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THOMAS FONTAINE

Né en 1980,
vit et travaille à Dijon.

ESTHÉTIQUE
DE LA VIOLENCE

«Le mouvement de l’amour, porté à l’extrême, est un mouvement de mort…»
Georges Bataille, L’Érotisme

Il est rassurant de constater pour un philosophe qu’en ces temps de «political correctness» importé, un artiste ose encore défier l’évidence, et s’affirmer pas à pas dans un authentique et créatif face à face avec la violence. D’ordinaire celle-ci n’est quasiment jamais vraiment conceptualisée ni même effleurée sinon pour rejouer la scène pathétique du Bouvard et Pécuchet de Flaubert: «tonner contre!»

La violence n’appellerait ces jours ci et ce, pourtant bien après Freud et Bataille, Deleuze et Foucault, qu’un seul traitement, celui de l’opprobre, purge des Diafoirus médiatiques administrée au peuple sagement assemblé devant son petit écran. Quelques complaisances également là pour flatter notre voyeurisme ne feraient naturellement dans leur trop apparente exception que confirmer la règle: la violence c’est mal.

L’on s’attardera alors avec délectation comme on le fait chez Marina Abramovic ou Fabrice Gygi, devant les pièces de Thomas Fontaine qui tour à tour évoquent, incarnent, flattent ou déconstruisent, cette ou plutôt ces violences qui nous constituent comme contemporains. Car, et le pluriel est d’importance, ce sont bien de nos violences dont il s’agit dans ces œuvres là.

Celle d’abord d’une société du contrôle qui semble bel et bien avoir fait du Panoptikon son modèle absolu. Cartographies non du Tendre mais de la surveillance tous azimuts dans laquelle nous vivons et qui sous couvert de détermination frontalière rejoue sans cesse la triste comédie de notre enfermement, «les nations c’est de la glue» disait Cioran. Ces territoires qui rassurent autant qu’ils emprisonnent donnent à ce jeune créateur l’occasion de déployer plastiquement ce mécanisme d’oppression à l’apparente innocence mais de l’île d’Utopie aux camps d’internement nous savons historiquement hélas qu’il n’y a qu’un pas pour peu qu’on s’intéresse moins aux hommes tels qu’ils sont, mais davantage à ce qu’ils devraient soit disant être; quitte à les faire entrer de toute force dans des paradigmes inadéquats.

Thomas conçoit alors son terrible atlas comme la projection plastique d’un gouvernement par la peur comme Buzzati en littérature nous livrait les dessous de sa citadelle, au royaume de la haine de l’autre, les tyrans sont toujours rois. De même, les tentures murales du Trianon peuvent bien vanter les mérites des scènes exotiques à la mode, elles n’exhibent jamais que l’horrible trophée du commerce triangulaire. Et rien d’étonnant alors à ce que l’évocation sous forme de papier peint choisie par l’artiste du navire négrier colle ainsi parfaitement à la peau de cette infamie historique. Les souffrances et les violences les plus inimaginables convoquées pour la joliesse et le confort des boudoirs.

Mais, il y a plus encore dans ce travail polymorphe et notre esprit hors de tout contrôle ne peut guère échapper par exemple à la fascination de ces pendeloques enchaînées. Sortes de punching-balls sadomasochistes dont les matières brillantes et douces saillent sous la pression d’un enchaînement qui se donne à voir, comme si l’alliance des solides maillons de fer et des vinyles ajoutait encore, et pour notre plus grand plaisir, à leur apparente soumission.
Mises en scène dans l’inquiétante mobilité des pendus, ces grosses masses enserrées suscitent bien des fantasmagories que l’on refoulera en vain comme devant ces drôles de potences de Fabrice Gygi ou ces antiques peintures du martyr de Saint Sébastien dont bien avant la psychanalyse on reconnaissait déjà le sulfureux pouvoir d’évocation.

C’est d’ailleurs là le secret des authentiques créateurs visuels, jouer de ce pouvoir chamanique de résonance plus que du seul raisonnement, laisser advenir des images suscitées comme invitées à répondre intimement en nous à l’œuvre présentée, œuvre qui devient alors davantage une occasion à penser qu’un moment déclaratif. Ruse de l’artiste qui en évoquant, (on oserait la très lacanienne expression dans le contexte: «avec l’air de ne pas y toucher»), la violence en nous, la dévoile bien mieux qu’en l’illustrant.

Enfin le travail de Thomas Fontaine commencé lors de ces jeux de crânes que n’aurait pas désavoué le Ingmar Bergman du «Septième Sceau», s’installe également de plein pied avec la violence inhérente à notre condition humaine, celle d’une mort qu’il nous faut bien reconnaître même au temps des marelles.
La partie commence avec la camarde dès notre être au monde et se poursuit jusqu’à son irrémédiable triomphe. Et c’est peut être dans la prise en compte sérieuse de cette conscience tragique de notre destinée que l’artiste dévoile son plus grand héritage à Bataille. Car la cruauté de notre regard comme les farouches excès de nos fantasmes les plus enfouis ne se saisissent que dans l’horizon de cette catastrophe annoncée qu’est notre fin.

Toutefois, rien de complaisant dans cette œuvre si prometteuse dans sa radicalité, ni de funèbre d’ailleurs, comme si le souci des formes abouties et des matières maîtrisées permettait toujours à la jubilation de créer de l’emporter sous tout autre sentiment.

En somme, Thomas Fontaine nous inviterait à habiter son univers où le souci délicat de la finition tiendrait tête, en une douce ironie, à la conscience la plus aiguë de notre finitude.

Le goût d’un travail châtié en quelque sorte…

 — Laurent Devèze


LÉGENDES


1
Caucase
Moulage en grès noir, chaîne et accastillage
dimensions variables
2016


2
Gabion
Accumulation de sacs de sable
dimensions variables
2016
pièce co-signée avec Fanny Durand


3
Les grands ensembles
cinq moulages en grès noir posés sur miroir
45 x 57,5 x 35 cm
2015


4
Obsedere
Six moulages de crâne en faïence blanche, structure en bois
65 x 65 x 30cm
2015


5
Azimuts Aléatoires
Vue d’exposition
Centre d’interprétation Alésia, Alise-Sainte-Reine
2016


6
Delta Charlie Delta
Drapeaux polyester, mâts
300 x 260 x 280 cm
Appartement Galerie Interface, Dijon
2012


7
Esprit de corps
Dispositif sonore, grosse caisse, moteur,
programmateur électronique
60 x 60 x 60 cm
Appartement Galerie Interface, Dijon
2012


8
Grand Quadrille
dessin mural
200 x 320 cm
Appartement Galerie Interface, Dijon
2012


9
Victoria
Tessons de bouteilles de bières, néon
120 cm de diamètre
Appartement Galerie Interface, Dijon
2012


10
Dig
Moulages de crâne humain en plâtre
creusés à la fraiseuse électrique
Musée des Beaux-Arts de Dijon
2010