Nobody cares that parrots can talk

Exposition
Du 12 septembre au 8 novembre 2025

>Tristan Chinal-Dargent<

Sabotage

Action de saboter, de gâcher un travail, une tâche. Manoeuvre, acte ayant pour but la désorganisation, l’échec d’une entreprise1. Il y a une dette à payer. Dans sa série de dessins réalisés à l’occasion de sa résidence de trois mois aux ateliers Vortex, Tristan Chinal-Dargent s’est intéressé à la figure du perroquet. Ou plutôt à son absence au sein de nos imaginaires. Pourquoi omet-on (ou ne nous souvenons-nous pas de) cette évidence ? Le perroquet parle. Aussi étrange et effrayant que cela puisse paraître, il formule explicitement les choses qu’il a entendues et répète. Des choses apprises sciemment à l’aide d’objets – cylindres, cercles, carrés, volumes2 – ou, plus simplement, de manière mimétique, par assimilation et reprise de paroles écoutées. Le perroquet parle puisqu’il cherche à entrer en contact. C’est l’une des raisons de son cerveau surdéveloppé3 au regard d’autres espèces volatiles. Loin de ses congénères, ce mécanisme langagier lui permet d’établir un lien. Sans possibilité de dialogue, il identifie ainsi des contextes précis et imite la voix humaine pour se faire une place au sein de notre quotidien. Il s’adapte et élabore de cette manière, de nouvelles formes de complicité. Inséparables. La majorité des perroquets – que les scientifiques rattachent à la famille des Psittacidés – vivent en couple monogame. La séparation est observée mais rare, puisque certaines perruches partagent leur vie pendant parfois des années. Le perroquet fait partie des animaux de compagnie pouvant vivre le plus longtemps – parfois jusqu’à 30 ans auprès de ses propriétaires. On parlerait presque d’âge d’Homme. Les éthologues affirment que le psittacidé ne comprend pas ce qu’il dit. Il n’acquiert pas de « grammaire » proprement dite – dans le sens d’une pensée abstraite, malléable et soucieuse des mots utilisés – mais répète quand il faut, les interjections enregistrées. La répétition se placerait donc en deçà de la compréhension, loin du ressouvenir et d’une pensée située dans le temps. Les perroquets de Tristan Chinal-Dargent, pourtant, souvent cachés, masqués derrière un arbre ou absents de leurs cages, se souviennent. Ils scandent des phrases appartenant à une mémoire oubliée. Ces voix d’outre-tombe anarchistes et liées à des luttes passées, nous sont adressées. Suivant le fil premier de cette incompréhension mécanique – réelle ou supposée -, les oiseaux agiraient en creux, à la manière d’antennes émettrices assurant le relai entre ces voix évincées et la nécessité présente de les actualiser. Comment donner corps, mais aussi souffle à ces luttes inachevées ? Surtout, comment trouver dans ces mémoires, l’élan et l’impulsion nécessaires à la poursuite de nos luttes actuelles ? Septembre 2025 La présence de ces fantômes est d’autant plus troublante qu’elle se manifeste musicalement, en une animalité anthropomorphique. L’oiseau, souvent symbole de transformation, de mort ou de mauvais présage, se fait ici véhicule de voix ayant oeuvré et lutté politiquement. Au cours de ses recherches, Tristan Chinal-Dargent s’est intéressé au motif de la syrinx, cet organe en forme de Y situé au fond de la trachée et permettant aux oiseaux de parler. Plus précisément, la syrinx, transforme les vibrations de l’air en vocalises, avant qu’elles ne ressortent et ne soient travaillées par la langue du perroquet. La syrinx – organe de la parole donc – est située à l’entrée des bronches, à la jonction de deux chemins distincts que nous serions libres de suivre ou d’emprunter. Sur le psittacidé nous devrions prendre exemple. Le mimétisme signe chez lui différents systèmes de défense – se masquer, imiter son prédateur, se confondre ou s’intégrer à un groupe, feindre sa proie… Ainsi il imite et dialogue pour survivre. Comme lui, nous devrions utiliser ces déplacements du langage – oserais-je dire son sabotage – afin d’élargir nos imaginaires, réactiver nos luttes et les récits qui les accompagnent. Une dette reste à payer me rappelle l’artiste. Par qui ? Pour qui ? Les générations passées ? Celles à venir ? Dans son exposition, le peintre-dessinateur infuse une atmosphère post-apocalyptique peuplée de ruines industrielles désertées4 répondant à des symboles d’explosion – projectiles, pierres, fumées, sabots… Une lutte sourde, active et productive. Si les corbeaux croassent, la perruche elle, cause, jase, siffle et craque, en figure unique de ressouvenir. Plutôt qu’une fin, elle nous offre de nouvelles perspectives frondeuses et révoltées. ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

1. Définition du Cnrtl. Une légende voudrait que le mot « saboter », vienne du fait que les ouvriers jetaient leurs sabots dans les machines en vue des les détruire.

2. On trouve sur Youtube de nombreuses vidéos et tutos de personnes apprenant à parler à leurs perroquets. 3 Doté de sept parties, le cerveau du perroquet est doté de capacités innées et conséquentes d’apprentissages. Plusieurs travaux scientifiques ont prouvé que chez les mammifères et certains oiseaux, avoir un « gros » cerveau, était la preuve d’une intelligence sociale animale à mettre en place. De fait, pourquoi avoir développé un cerveau demandeur en énergies ? La raison de cette excroissance se situerait audelà de besoins primaires homéostasiques. 4 Data centers oubliés, projets d’autoroutes, ponts effondrés, machines manuelles du XIXe… « We don’t throw stones at each other anymore » répète le perroquet, comme une invitation à l’action.

— Eva Foucault

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Photographies : © Pauline Rosen-Cros, 2025

Carton d’invitation: © Atelier Tout va bien