’art pensait avoir des affinités électives avec un pur sensible dont le langage, la raison manquaient, par trop de règles, ou qu’ils écrasaient sous leurs lois.
Ce qui ne veut pas dire que la nature n’existe pas mais que nos relations avec elle ne peuvent plus être sur le mode de l’opposition, la domination ou son contraire, la salvation.

L’opposition nature-culture a fait long feu, les colonisations, l’holocauste, les catastrophes humaines et écologiques, la destruction des populations indiennes et amérindiennes, la disparition des espèces animales et végétales ont définitivement condamné la croyance en la domination de la culture sur la nature, mais ont également mis fin au mythe d’une nature pure qu’il faudrait sauver et celui d’une pureté au nom de laquelle, tant d’exactions ont été commises. Les sciences naturelles aussi ont servi de support à l’idée de la supériorité/infériorité des races.

La condamnation de la division de l’esprit et du corps comme celle de la suprématie des êtres humains sur les non humains, la critique de la rationalité mâle, blanche, capitaliste, occidentale, souverainiste, réplicative et reproductive, la mise en question du effets supposés positifs du développement ont considérablement ébranlé la confiance dans la culture comme facteur de progrès et dans la nature comme matière première corvéable à merci ou, au contraire, pure et salvatrice. Les vidéos de Cogitore visibles en ce moment au Bal montrent la dérive des croyances naïves d’un homme, d’une famille qui, partie vivre sur des terres inhabitées à la recherche de relations sincères, vraies, pacifiques avec la nature sauvage. Leur vie en effet est simple, rude, riche d’émotions et d’actions. Quand une autre famille les rejoint pour participer à cette communion primitive, les pionniers deviennent d’affreux fachos, troquant partage, amour, simplicité, générosité contre égoïsme, méfiance, jalousie, haine, paranoïa. Auparavant proches l’une de l’autre, les deux familles deviennent ennemies,  s’épient, s’insultent, se détestent ; le retour à la nature n’est pas un gage de simplicité ni de bonheur.

L’opposition nature/culture a fini de structurer notre européen, occidental, rapport au monde. La domination des sciences dures a été mise à mal par la philosophie, la sociologie, l’anthropologie des sciences qui les ont obligées à s’interroger sur les conditions de production de leurs concepts. Qui fabrique quoi, et comment ? Quels sont les environnements conceptuels de tel ou tel concept, celui de nature notamment ?

Quelles sont les conditions sociales, instrumentales, économiques des études et expériences engagées. Bruno Latour1, Donna Haraway2 ont ramené dans le champ scientifique et philosophique ce qui avait été éliminé, relégué dans la contingence, au nom de l’objectivité. La notion de « savoirs situés » a mis en relief la richesse, pour les approches scientifiques, des différences de points de vue, de sensibilités, incarnées par les genres, les langues, les cultures.

La réflexion s’est portée « par-delà nature et culture »3,  sur une compréhension des interactions des humains et des non humains, non plus séparées mais mélangées et interdépendantes ; elle s’est ouverte (intérêt, soin, partage) sur la diversité des savoirs ethniques, artistiques, chamaniques, oniriques, sur l’hétérogénéité des formes d’existence avec lesquelles les humains ont partie liée (le système de communication et de régénération des arbres par exemple4), elle s’est muée en conscience d’une nécessaire négociation avec les phénomènes dits naturels (recherche d’énergie « propre », jardin en mouvement5, la permaculture, entre autres).

Henry D. Thoreau6 a déjà transmis tout cela dans son Walden qui n’avait rien d’un retour à lature mais accomplissait le simple désir de connaître un ailleurs proche, de faire coïncider connaissance et existence, renouer corps et esprit, réactualiser une intelligence partagée avec les autres non-humains d’être au monde.

Gaëtane Lamarche-Vadel

1 Bruno Latour, Politiques de la nature. Comment faire entrer les sciences en démocratie, Paris, La Découverte, « Armillaire », 1999 ; Enquête sur les modes d’existence : Une anthropologie des modernes, La Découverte, 2012
2 Donna Haraway, Simians, Cyborgs and Women: The Reinvention of Nature, New York: Routledge, and London: Free Association Books, 1991
3 Philippe Descola, Par delà nature et culture, Gallimard 2005
4 Peter Wohlleben, La vie secrète des arbres, Les arènes, 2017 Gilles Clement, Le Jardin en mouvement, Paris, Pandora, 1991
5 Gilles Clement, Le Jardin en mouvement, Paris, Pandora, 1991, Manifeste du Tiers-paysage, éd. Sujet Objet, mai 2004 (rééd. augmentée chez Sens & Tonka, 2014)
6 Henry D.Thoreau, trad. Brice Matthieussent, Walden le mot et le reste


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Photographies: © Cécilia Philippe, 2017