BIENNALE CARBONE

30 octobre — 8 novembre

BIENNALE CARBONE
Exposition hors-les-murs
Saint-Étienne
30 octobre — 8 novembre

> Fanny Durand <
> Thomas Fontaine <
> Fiona Lindron <
> Annelise Ragno <

…3600 fois par heure, 6500 kelvins, 127 femmes, 9 mètres de soie, 516 décibels, 3,8 kilogrammes de miroir, 180 mètres carré de dalles d’agencement aggloméré hydrofuge, 7 kilogrammes de feuilles de plomb, 133 mètres linéaires de gravure numérique sur marbre des Pyrénées, 64 plis, 75 centimètres cube de verre pilé, 5 siècles avant J-C, 1 entaille, 19488 X 12992 pixels, 200 kilogrammes d’anthracite, 7 tours sur soi-même, 1 fumigène, 2700 lumens, 250 milligrammes d’acétazolamide, 27 mètres carré de papier OCE qualité poster-160gr, 1 tétraèdre, 1000 kilo-grammes de marbre, 65 pouces, 30000 candelas, 270 grammes par mètre carré de papier, 1 frame, 230 litres de sueur, 45 tours par minute, 6 x 100 watts, 1 gramme de cacahuète.


C’est dans la pénombre du soir tombant que l’exposition « 3 600 fois par heure » révèle tout son éclat. Bien que son titre rende hommage au poème baudelairien « L’Horloge », ce sont d’autres vers qui semblent ici résonner. L’irrésistible Nuit établit son empire / Noire, humide, funeste et pleine de frissons1. Si la période n’est pas à l’apologie du crépuscule, c’est pourtant à l’heure entre chien et loup que les œuvres s’éclairent et gagnent en intensité et en profondeur.

Dès la façade de cette ancienne banque en déshérence, le ton est donné. Et l’esprit belliqueux le dispute aux ténèbres. Près d’une porte condamnée, le texte de Fanny Durand ouvre les hostilités, se détachant sur fond d’un noir de meudon qui semble badigeonné à la hâte. Ce fragment des Chroniques pour Penthésilée exhorte le regardeur à s’adonner à un rite guerrier mais charnel, héritage des lointaines amazones et de leur sensualité mortelle. Sur l’autre pan de façade, on tombe nez-à-nez avec le regard de pierre des Tyché, créatures divines antiques dont la fine couverture de verre pilé contraste avec leur froide beauté, avertissement au vandale qui voudrait les déloger. Ce dispositif, inspiré des grandes heures du militantisme radical, fait directement écho aux barricades de Vorago. L’image vidéo qui projette son pale halo à travers la vitre opalescente prend, en effet, son ancrage sur un événement historique. En 2012 dans les Asturies, des mineurs se sont révoltés contre le pouvoir central. C’est un récit politique, mais surtout social qui se révèle alors.

Cette question du corps collectif est à l’essence même du projet des Ateliers Vortex. Fanny Durand, Thomas Fontaine, Fiona Lindron et Annelise Ragno, tous diplômés des beaux-arts de Dijon, se sont unis autour d’une même idée : c’est la somme de leurs individualités qui fait leur force et par là même, celle du lieu d’expositions, d’échanges, d’idées, de créations et de partages qu’ils ont créé.

La notion de corps social et son pendant individuel sont omniprésents dans l’exposition. Dès l’entrée, le visiteur se retrouve pris au piège d’un double miroir : celui de ce doux visage anonyme qui semble se refléter et de sa propre image qu’il serait séduisant de projeter sur le panneau laissé vacant. Mais la tentation d’identification est rendue malaisée par la nature même de cette figure au titre éloquent. Derrière This person does not exist se cache un site internet éponyme, qui, à chaque ouverture, confronte l’internaute à un nouveau portrait irréel, mais au naturel troublant. Faisant volte-face pour se détourner de ces regards jumeaux, le spectateur est à nouveau confronté à la présence de personnages ambiguës, dont la mise en scène se trouve à la convergence du virtuel et du réel. Par l’embrasure d’une fenêtre donnant sur un couloir, il découvreainsi une suite de portraits, qui, s’ils se présentent comme les avatars d’un jeu vidéo, sèment le trouble par l’authenticité de leurs traits et leur caractère commun. Sommes-nous donc ces pantins anonymes, à la merci d’un utilisateur oisif, ou les maîtres de notre propre identité ?

Retour dans la salle, où, aux côtés de l’image métallique d’un tsar déboulonné, pendue à la renverse comme pour accentuer son désaveu, le gaufrage papier d’Annelise Ragno convoque à nouveau la vision du poète. L’oeil était dans la tombe et regardait Caïn2. En contrebas, une armée de christophines, végétaux ventrus aux pédoncules levés vers la lumière, introduit la nature et le vivant dans l’espace d’exposition.Ces nouvelles références invitent l’observateur à prêter aux œuvres une autre intentionnalité : celle des vestiges d’un culte antique immémorial. Offrandes de fruits, icônes déchues, fantôme géologique et cette couronne dorée posée à même le sol dans ce qui se révèle alors être le saint des saints, font corps dans une même universalité.

C’est un instant d’éternité qu’offre l’exposition, une respiration au cœur du chaos.

Marion Payrard

1 Charles Baudelaire, Les Épaves, « Le coucher du soleil romantique », 1866, Bruxelles

2 Victor Hugo, La Légendes des siècles, « La Conscience », 1859, Bruxelles

PRIX IMPRESSION PHOTOGRAPHIQUE V

13 février — 20 septembre 2020

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Isabella Hin au musée Nicéphore Niépce
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PRIX IMPRESSION
PHOTOGRAPHIQUE V

Exposition hors-les-murs
Musée Nicéphore Niépce, Chalon-sur-Saône
13 février 2020 — 20 septembre 2020

> Isabella Hin <

Dans la même logique que le dispositif de production de multiples d’artistes, Les Ateliers Vortex ont proposé pour la cinquième fois une bourse de production photographique destinée à soutenir la jeune création contemporaine.

Cette démarche, soutenue par la Région Bourgogne-Franche-Comté dans le cadre de sa politique de soutien aux arts plastiques, porte un regard particulièrement attentif sur la valorisation de jeunes artistes et plus particulièrement en matière de création photographique contemporaine.

Depuis 2016, la remise de cette récompense est également portée par le musée Nicéphore Niépce de Chalon-sur-Saône qui propose l’accompagnement technique de ses équipes, un accès inédit au musée ainsi que l’exposition de l’œuvre récompensée au sein de ses collections pour une durée de trois mois.

Suite à un appel à projet, l’artiste lauréate Isabella Hin a reçu une bourse de production dotée par le Conseil Régional de Bourgogne-Franche-Comté lui permettant de produire une série de quatre photographies.

Son projet a été inauguré lors du vernissage de l’exposition «percevoir, recevoir» de Jean-François Bauret au musée Nicéphore Niépce de Chalon-sur-Saône le 13 février 2020.

Isabella Hin, Rupture, 2019.
© Isabella Hin (1) et le musée Nicéphore Niépce (2,3,4)

PRIX IMPRESSION PHOTOGRAPHIQUE IV

15 février — 19 mai 2019

PRIX IMPRESSION
PHOTOGRAPHIQUE IV

Exposition hors les murs
Musée Nicéphore Niépce, Chalon-sur-Saône
15 février 2019 — 19 mai 2019

> Coline Jourdan <

Vit et travaille à Rouen.

Dans la même logique que le dispositif de production de multiples d’artistes, Les Ateliers Vortex ont proposé pour la quatrième fois une bourse de production photographique destinée à soutenir la jeune création contemporaine.

Cette démarche, soutenue par la Région Bourgogne-Franche-Comté dans le cadre de sa politique de soutien aux arts plastiques, porte un regard particulièrement attentif sur la valorisation de jeunes artistes et plus particulièrement en matière de création photographique contemporaine.

Suite à un appel à projet, l’artiste lauréate Coline Jourdan a reçu une bourse de production dotée par le conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté lui permettant de réaliser une héliogravure.

Le prix a été remis lors de l’inauguration des expositions «Probabilité 0.33» et «D’un jour à l’autre» de Virginie Marnat au musée Nicéphore Niépce de Chalon-sur-Saône en février 2019.

> Coline Jourdan <

« Soumise à la morsure » est un projet photographique ancré sur le territoire où vit Coline Jourdan. Il s’inspire du déversement d’eau de javel dans la rivière du Cailly, l’un des affluents de la Seine, en 2009. Cette pièce est une réflexion sur le paysage qui oscille entre vision romantique et une inquiétude face aux bouleversements environnementaux. Pour ce projet, la pellicule est révélée à l’eau de javel. Il résulte de cette interaction chimique des images noircies et tachetées dans lesquelles tente de persister des fragments de paysages.

Coline Jourdan, Soumise à la morsure, 2019.

Photographies :
© Les Ateliers Vortex & le musée Nicéphore Niépce, 2019

SUPERVUES

15 février — 19 mai 2019

SUPERVUES

Exposition hors-les-murs
Hôtel Burrhus, Vaison-la-Romaine
14-15-16 décembre 2018

> Marion Lemaître <

Vit et travaille en Côte d’Or

Chaque année, l’Hôtel Burrhus de Vaison-la-Romaine propose à une trentaine de structures du champs des arts visuels d’inviter un artiste dont les œuvres sont présentées dans l’une de ses chambres. En décembre 2018, Les Ateliers Vortex proposaient donc à Marion Lemaître d’y participer.

« Courant décembre, l’hôtel Burrhus affiche complet afin d’accueillir artistes, galeries, centres d’art, collectionneurs et associations en prenant les allures d’une mini-foire d’art contemporain, Supervues. Environ trente-cinq artistes sont sélectionnés afin de montrer ou de faire découvrir leur travail. Chacun dispose d’une chambre tirée au sort et numérotée, avec l’opportunité d’habiter le lieu comme il le souhaite. Seule contrainte : garder le lit afin qu’il puisse être logé dans l’hôtel. Une « carte blanche », une occasion de métamorphoser une partie de notre quotidien et de séjourner dans l’intimité d’une œuvre d’art. La complexité des rapports entre la création et l’espace domestique se dévoile.
Durant un week-end, le public est invité à rencontrer les artistes exposés, en découvrant un hôtel qui diffère des autres, un lieu proposant des échanges rares. Burrhus se transforme alors en plateforme culturelle, créant une mise en réseau entre artistes, galeries et collectionneurs où conversations et débats sur l’art contemporain se multiplient. »

« Intuitivement, par la dynamique créée entre expérimentations et réflexion, il me semble que le travail de Marion Lemaître rejoint un des principes formulés par Paul Klee : le travail artistique doit désormais trouver son origine, son « point de commencement » dans le contradictoire, l’ambivalent. Ce qui n’est ni bon ni mauvais, parce qu’à la fois bon et mauvais. C’est dans ces termes que Klee définissait ainsi, dans l’espace pictural, ce qu’il appelait « le point gris » : « Ce point est gris parce qu’il n’est ni blanc ni noir ou parce qu’il est blanc tout autant que noir. Il est gris parce qu’il n’est ni en haut ni en bas ou parce qu’il est en haut autant qu’en bas. Gris parce qu’il n’est ni chaud ni froid. Gris parce que point non-dimensionnel, point entre les dimensions et à leur intersection, au croisement des chemins.1 »

Pierre Guislain, extrait de Autour des pierres blanches, 2016.

1Paul Klee, Note sur le point gris, texte repris dans Théorie de l’art moderne, Folio essais, Gallimard.

ЗАРЯ (Zarya)

12 octobre —
10 novembre 2018


ЗАРЯ (Zarya)

Exposition
12 octobre – 10 novembre 2018.

> Anne-Charlotte Finel <

Musique de Luc Kheradmand
Avec le soutien de l’Institut français de Saint-Pétersbourg

Zarya. Des syllabes douces comme des sucres plongés dans la chaleur bienvenue d’un thé. En alphabet cyrillique, elles s’écrivent заря et désignent l’aube ; ce point du jour qui, dans le cercle polaire, ne cesse d’advenir ou de se faire attendre. C’est aussi ce nom qui a été choisi pour nommer au moins deux bateaux qui ont connu les flots glacés et les eaux mortes des mers bordant la Sibérie.

Celui que l’histoire a retenu est un navire d’exploration polaire, préparé à l’orée du XXème siècle afin d’effectuer de longues missions de recherche pour le compte de l’Académie des sciences de Russie. Sur les photographies d’archives on lit l’aube sur la casquette des marins qui vont appareiller. Elle encercle le front de ceux qui se disposent courageusement à prendre le large et à embrasser ses dangers. On va dans les déserts comme on s’engage dans une guerre : en se rendant volontairement dans des zones où l’on peut mourir d’être simplement là. Dans ces contrées où l’immensité s’impose comme la seule échelle de préoccupation, où l’austérité est la condition même de l’épopée, où l’âpreté transforme toute vie en destin, le Zarya n ‘a connu que deux hivernages. La première année, l’équipage trouve l’archipel qu’il cherchait ; Nordenskiöld, une petite centaine d’îles froides, rêches, inhabitées car inhospitalières, ayant pour seule qualité le fait d’exister. L’année suivante, l’expédition fait cap vers la Terre de Sannikov, aperçue mais non cartographiée, entrevue sans être abordée. Bloqués par les glaces qui étreignent la coque et étouffent la progression, quatre hommes décident d’abandonner le navire. À la poursuite d’une île fantôme, ils s’éparpillent sur des icebergs à la dérive et disparaissent sans laisser d’autres traces que l’écho du mythe qui les a conduit à leur perte.

L’autre Zarya, celui que la littérature contemporaine nous apporte, et qui vient titrer l’exposition d’Anne-Charlotte Finel, est une embarcation modeste, presque anecdotique, empruntée par le journaliste et écrivain moscovite Vassili Golovanov lors de son périple vers l’île polaire de Kolgouev. Dans le livre L’éloge des voyages insensés, il raconte comment, après avoir perdu le sens, il s’est lancé dans sa propre conquête de l’inutile : la quête de l’île, son île, bien réelle, presque charnelle, d’avoir été si longtemps fantasmée. Golovanov traite de l’aventure en valorisant ses composantes intrinsèques, fondamentales, qui habituellement se dérobent sous les actions qu’elles portent et permettent : la nécessité de partager le lointain avec autrui, la difficulté d’être quelque part et la latence du départ.

Pour décrire l’ailleurs, il faudrait un autre langage ; un usage du monde qui ne craigne pas l’expectative mais, au contraire, l’estimerait. Composé de mots astucieux, pragmatiques et poétiques, il aiderait à énoncer les diverses formes que prend l’attente, ample et joyeuse, compacte et anxieuse, triste ou langoureuse ; toutes aussi délicates et différentes que les variations de la neige que savent aisément déceler ceux et celles qui ne connaissent qu’elles. Lors de son périple, Vassili Golovanov a rencontré et raconté les Nénètses, nomades qui arpentent le pergélisol, peuple en déréliction évoluant sur un territoire délité sous les directives infligées par les politiques et les menaces toujours planantes des industries. Aux abords de ceux qui vivent de campements ou d’escales, les sociétés sédentaires se révèlent entièrement dédiées aux mobilités ; organisations des flux, architectures de l’attente, hiérarchies des modalités de transports et inégalités des déplacements.

Sous ce prisme, la géographie se maille en un immense réseau d’interactions, avec pour noeuds l’homme qui tend une main pour que la montée sur le bateau autorisant la traversée soit aisée, le couple qui vend les billets dans une petite cahute, la femme qui conçoit les porte-conteneurs pour défier les mers, l‘homme qui manie la grue pour charger la cargaison, celui qui effarouche les oiseaux aux bords des pistes et celui, le saluant, qui s’apprête à soulever l’avion vers sa destination, le pilote encore au sol qui désire des horizons et celle qui écrit sur le départ, celui qui aimerait s’installer, celle qui aimerait partir, celle qui a tout contemplé, de loin, pour nous mouvoir intimement.

***

Anne-Charlotte Finel et Vassili Golovanov ont en commun d’avoir expérimenté les bords du monde et de savoir qu’ils sont régis par une physique singulière. Le Nord n’est plus à corriger puisqu’on le porte en soi telle une aspiration, la lueur se traduit en mouvement, l’espace devient le temps et se cristallise, dur comme ces deux morceaux de sucre réservés pour le thé. L’observation change celui qui observe.

Dans les oeuvres présentées dans cette exposition, Anne-Charlotte Finel reste à quai et c’est dans la distanciation que le déplacement semble envisagé comme un changement d’éclairage sur les choses. Le travail de l’artiste s’exprime dans cette exacte zone de transition où la lumière devient une texture ; la technologie y est poussée dans ses retranchements, l’oeil, en compensant, affûte l’imagination, les états liminaires se manifestent dans les flocons sombres de l’image. Lors de son voyage Anne-Charlotte Finel a vu de la neige véritablement noire en façade maritime. Etait-ce un moment charnière, un catalyseur, une coruscation ? La couleur a depuis surgi. Elle commençait d’ailleurs à poindre dans ses récentes vidéos ; les jardins souterrains, piégés de devoir agrémenter les couloirs du métro parisien, y libéraient l’écarlate des feuilles et se rêvaient en jungle.

Avec заря, c’est un monde technologique et industriel qui se trouve examiné, en retrait et avec pudeur, comme si c’était la première fois qu’il était appréhendé. À l’aube de ce regard, dans une temporalité chamboulée qui enchevêtre le jour polaire, la nuit des temps et l’ennui existentiel, les appareils qui façonnent le monde tel que nous l’éprouvons aujourd’hui se montrent : la longue vue, prémisse et complice de toutes expéditions, le bateau qui mouille, le train qui passe et l’avion dans lequel on n’est pas monté, la roue esseulée et la voiture nonchalamment garée ; les humains à côté, relégués aux marges.

Dans les confins, les situations les plus banales prennent une dimension tragique et, pour qui s’y confronte, le dépaysement s’apparente à un désoeuvrement. Dans la grande acuité qui réside dans l’éloignement, amplifiée par la brutalité des paysages, éclatent la solitude de l’humain, la précarité du sens et la fragilité de l’équilibre. Le monde se fait-il sans eux ? Le monde advient-il sans nous ? Il y a cette question, l’alcool et la nostalgie, l’ombre de l’atome et la peur de l’effondrement.

Une mythologie, récemment née sur une autre côte, souffle que l’humanité est uniquement nécessaire pour polliniser les machines. L’espèce serait apparue pour permettre aux outils de s’améliorer, du silex au satellite, et, dupe, elle se cantonnerait à n’être qu’un vecteur d’évolution pour les appareils qu’elle croit employer. Les espaces en mutation sont propices aux mythologies inédites ; les humains s’y déplacent, migrateurs aux ailes parfois cassées, comme des oiseaux des berges, les engins butinent le sol, les avions chrysalides se préparent à éclore à l’atterrissage.

Le voyage est à envisager comme un de ces espaces. Un endroit de la mutation de l’individu, un lieu où on devient un autre en se rapprochant de ce que l’on a toujours souhaité être, où l’on se découvre insulaire, plus vraiment domestiqué ni tout à fait sauvage, où la beauté de ce que l’on voit est une force qui nous emplit, une confiance recouvrée. Comme on nous l’avait dit, mais on ne pouvait tout à fait y croire, aux extrémités du monde, c’est terrible et merveilleux d’être ensemble, d’être seul ou d’être soi puisque au bout du voyage, il n’y a que le voyage et une insatiable envie de plus de terre et de plus de ciel.

Stéphanie Vidal

Stéphanie Vidal est une curatrice, critique d’art (AICA) et enseignante basée à Paris. Elle intervient à l’intersection entre l’art, la technologie et l’information. Elle est actuellement commissaire en résidence pour l’année 2018 à la Maison populaire de Montreuil, en périphérie de Paris.


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Photographies : © Cécilia Philippe, 2018

HORS PISTE

9 —
29 septembre 2018

HORS PISTE

Exposition
7 septembre — 29 septembre 2018

> Romuald Dumas-Jandolo <

Né en 1988,
Vit et travaille à Caen, Paris et Marseille.

CHAOS VAINCU (K-O 20 Q)
Jean-Christophe Arcos

« Lorsqu’il s’agit d’intemporel, de légendaire (…), que l’on tende hardiment l’arc de l’imaginaire! L’opéra se donne pour ce qu’il est effectivement : une abstraction et une affaire d’abord formelle-esthétique.»1

Il y a des jeux d’enfants où une paire d’yeux, une touffe de poils, un sabot fendu, apparaissent au milieu d’une forêt de pointillés ; une fois reliés, l’image se dévoile dans un labyrinthe de courbes et de traits mal assurés. La ligne recouvre le point, chifoumi c’est elle qui gagne.
Romuald Dumas Jandolo prend le scénario à revers ; l’attente n’aboutit pas à un chemin de Damas linéaire au terme duquel surgirait une révélation. Si déroulé il y a, si composition il y a, le roulement et le composite en sont les brigadiers. Trois coups, au début, le rideau s’ouvre, et, dans le train fantôme, toute sinuation sera la bonne – de toute façon ça va dérailler.
Les mois qui ont précédé cette exposition, l’artiste en a brûlé les étapes : une station en céramique (il tombe pour la première fois), une station au théâtre (on l’abreuve de fiel), une station sur les gradins (on essuie son visage), une station dans la couleur (on le dépouille de ses vêtements), dans le cristal (les femmes pleurent), au cirque enfin (là il nous cloue – et c’est reparti pour un tour).

Loin de se perdre, l’omnibus chaparde à chaque fois un morceau de récit, d’étoffe, de lumière : diadèmes à trois sous, griffe translucide, rayonnage de museum, dentelles poinçonnées comme des photophores, masques de terre dont les oreilles dégoulinent d’arcs en ciel et les yeux se cernent de grenat.

Il les reprendra à la fin de la représentation, y ajoutera les éléphants barbotés ici, et roule carosse, jusqu’à l’escale suivante. De stop en stop, le butin s’augmente, complexifiant le circuit à tracer d’une chose à l’autre, complétant l’échevau de couleurs sur son canevas. Mille points s’assemblent sans épuiser le mouvement (au contraire, ils le nourrissent, en restituent la chair, comme l’a senti Seurat dans son Cirque à jamais inachevé, le vide même laissant place à l’amplitude à venir).
Holi every day : rose indien complémenté d’un vert dijonnais, petit jaune phocéen et bleu de Normandie, rouge velours et l’or, partout, comme un rappel de l’artificialité du théâtre du monde, du faux-semblant des feux de la rampe, de l’envie de croire, pour un moment, à l’échange possible des richesses et des misères.

Dumas-Jandolo se rit de tout sérieux.
A la fois Ursus, Homo et Gwynplaine2, il se fait monstrueux ou grotesque, animal ou seigneur, ordre et chaos. Le rire et le tragique aussi sont nomades, du rire aux larmes, de la pesanteur d’une polka pachydermique à la fragilité d’un gant de verre soufflé. Les murs s’ouvrent de gradins béants et les tuiles tombent des toits, les menuets spectraux répondent aux kaléidoscopes de mandalas, et, dans cet apparent opéra kitsch aux pistes aussi nombreuses que les bras de Durga, l’expérience seule de la traversée permet de vaincre le chaos et les motifs3. Ce n’est qu’hors piste, qu’abstraite du vortex des narrations, que se donne la forme, et elle n’est jamais la même.

1 Oskar Schlemmer, Ancien opéra, nouvel opéra, 1929, in Théâtre et abstraction, trad. Eric Michaud
2 Au début de L’Homme qui rit, roman que Victor Hugo écrivit en 1869, Gwynplaine, enfant noble volé dont la face mutilée s’ouvre d’un sourire tracé au couteau par ses kidnappeurs, trouve refuge auprès d’Ursus, bataleur vagabond vêtu de peaux de bêtes, et de son acolyte Homo, un loup domestiqué.
3 Chaos vaincu est le nom de la saynète que Gwynplaine et sa troupe interprètent à Londres. Sur la scène maintenue dans l’obscurité, l’homme, joué par Gwynplaine, se bat contre des forces obscures, interprétées par Ursus et Homo. Il est près de succomber lorsqu’apparaît la lumière, incarnée par Dea, jeune orpheline aveugle, qui l’aide à vaincre définitivement le chaos. Mais la lumière éclaire aussi le visage déformé de Gwynplaine. Le choc suscité par l’apparition de cet énorme sourire déclenche une explosion de rire dans la foule. Dans son essai paru en 1984 dans la Revue d’histoire litéraire, Anne Ubersfeld interprète le rire qui clôt la description de la pièce comme le fait que la vraie victoire sur les monstres et la mort serait le rire grotesque.

www.romualddumasjandolo.com


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> Lien vers la performance <


Photographies : © Cécilia Philippe, 2018

Crédits de réalisation : Stef Bloch – Filmmaker