Clamoramor

Exposition
Du 15 novembre au 7 décembre 2024

 

Après cinq années d’études, les jeunes artistes diplômés de l’ENSAD Dijon sont prêts à quitter l’école, leur école, dont nous espérons qu’elle restera dans leurs souvenirs leur alma mater.

Comme il est difficile de prendre son élan, de sauter le pas, de prendre son envol !

Lydie Jean-dit-Panel et Martine Le Gac, nos professeures, ont veillé à leur accompagnement tout au long de leur dernière année, avec la complicité et l’expertise de l’équipe de Vortex, Fiona Lindron, Annelise Ragno et Olivier Lecreux. Qu’il et elles soient remerciés de leur engagement, de leur disponibilité et de leur ferveur à porter ce beau projet. Nous sommes très fiers et très heureux que cette collaboration inédite permette à nos jeunes diplômés de présenter au public leur travail dans des conditions professionnelles, pour la première mais pas la dernière fois !

Nous joindrons nos voix à celle de René Char pour leur souffler à l’oreille :

« Impose ta chance, serre ton bonheur, et vas vers ton risque. À te regarder, ils s’habitueront »

— Amel Nafti, Directrice de l’ENSAD Dijon.

 

« Ce qui m’intéressait, ce n’était pas du tout de fixer les athlètes en plein vol, mais plutôt le moment précis, juste avant, où ils prennent leur élan, le point de non-retour. »

Werner Herzog, à propos de ses photographies prises avant le tournage de « La grande extase du sculpteur sur bois Steiner », documentaire sur le champion de saut à ski suisse Walter Steiner.

Sortir d’une école d’art un beau diplôme en poche n’est pas si simple. S’élancer dans le grand dehors, et endosser le statut d’artiste ressemble à un combat. Une lutte permanente avec soi déjà, avec ses obsessions, ses doutes, les milliers de références acquises, avec la réalité.

Un petit tremplin semblait nécessaire. C’est pourquoi, avec les ateliers vortex, il nous a paru essentiel d’organiser une exposition des diplômé.es de l’ENSAD Dijon, précédée d’un temps de résidence, pour un accrochage pensé collectivement. Une conjugaison au plus juste des préoccupations de chacun.e avant le partage avec un public.

Il a fallu trouver un titre à cette exposition. Un titre qui leur ressemble. CLAMORAMOR. Un titre qui résonne. Telle la CLAMEUR vive et persistante entendue dans leurs ateliers faisant écho aux lancinants bruits du monde. Et puis de l’AMOUR, bien sûr. Évidemment. Autrement, à quoi bon.

— Lydie Jean-Dit-Pannel, Artiste enseignante à l’ENSAD Dijon.

 

Pourquoi jeter ? Tout le monde peut jeter. Mais tout ne se jette pas, c’est l’art du réemploi. Beaucoup d’œuvres présentées ici en font état.

Et pourquoi se jeter ? Tout le monde n’ose pas se jeter. Rares sont ceux qui osent se jeter dans le grand bain du monde. De jeunes artistes l’ont tenté. Il faut oser faire un pas, au risque de la chute brutale, de l’évidence de l’absurdité du réel. Un réel qui ne nous épargne pas, qui déclenche de la violence, l’hostilité des foules, l’écrasement des humains et la destruction du vivant.

Peut-on encore être jeune dans un monde qui peu à peu se perd et se délite ? Peut-on encore jouer avec un tel enjeu ? Au risque de se jeter pour se perdre soi-même.

Il s’agit d’affronter les sources d’angoisses contemporaines, en désacralisant l’errance, en se désensibilisant face à la mort.

Mais cette mort, de quelle nature est-elle ? Elle est aussi la mort de la faune et de la flore, conséquence d’une prédation contre laquelle est construite l’écologique.

Une préoccupation : ne pas utiliser, mais reprendre, créer des objets contre la fin, le non-retour, des objets qui renaissent et sonnent le cor de l’assaut contre une pulsion de mort mercantile.

Des intentions et des actes :

Travailler à la détérioration de ce qui dé-terre, use la terre. Déterritorialiser pour transformer les lieux. Passer outre le gouffre du déjà fait, du déjà prêt, au risque du prêt-à-poser.

Changer de territoire. Penser la réparation. Une réparation de l’intime, de la famille.

Restaurer la dignité du travail, en retrouvant la trace des ouvriers, le heurt avec la matière, en l’amenant dans l’écorce des choses.

Faire face au risque de l’événement, du non-choix, de l’imprévu devenu nécessaire préoccupation. Contrer l’effet du non-retour.

Terminer avec l’éternel dilemme du sens, revenir à la résilience en suscitant l’accident dans un monde déjà creusé par la perte et le profit.

Retourner la tendance à l’accélération d’un productivisme bureaucratique devenu de plus en plus contrôlant.

Apporter le soutien du conte ou de la fiction, raconter pour faire vibrer l’histoire.

Recycler, faire revenir de la subjectivité dans le cycle de production et d’aliénation le quotidien Regarder à nouveau la matière, tellement oubliée qu’elle en devient matériau de combustion.

Inventer la post-occupation pour une imminence grise, informe, jamais loin et pourtant si précise qu’elle hante les mémoires par anticipation.

Toucher des éléments pour les recomposer avec la certitude de l’urgence dans le temps long de la terre, sans le laisser s’éteindre dans l’oubli.

Devenir, recomposer un paysage, une urbanité, une humanité, une éco-féminité, prendre soin des corps, des vivants, ne pas s’arrêter malgré les menaces, Continuer à travailler la matière de l’espoir, sans arrêt forcé, tandis que les éléments se déchaînent au-dehors, tout autour de l’œil du Vortex.

— Pierre Ancet, professeur des universités en philosophie, chercheur au laboratoire LIR3S, CNRS – Université de Bourgogne.

 

Les jeunes artistes qui exposent ont l’âge du siècle, et le tournant que prend la civilisation les inquiète. Mais qu’on se le dise : nous sommes pris de doute nous aussi face à l’avenir et d’une agitation que la raison ne suffira pas à calmer. Qu’est-ce donc qui pourrait nous soutenir ?

Devant les pertes inéluctables auxquelles il faudrait s’attendre au profit d’une immatérialité hypnotique jusqu’à la nausée, devant le sacrifice de l’animal qui a son corollaire dans la chasse à l’homme, l’absence de réponse à des besoins légitimes de soin et de respect, les artistes regardent de près ce qui les gêne et les tourmente en l’inscrivant sensiblement dans la matière. Les objets concrets sont là, les représentations de corps, de visages, les photos et les vidéos de la nature. Le réalisme des formes l’emporte sur un esprit abstrait. Faut-il récupérer à toute vitesse l’aspect matériel des choses et les allures de ce qui vit, parce que tout serait menacé de disparition ? La décrépitude ne gît pas seulement dans les angles morts de l’existence mais dans la substance même de l’image. Au point que le débat sur le vrai de la réalité et l’illusion de sa reproduction, qui pourrait sembler dérisoire à côté du sentiment d’absurdité et d’effroi, ne fait qu’accentuer les repères qui se dérobent.

Cette course à la sauvegarde, qui est une motivation profonde de l’art depuis toujours, ne peut admettre d’être perdue d’avance. Afin de développer leur démarche et leur vision, les artistes associent les lambeaux à d’autres éléments épars, de nature très différente, parfois si éloignés dans l’espace et dans le temps qu’il paraîtrait impensable de les rapprocher mais qui, une fois reliés, montrent comment ce qui désespère est doté d’une grande énergie et que celle- ci attend d’être convertie à des fins constructives. En lui donnant des contours visuels, comme un spectacle hors de soi, quelque chose d’insaisissable prend tournure. Mieux cerné, apprivoisé, il permet de s’adapter aux chocs extérieurs tout en se confiant aux forces intérieures qui savent alimenter le courage et l’enthousiasme. Un équilibre, obtenu à coups de gestes, d’implication intellectuelle et sensorielle dans des formes et des couleurs choisies, modifie la perception.

Le réel étant scruté, si on y trouve effectivement des abus de toutes sortes, des puissances obscures cherchant à étendre partout leur domination, la maltraitance d’une société se réclamant d’un héritage obsolète, social comme économique, on y trouve aussi de formidables intuitions, le plaisir d’inventer, la poésie, des germes de justice, les relations solidaires, des pans culturels et spirituels d’une immense richesse. Le réel est un alliage surprenant. À le considérer dans sa complexité, les œuvres ne font pas que donner à voir ce qui nous trouble, elles le transfigurent. Bien que les émotions nous submergent, des ressources nous assurent de pensées fines et positives à travers l’Histoire, des témoignages, des études, des contes et légendes, des souvenirs personnels, des slogans. Livres, podcasts, interviews, dépassent la surdité des craintes et des cris et s’efforcent d’élaborer une réflexion nourrissante pour la connaissance comme pour l’âme. De longue date, les œuvres d’art bravent les temps consternants et face aux impasses proposent d’autres points de fuite, des marges inexplorées et salutaires. De la confusion sort un nouvel ordre, de la blessure une guérison, de la hantise une échappatoire et du fourmillement numérique un glitch dont la peinture est capable de s’approprier le signal. De la foule obsédante ressort un visage, des veines du bois une présence, des textiles défroissés la couleur révélée.

Alors peut commencer le travail de quiconque d’aller y reconnaître sa propre angoisse ou ses désirs les plus chers, de trouver des dérives ou des issues à ce qui pourrait laisser anéanti. C’est le propre de l’art. En figurant les contradictions, en conjurant les menaces, il reprend à la mort ses victoires et favorise l’espoir, la protection, l’imagination. Par delà les contraintes et l’assèchement que l’austérité exige, des forces vitales se déploient. Quand l’art enregistre les secousses qui ébranlent notre monde, il est précieux qu’il les recompose avec une dimension éthique. La peur se change en régénération, la clameur en une acclamation.

– Lauren Balganon –

L’invention de recettes réenchante la vie. Avec des jus d’aquarelle, de la pâte de verre, la fonte de vieux radiateurs… Oser des mélanges imprévisibles. Répondre à l’énormité de l’information continue par la malice et la subtilité. Ne pas manquer le rouleau à pâtisserie, le sceau-cylindre, l’arme qui saura nous éviter l’écœurement.

– Victor Chateau –

Des cyanotypes vantent les centrales nucléaires de France. Sont-elles dignes de cartes postales ? Tout dépend de l’option énergétique ou du goût pour la collection de petits cartons inoffensifs. Un miroir de sorcière trompe la surveillance. Là où la société pointe, juge, exclue, l’art fait tenir le monde ensemble dans un reflet.

– Lucie Drazek –

Si Cerbère garde l’entrée des enfers, qui doit nous intimider ? L’animal effrayant ou le monde souterrain qui sépare les défunts des vivants ? Quand l’artiste dessine des loups, des corbeaux et des chiens, elle ne fait pas autre chose que demander à l’animal de montrer les dents et de déchirer du bec les situations intenables. Ils sont nos gardes du corps, nos gardes de l’âme.

– Justas Indrelé –

La réalité virtuelle, internet et ses stocks visuels défilant à toute vitesse font un sacré bruit de fond. Sélectionner des images et les peindre ralentit le flux électronique, métamorphose la matière, aide à savourer ou à interroger la valeur de quelques emblèmes de société – figure du Christ, crâne, jeux vidéo, automobile – et leur persistance rétinienne.

– Youngbin Lee –

Distinguer le vrai du faux, la réalité de sa reproduction ? Les deux vidéos montrent bien que l’image enregistrée n’est pas la réalité, qu’elle est spécifique, technique et répond à un montage. Miroirs aux alouettes pourtant, sans tout à fait nous piéger, leurs artifices avec les objets ajoutés révèlent une dimension poétique.

– Lou Le Texier –

Le lieu de l’intime, avec un film et des dessins infographiques. Dans l’atelier de sérigraphie de Vortex qui n’est pas encore une «chambre à soi», les images d’une certaine mélancolie de la jeunesse côtoient la tentative de se fédérer autour du point rouge incandescent des cigarettes. Si le monde part en cendres, l’amour peut-être brûlera.

– Romuald Marcialis –

La sculpture en fer à béton est comme une herse, une série d’exclamations qui devient flamme qui devient flèche. Un graffiti à l’aérosol peut aussi devenir une interjection, une ligne esthétique avec laquelle l’errance et l’institutionnel s’accordent à déclarer la place prépondérante de la liberté.

– Paul Pitot –

Devant la hantise de la foule et le grouillement des individus, à l’heure de pointe ou dans les grands rassemblements, l’artiste trace avec obstination, sur toile et sur papier, le désir d’une différence, d’un regard tout autre, la possibilité de changer l’anonymat en des traits humains.

– Justine Rauber –

Veines du bois et lignes de figures se combinent dans les gravures à la recherche de leurs relations mutuelles. Coups de gouge, attaques du temps, sillons, rides et scarifications. Estampes et matrices sont associées avec subtilité, faisant de la plaque et de son encrage une image en quête de présence, en attente de résilience.

– Elisa Schumacher –

La photo de forêt ombreuse et ensoleillée est-elle l’empreinte d’un écosystème où arbres, arbustes et arbrisseaux s’étagent ? Ou son fantôme, un lieu hanté par la mort ? Chacun sait que le pourrissant nourrit le vivant. Faudrait-il craindre la présence d’un cadavre sous la mousse ? Et si c’était la forêt qui se mourrait ?

– Caroline Simic –

Un tas de cheveux. Un reste organique, puissant, qui dénonce l’usure et l’asservissement au travail quand ce n’est pas la liquidation pure et simple de l’être humain. Dans son abandon même, le matériau informe prétend encore à la forme pour désigner toutes les directions de l’espace, affirmer la solidité de l’angle en prenant appui sur l’architecture.

– Joan Simonot –

Pour avoir entendu des phrases assassines, perçu des abus et des relations manquées, mais afin de chérir encore la famille et la société, l’artiste transfère à l’aiguille à broder la piqûre psychique autrefois reçue, transforme la blessure en écriture et fait de la broderie sa cicatrisation.

– Anaïs Thomas –

Des tapis pour le sol deviennent des peintures pour le ciel comme autant de cerfs-volants avec leurs rubans et leur fil de traîne. Pas de compétition entre le très bas et le très haut, mais le plaisir de libérer les fibres écrasées et la couleur cachée. Gilets blancs pour gilets jaunes et gilets de sécurité assument leur étoffe, ne laissant déchoir ni les tissus ni la dignité des ouvriers du textile ou des invisibles d’aujourd’hui.

– Noëlly Torterat –

La relation à l’animal, au corps, à la chair compose un mouvement. La nature morte devient nature vive. Les formes entremêlées et voluptueuses nous adressent dans leur incertitude organique les stridences d’une énergie orange, blanche et rose. Avoir des égards pour la dégradation la tourne en beauté, en vitalité picturale.

– Enki Vallet –

Les parapluies donnaient leur nom à la révolte des manifestants descendus dans les rues de Hong Kong en 2014 pour réclamer le respect de la démocratie. La sphère des parapluies est une forme artistique sans frontière en réponse aux politiques actuelles, les clameurs urbaines le retentissement d’une conscience collective. Si l’homme s’arrête d’avancer, c’est sa chaise qui marchera. « En avant ! »

— Martine Le Gac, professeure d’histoire des arts à l’École Nationale Supérieure d’Art et Design de Dijon et critique d’art.

 

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Photographies : © Pauline Rosen-Cros, 2024

 

Carton d’invitation: © Atelier Tout va bien