THE ISSUE’S NOT WHETHER YOU’RE PARANOID, LENNY…

Exposition
6 – 28 avril 2018

> David Droubaix <

Fait et fiction, croyance et incrédulité dans l’oeuvre de David Droubaix traduit du texte en anglais Fact and Fiction, Belief and Disbelief in the Work of David Droubaix
L’art de David Droubaix vient à propos en cette ère de post-vérité, où les médias sont accusés de produire de faux messages et où les théories du complot abondent. Son travail explore les difficultés à discerner la croyance de l’incrédulité, la certitude du doute, la confiance de la suspicion, à distinguer le fait d’être sûr et celui d’être sceptique. Notre connaissance du monde est basée sur notre croyance en la vérité. Nous avons l’idée que la distinction entre les points de vue factuels et fictifs est simple. Après tout, nous croyons que les faits expriment la vérité et que la fiction est ce qui a été inventée. Mais qu’est-ce que la vérité?
Il y a diverses théories la concernant. La théorie de la vérité-correspondance par exemple, affirme que la vérité d’une proposition repose sur sa cohérence avec un ensemble d’affirmations dans un certain domaine, consistant – au sens logique du terme – et cohérent en soi. Une théorie scientifique est vraie, parce que les propositions qui la composent ne se contredisent pas. Malheureusement, la cohérence interne d’un ensemble de propositions n’est pas suffisante pour le rendre vraie, car il pourrait entrer en conflit avec un autre ensemble de propositions qui serait néanmoins cohérent. La théorie quantique et la théorie de la relativité générale sont par exemple cohérentes et consistantes, mais incompatibles dans leurs descriptions de la réalité. La théorie de la vérité-correspondance n’a donc de valeur que dans un domaine spécifique et peut entrer en conflit avec d’autres domaines.
Cette théorie avance qu’il y a une relation de correspondance entre une proposition et la réalité qu’elle décrit. Elle est vraie si elle décrit correctement ce qui est dans le monde réel et correspond donc à cette réalité. Il n’est pas surprenant qu’il y ait aussi de sérieuses objections à la théorie de la vérité-correspondance, comme le fait d’être défini de façon trop étroite, d’être évidente et obscure à la fois. Sans aller plus profondément vers d’autres théories concurrentes, il est clair que le concept de vérité lui-même n’est pas facile à établir. La vérité semble dépendre en grande partie du contexte et il est – à l’exception de quelques rares cas – impossible de fournir une preuve indubitable de la véracité d’une proposition. Les gens peuvent maintenir toutes sortes de systèmes de croyances fiables ou non fiables, quand bien même ils sont incompatibles entre eux.
David Droubaix joue avec les menaces du doute et les difficultés d’établir sans équivoque la vérité. Les théories du complot, par exemple, prospèrent sur l’indécidabilité de celle-ci. Il peut toujours y avoir des raisons de douter. Nous voulons exclure la possibilité du doute et nous essayons de trouver une certitude. Mais elle est difficile à obtenir, sauf peut-être par exemple en logique ou en mathématiques. Mais celles-ci ne sont pas très instructives sur le monde réel.
Le scepticisme en soi n’est pas une position impossible, mais douter de tout est finalement intenable. Pour pouvoir se déplacer dans le monde, il faut avoir des certitudes incontestables. Wittgenstein l’exprimait ainsi : “Si j’ai épuisé les justifications, j’ai atteint la roche-mère et ma bêche se retourne”, ce qui signifie que poser plus de questions est futile.
Les théories du complot sont basées sur la difficulté d’établir la vérité au-delà du doute et sont alimentées par la paranoïa. Mais la paranoïa est une prédisposition délirante qui est induite par une anxiété irrationnelle ou la peur. Ce n’est pas une façon de connaître la vérité sur le monde. Même lorsqu’une théorie du complot a été entièrement réfutée, il y a toujours des gens qui persévèrent à croire en sa vérité. Un exemple notable est le cas de la théorie de Bill Kaysing sur les alunissages qui, selon lui, n’ont jamais eu lieu. Dans la pièce “The Eagle Has Never Landed”, qui est liée à la théorie de Kaysing, Droubaix a photocopié une reproduction de l’empreinte de Buzz Aldrin sur la lune, puis
cette copie, photocopiée, trois mille cinq cents fois, jusqu’à obtenir une page entièrement noircie, confrontant ainsi la fiabilité d’une image à son apparence fictive et à sa disparition définitive. On pourrait penser que le sceptique serait désarmé s’il était confronté à une recherche réussie de la certitude. Mais bien que tous les arguments de Kaysing aient été réfutés, il a maintenu sa position d’incrédulité concernant les alunissages.
Une autre pièce, “Wer durch das schwert lebt….” (“Qui vit par l’épée…” périra par l’épée) est une pile de livres conspirationnistes transpercés par une épée. La référence est claire. Celui qui croit aux théories du complot finira par être emporté par elles. Droubaix souligne le lien étroit entre paranoïa, conspirations et ésotérisme. Les personnes qui sont sensibles à l’une, voire à l’ensemble de ces trois formes alternatives d’”acquisition de connaissances”, sont convaincues de posséder un pouvoir spécial leur permettant d’acquérir une compréhension d’un ordre supérieur, inatteignable pour les autres personnes. Pourtant leur savoir a une valeur restreinte, limitée à leur propre cercle fermé d’initiés.
Une grande partie du travail de Droubaix est consacrée à la puissance du langage, dans lequel les vérités comme les mensonges peuvent être exprimées avec éloquence et il souligne la difficulté de les discerner. Comme nous courons toujours le risque d’être induits en erreur, il nous avertit d’être continuellement conscients des idées délirantes et que nous devrions toujours essayer d’être plus soupçonneux, au lieu de l’être moins.
Outre son intérêt pour le langage trompeur, Droubaix souligne également le manque de fiabilité ou la présentation erronée de faits et de documents historiques. Dans “La Salle blanche”, il présente une reproduction qui montre le patio du Musée des Beaux-Arts de Nantes, utilisé comme chapelle ardente pour les victimes d’un bombardement allié sur la ville en 1943. La légende sous l’image est fausse et sa taille et sa forme au moment de sa conception sont incertaines. Les reproductions dans les livres et les documents montrent l’image sous différentes formes, remaniée, recadrée, parfois même inversée. Un exemple encore plus frappant est l’élimination bien connue de personnes proches de Staline, après être tombées en disgrâce. Dans l’oeuvre “Призрак” – fantôme –, un proche de l’homme d’état est supprimé de la reproduction sur laquelle on pouvait encore le voir. Car la possession même d’une image intacte présentant une personne limogée était illégale. Les citoyens soviétiques devaient effacer le dissident de la photographie ou la détruire. Cette idée de mutation, de falsification et d’amnésie est liée à “Principe de précaution” de Droubaix, qui traite de l’effet de détérioration lié au temps. Le célèbre autoportrait de De Vinci est conservé en toute sécurité sous les voûtes de la Biblioteca Reale de Turin pour tenter d’arrêter sa contamination par la moisissure. Droubaix a reproduit les conditions d’infestation sur une reproduction de celui-ci, poursuivant le processus de dégradation naturelle.
Nous parlons du monde en langages et en images. Droubaix nous montre ce monde comme un mélange de faits et de fictions, de fantaisies et de réalités, de vérités et de mensonges, de croyances et d’incrédulités. Et il démontre à quel point il est difficile de démêler ce fouillis. L’apparition des faits et des artefacts, ainsi que leur interprétation, change au fil du temps, dans un processus imparable.

Frank Lubbers


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Photographies: © Cécilia Philippe, 2018