Catégorie : 2021
ACIDE
15 octobre —
20 novembre 2021
ACIDE
Exposition
Du 15 octobre au 20 novembre 2021
> Sarah del Pino <
J’avais la veille fait tomber de l’échelle une vieille bouteille d’éther
explosa au sol nous électrisant tous
dans les épaules
dans les éthers, l’étiquette jaune, les pictogrammes défaits
une fumée vieille, très loin dans les ères
une fumée jaune partout au sol et sur la main, sur le chemin pour descendre, changeait de couleur
avec la chaleur
(l’effervescence) du béton des fleurs gonflaient…
selon mon angle, le sien, je m’imaginais les couleurs
que je prenais dans ce nuage et
vu du bas…
…ses bulles sauvages et ses éthers, ses bouteilles d’éclairs… ses vieilles pierres
à muter faire surface,
des fontaines, des meurtrières,
à sourdre. (des rondes noires au sol se levaient des masses sourdes)
quelle force les poussait ?
je cherchais… un mécanisme, une sorcellerie, la règle d’une
divination
la chimie de ces murs
où j’aurais pu entrer…
coincé mon regard à la sortie d’un trou, comme à un serpent le terrier.
Là, verticale et maudite, une eau vieille et numérique
sorceleuse
tournait,
(coagulait et semblait ralentir)
l’eau bleu d’un tournesol
tournait
en une eau rouge, protique, grumeleuse
des effluves entre nous, glacées, vernies, vitrées
s’échangeaient…
des branches d’hiver de sureau, givrées
une nuée froide entre nos yeux
continuait de brûler les graisses de mon cerveau.
…m’est alors venu d’y jeter quelque chose (nous étions ensemble le mur et moi)
trouvant donc
au mur un puits
(ou cette fontaine acide d’où sortiraient les pierres)
Valentin Degueurce
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> Conversation du 20 novembre 2021 <
Photographies : © Siouzie Albiach, 2021
IN TWO II
17 février —
03 mars 2021
« PEAU AIME » DE JULIETTE BUSCHINI ET THÉOPHILE SARTORI
TRASHPOP MASHUP PAR NICOLAS THIRION
EXPOSITION ET PIÈCE SONORE
Exposition 17 février – 03 mars 2021
Ce deuxième opus de la série IN TWO réunit Juliette Buschini et Théophile Sartori, rencontre d’artistes à la complicité plastique et aux références communes – artistiques comme profanes – indéniables.
Si Juliette Buschini entretient avec le médium pictural un rapport presque exclusif, le champ de son répertoire est, quant à lui, beaucoup plus vaste. Traversé par la dualité, son travail est tout à la fois malicieux, mais sérieux, spontané, mais réfléchi, trash, mais sophistiqué, trivial, mais érudit. Puisant dans la culture populaire ses références textuelles et iconographiques, elle projette sur la toile couplets de tubes, slogans publicitaires, et punchlines du moment, établissant avec le regardeur un rapport de complicité et convoquant une forme de musicalité référentielle. Sa pratique de la peinture, mêlant urgence et rapidité, se traduit par une économie de geste. En résulte une sélection impitoyable, basée sur l’affect, des toiles ainsi produites.
Comme elle, Théophile Sartori est animé par le besoin impérieux et immédiat de produire. Exerçant sur ses pièces un geste libérateur, il gratte, ponce, érode, arrache, et révèle la tessiture de matériaux souvent jugés communs et dénués de valeur. Témoignant de son intérêt pour leurs différentes strates et d’un goût tant vengeur que délicat pour l’altération et la contrainte de la matière, ses œuvres s’observent à la manière d’un palimpseste. Son travail, marqué par une économie de moyen et de geste, trahit une forme de mise à nue ; une sincérité sobre et sans arrogance.
Composée au son – plutôt brutal – de leur répertoire musical commun, l’exposition de Juliette Buschini et Théophile Sartori aux Ateliers Vortex dévoile toute la subtilité d’un jeu de teintes et d’échelles en harmonie, et leur réflexion commune sur la façon d’investir l’espace à la manière d’un paysage.
En résonance avec leur proposition plastique et leur attrait commun pour un répertoire musical éclectique, Juliette Buschini et Théophile Sartori choisiront chacun 5 morceaux mêlant punk et soundtracks populaires. Nicolas Thirion, musicien et compositeur, interprètera ce mash-up sonore dans l’espace d’exposition des Ateliers Vortex. Cette performance live fera l’objet d’une captation vidéo, diffusée sur Youtube et les réseaux sociaux.
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Photographies : © Les Ateliers Vortex, 2021
IN TWO
27 janvier —
10 février 2021
CHARLES THOMASSIN ET MARION LEMAÎTRE
JAMES TENNEY PAR ANNE BRISET
EXPOSITION ET PIÈCE SONORE
Exposition 27 janvier – 10 février 2021
> Marion Lemaître <
> Charles Thomassin <
« Marion, Charles, Qu’est-ce que l’entropie ? Il y a beaucoup de façons d’expliquer ce processus. Je choisis, pour ma part, un exemple : nous faisons un tas de sable sur la plage, ou un trou dans le sable, cela revient au même. Le tas ou le trou, et tout ce qui les constitue, sont à un endroit de la plage bien localisable. En termes de physique, on dira que la plage constitue un ensemble ordonné : à tel endroit le tas ou le trou, ce que les constitue ; partout ailleurs, rien qui soit en rapport avec ce que nous avons produit. La marée monte. Le tas de sable ou le trou dans le sable disparaissent progressivement. L’ordre qui existait commence par décliner : ce qui était là est désormais, pour une part croissante, ailleurs, c’est-à-dire vis-à-vis de l’ordre qui existait, n’importe où. A la fin, il n’y a pas plus de raison de chercher la trace de ce que nous avions produit ici que là, sur la plage. L’entropie est alors maximale. Car l’entropie est la mesure d’un état de désordre dans un ensemble ordonné.
L’entropie mesure aussi la diminution du niveau d’énergie dans un ensemble clos, séparé de son environnement. Le tas de sable ou le trou dans le sable ont été produits grâce à une dépense d’énergie musculaire de nos bras. On pourrait dire que cette énergie, en tant que nécessaire pour que le tas ou le trou agrègent, d’une certaine façon, des grains de sables et de l’eau, tenant ensemble, a été comme incorporée à cet ensemble de sable et d’eau, à la forme qu’ils constituent. Quand la marée monte, cette énergie ne suffit plus à maintenir la forme qui peu à peu s’effrite, disparaît. Lorsque la forme a disparu, l’entropie, comme mesure de la diminution de l’énergie contenue dans un système, atteint son maximum.
L’entropie est et n’est pas une fatalité. Elle l’est parce qu’il n’est pas possible de la stopper. Au mieux, on la ralentit. Mais le terme reste, inévitable. Elle n’est pas fatale parce que le processus de l’entropie – on pourrait parler paradoxalement de force entropique – peut être retourné contre lui-même. C’est-à-dire que ce qui désordonne va être utilisé pour réordonner ; ce qui supprime l’énergie va être utilisé pour produire une nouvelle énergie. C’est ce qu’a fait Robert Smithson. Smithson utilise le processus entropique qui détruit l’ordre d’un paysage, qui supprimant l’énergie qu’il contient, l’amène vers la mort, l’immobilité lunaire. Il l’utilise contre lui-même, en créant des formes à partir d’un état de dégradation (de l’ordre et de l’énergie) déjà très avancé. Smithson utilise pour cela essentiellement des minéraux, des pierres, des cristaux, parfois aussi des éléments empruntés au monde industriel. Des pierres, avec des faces taillées, appartenant à différents mondes historiques et géologiques, tenues et soutenues parfois par des éléments de métal qui viennent du monde de l’industrie, du chantier, du travail, c’est bien ce que tu utilises, Marion, lorsque toi-aussi tu retournes le processus entropique contre lui-même ?
Ed Ruscha, par d’autres moyens, picturaux, ou dérivés du pictural, a opéré le même retournement vis-à-vis d’un aspect de l’entropie qui ne regarde plus la physique mais les processus de la communication. Dans ses peintures, Ruscha utilise des signes très dégradés dans leur capacité de signifier : Hollywood, Boss, Ouf, Standard, Adios, etc. Les mots, mais aussi les images, dès lors qu’on les utilisent comme signes, s’usent, se dégradent, deviennent « bruit » (bruit linguistique ou bruit optique), à mesure qu’on les utilise, pour tout et pour rien, jusqu’à n’être plus que des rebuts, déchets du processus communicationnel, flottant à sa surface. Mais il suffit de récupérer ces bribes de sens, avant leur disparition, de les agencer, les « serrer » ensemble, dans un nouveau processus communicationnel, un processus non plus épuisé, mais actuel, toi, moi, lui, pour retourner la puissance entropique contre elle-même. N’est-ce pas ce que tu fais, Charles, avec des fragments d’affiches, d’imprimés, agrégés à des mousses, serrés par des sangles ? Tiens, encore ce qui vient du travail : sangles de déménageur, d’assembleur de mobilier.
L’épidémie accélère l’entropie qui désagrégeait toujours plus vite et profondément tout ce qui, avant elle, ne tenait plus que par miracle, dans notre si vieux monde : partis politiques et syndicats, démocratie parlementaire, institutions, et en premier lieu les écoles, structures dites culturelles, etc. Tout demeure et peut demeurer longtemps par simple inertie, comme un vêtement de travail qui a force d’être porté garde la forme du corps absent. Quoi ensuite ? Du pire ou du meilleur, cela ne dépend que des hommes. Marion, Charles, qu’est-ce que l’entropie ? Réussirons-nous ? »
Pierre Guislain, 2021
Pierre Guislain est professeur de philosophie à l’Ecole Nationale Supérieure de Dijon, enseignant de philosophie à l’Université de Bourgogne, auteur de plusieurs livres sur le cinéma.
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Photographies : Les Ateliers Vortex
PROSPECTIVE PARESSEUSE
3 septembre —
2 octobre 2021
PROSPECTIVE PARESSEUSE
Exposition Du 3 septembre au 2 octobre 2021
> Cédric Esturillo <
Ambiance post-indus. Vous passez une grande porte grise et traversez un corridor grillagé. Au bout, un escalier de métal. Vous l’empruntez, et en gravissant les marches cernées de bâche, vous vous sentez l’âme d’Amanda Ripley, errant dans la station Sébastopol en quête d’une boîte noire. Un peu inquièt·e, vous guettez ce qui vous attend en haut de ces marches, et à mesure que vous montez, vous apercevez une forme massive, grise et rouge, qui vous surplombe. Vous entrez dans « Prospective Paresseuse », exposition de Cédric Esturillo aux Ateliers Vortex.
Vous regardez autour, en quête d’indices. L’époque des objets qui vous entourent est mystérieuse, l’atmosphère est lourde. Il fait rouge et gris, la lumière est bâchée. Des formes à la fois minérales et organiques sortent de terre. Vous faites toujours face à la sculpture qui vous a acceuilli·e, I.N.R.S.M. , sorte d’autel-comptoir-cheminée semblant fait de pierre, orné d’un bas-relief fait de mains coupées, fraîchement saignantes. Doigts et crêtes torturées émergent carrément du comptoir, poussant sous sa surface – serait-ce le malheureux destin de celleux qui ont érigé ce monument, ou bien une mise en garde ? Des pics vous surplombent, cerclant la cheminée de cet étrange monument. Vous vous approchez quand même, découvrez que la pierre n’est autre que du bois peint et une étrange céramique posée sur le comptoir…. preuves autant que troubles pour la quête temporelle que vous menez ici. Êtes-vous face à des restes d’une civilisation disparue ? Rien n’est moins sûr.
En parcourant l’exposition, vous vous rendez bien compte que I.N.R.S.M. a donné le ton. L’espace alentour semble s’organiser avec un motif commun. Formes et objets se répondent, leur provenance et leur datation sont ambiguës. Sorties de terre ou embarquées d’un ailleurs avec leur sol, les sculptures de Cédric Esturillo mélangent et citent des esthétiques distinctement reconnaissables – mobilier gallo-romain, architecture industrielle, medieval fantasy ou dark science-fiction – pour néanmoins semer la confusion dans nos esprits. De quoi, de quand, ces sculptures sont-elles témoins ?
Tout semble presque en ruine, figé dans la raideur du MDF et de la couche de peinture effet pierre. Sauf que cela semble bouger, que la chair rouge du bois teinté entame une sortie de sa pétrification, tel l’entrelacs de mains de Nostromo. Sous la pierre, un charnel à vif presque cronenbergien fait muter les décombres. Ceci dit, cette même main, à peine sortie, se trouve réceptacle de chaînes et d’agglomérats de coquillages. La transition semble alors permanente, pierre devenant chair devenant reliquaire. A force de trouble, on comprend bien que dans « Prospective paresseuse », le temps est donc bien une donnée centrale, autant que celle de la fiction.
La question du quand se double alors d’une quête des secrets que renferment les objets. Disséminées dans l’exposition, elles-mêmes posées sur d’autres œuvres, des céramiques aux allures de parasites aliens gothiques renferment des fioles de sérum physiologique, devenu un précieux liquide encapsulé dans son écrin. Un liquide aujourd’hui aisément acquérable devient alors une fiole magique. À quel moment est-il donc devenu une denrée si rare qu’on en fait une inestimable relique ? Se dessine alors le scénario d’un futur post-apocalyptique, où l’eau, même salée, ne se trouve plus qu’en fioles, où pollution, fumigènes et pourquoi pas tempêtes stellaires ne laissent à nos yeux aucun répit.
Quelque chose s’est passé, qui ressemble plus à une usure qu’à une déflagration. En témoignent les lambeaux de bâche pendant aux barreaux déformés de grilles qu’il nous semble avoir déjà vues à l’entrée du site. Dans ce futur, plus ou moins proche mais définitivement rétro, la joaillerie bon marché nineties se charge de spiritualité. On jette une pièce dans le réceptacle de Billie – bénitier de céramique aux allures de divinité aquatique – et on souhaite de tout cœur que l’avenir ne soit pas trop sombre, l’environnement trop hostile à la vie. Des traces en subsistent, l’habitation est possible. Il y a encore quelqu’un dans le vaisseau : une table nous attend.
La table appendice n’est néanmoins pas très rassurante, sous son allure de mobilier mutant. Sa base coralienne et son plateau-placenta donnent l’impression qu’elle est prête à engloutir ce qui s’y trouve. Dessus, un cendrier et des verres en métal nous laissent pourtant penser que l’on pourrait s’y installer, ou que quelqu’un·e vient tout juste de quitter les lieux. Au design rudimentaire, semblant avoir été fait dans des pièces automobiles, ces objets usuels laissent penser à un futur plus rafistolé qu’high-tech et clinquant. Se pourrait-il que les verres contiennent « L’Épice », substance aussi rare que précieuse en provenance d’Arrakis ? Le cendrier, quant à lui, fait aujourd’hui figure d’anachronisme dans un lieu public. Mais qu’importe, installons-nous confortablement dans un futur post-apocalyptique eighties. La boucle serait bouclée, on reviendrait sur nos pas dans la base Sébastopol, avec ses cartes à puces et téléphones filaires. La prospection aura été courte, puisqu’elle nous aura ramené·e·s dans le temps. Il semble cependant quelque peu risqué de se complaire dans la rétrospection – la créature rôde toujours dans les couloirs.
Au cœur de cette atmosphère rétrofuturiste sombre, Cédric Esturillo nous donne précisément à réfléchir sur l’idée que l’on se fait du futur et sur les représentations dont cette projection est pétrie. Ses ruines et reliques sont elles-mêmes des représentations, aussi dark que pop, et hybrident des codes visuels couvrant plusieurs siècles. Plus que le futur, nous nous trouvons dans le décor que la science-fiction et la fantasy lui ont imaginé il y a de cela plusieurs dizaines d’années. C’est dystopique mais rien ne s’effondre, à part peut-être notre prise sur le réel et sur le temps présent. Nous voilà donc coincé·e·s dans une reconstitution de futurs qui ne sont pas advenus, un cimetière pop. C’est alors là que la prospection relèverait d’une certaine paresse, que le titre élusif et oxymorique prend tout son sens. La proprension à imaginer le futur se retrouve, telle cette chair imbriquée dans la pierre, cantonnée à recycler le passé comme un style qui évoquerait, de fait, un rétrofuturisme. Serait-on en train de constater la « lente annulation du futur » formulée par le philosophe Mark Fisher ? Hanté par le passé, imbibé de « nostalgie formelle », le futur bouclerait, perdant de sa substance à chaque révolution. Indolemment, on accepterait alors de se laisser couler dans le reconnaissable, quitte à ce qu’il soit sombre et inhospitalier.
Entre de divers et lointains dark ages, et le pendentif dragon star des nineties, on pourrait presque y croire. Sauf que quelque chose coince, il y a un grain de sable dans ces rouages nostalgiques. On se pique à un chardon sec et l’on se réveille. Nous l’avons dit, nous sommes dans un décor, une fiction, qui assume pleinement sa facticité comme la peinture pierre affirme son trompe-l’oeil. Mais loin de nous offrir une fiction purement dystopique ou bien même un constat d’un monde en dérive, Cédric Esturillo nous ouvre une brèche, pour ne pas sombrer dans une torpeur certes rassurante, mais mortifère. Dans le futur de « Prospective Paresseuse », les choses bougent encore. Le corps n’est ni augmenté par la technologie, ni par une substance extraterrestre, mais il fait tenir les choses entre elles. Mieux, il en sort, à vif et grouillant de vie. On trouve là une forme de spiritualité, de lien entre matière vivante et inerte, que les céramiques reliquaires ne viendront pas contredire. Et si les sculptures peuvent sembler des tombeaux, elles sont pour autant déjà devenues le socle d’autres histoires, accueillant d’autres sculptures ou devenant mobilier.
Dans l’exposition, formes, objets et matières sont, plus qu’en mutation, en transition. Le serpent qui a abandonné sa mue dans Shai-Hulud peut alors se lire comme un signe, celui d’une perpétuelle transformation. La magie que l’on nous sommait de chercher en introduction ne réside peut-être pas dans un artefact, et sa quête est peut-être vaine. Néanmoins, les possibilités restent ouvertes pour sortir de notre torpeur, et c’est peut-être cette idée de mouvement, de retournement des choses qu’il nous faut continuer de chercher.
Carin Klonowski, septembre 2021
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> Conversation du 2 octobre 2021 <
Photographies : © Siouzie Albiach, 2021
HYPERCONTRÔLE
7 mai —
19 juin 2021
HYPERCONTRÔLE
Exposition Du 7 mai au 19 juin 2021
> Antoine Nessi <
Je vais être transparent avec vous. Ça fait quand même un paquet d’années que je travaille dans cette boîte. Au bout d’un certain temps, on commence à en avoir vu pas mal… Ici, on fait toutes sortes de conduits pour transporter les gaz, des vannes, des valves, des tuyauteries, tout ce qu’il faut pour diriger les flux, et que ça supporte les fortes pressions. Nous aussi, de la pression on nous en met un peu. Il ne faut pas qu’il y ait une milligoutte de travers, vous imaginez bien. Pour ça, on a toutes sortes d’examens, de vérifications, de mesures. Ici, l’ordre, c’est l’ordre. Dans une chaîne de production, il y a une place pour chaque chose. Rien qui dépasse. Normalement, je dis, normalement. Les flux de gaz, comme les matériaux, comme les informations, ça se distribue, ça se filtre. C’est une profession. Par exemple, les décisions viennent d’en haut, l’exécution reste en bas. Les intérimaires ici, les salariés là. Fraiseuses, meuleuses, tours à métaux : là-bas, là-bas, là-bas. Moi, dans tout ça, je suis manager. J’organise les corps, je décompose le travail. Je rythme. La main, la tête, les pieds. Ensuite, chacun se débrouille pour remplir sa mission. La qualité, c’est la confiance dans le capital humain avant tout, il faut jamais l’oublier. Cela dit, j’ai plutôt l’habitude de l’ingratitude, voire de l’impertinence. Ça arrive. Et j’en ai vu des choses pendant toutes ces années, comme je vous dis. Mais alors, il y a quelques jours, j’ai remarqué un comportement suspect que j’avais encore jamais vu. Là, on tient un sacré coquin. On dirait qu’il est venu exprès pour nous faire tourner bourrique. Ce qu’il fait, c’est très simple. Quand je suis là, il travaille, et plutôt bien. C’est dès que j’ai le dos tourné que ça part en vrille. Il va fouiner dans les poubelles pour retrouver des ratés de la chaîne, il s’en met plein les fouilles. Puis il se met à bidouiller des trucs, là, pépère. Non, mais on rêve, vraiment. J’ai bien repéré comment il procède. Il croit qu’il peut se mettre à cachotter quand je ne le vois pas, sauf que moi je vois tout. Faut pas croire. Il cherche une faille dans les contrôles de personnel, un moment d’absence, et hop il va piocher dans les rebuts de production. Pas gêné. Puis il se faufile en bout de chaîne pour faire ses petites baroqueries. Et ça sculpte en douce, et ça machine des trucs. Lui, il passe son temps à faire l’artiste pendant que les autres ils bossent. Ça me faire sortir de mes gonds. Je me demande vraiment à quoi je l’emploie, celui-là. Et qu’est ce que je peux y faire ? Faute professionnelle ? Délit de création ? Jusque là il a réussi à être discret, parce que justement il manipule les mêmes choses que les autres. Il a beau s’installer son petit atelier perso, cet atelier c’est le nôtre. À tous. Il utilise nos matériaux, nos formes, nos outils, nos techniques. Nos figures, mêmes. Ici, on ne peut pas se réinventer, c’est pas possible. Tout ce qu’on touche, tout ce qu’on fait, ça vient de l’entreprise, ça ressemble à l’entreprise, ça sert l’entreprise. Malgré ça, avec son air de rien, avec son air de faire comme les autres, il est quand même en train de tout nous mettre sens dessus dessous. Il dérègle le process, il fait foirer ma chaîne de production, il déconcentre mon équipe. Et en plus, le pire, c’est qu’il arrive à intriguer ! Tellement que je vais plus savoir quoi en faire. Parfois, il demande un coup de main à ses collègues pour telle ou telle bidouille de son cru. Et ils jouent le jeu, les cancres. Les vaches. Au fond, j’ai même l’impression que ça leur fait assez plaisir.
Marilou Thiébault
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> Conversation du 19 juin 2021 <
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Photographies: © Les Ateliers Vortex, 2021
LA VEILLÉE
19 mars —
24 avril 2021
LA VEILLÉE
Exposition
19 mars – 24 avril 2021
> Mona Rocher <
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Photographies : © Vincent Arbelet, 2021